Eric Meillan
Confessions d'un sale flic.
De la DST à l'IGS
Emmanuelle Tenailleau
Livre étonnant que celui-ci, dans lequel Eric Meillan, "grand flic" à la retraite, raconte sa carrière à son épouse, qui en met en forme la version écrite en choisissant "de transcrire ce que me transmit oralement mon mari à la première personne au lieu du 'il' solennel qui tient le lecteur à distance". C'est donc (presque) toute la vérité en (presque) direct : la plupart des domaines de la sécurité publique et de la sécurité de l'Etat sont abordés.
Cadre de la DST pendant une trentaine d'années, il nous fait d'abord part du quotidien d'un responsable "de terrain" pendant la dernière période de la guerre froide, à Nantes en particulier dont il devient chef de la brigade en 1981, une unité presque "oubliée", "dans un état pitoyable". Entre les activités de contre-espionnage et la reprise en main de la structure, il nous brosse une série de portraits de cadres "de la boîte", de personnages et personnalités, parfois exceptionnels et admirables, parfois lâches et veules ; il en présente aussi bien les missions que le fonctionnement interne ; il nous parle progressivement d'affaires d'espionnage économique en région ; revient sur les premières prises en compte à la fin des années 1980 des menaces informatiques. Les agents, cadres et traitants de l'ambassade d'URSS en France ne sont jamais bien loin, mais on y découvre aussi, au fur et à mesure que l'auteur accède à des responsabilités plus importantes, les petitesses de la vie intérieure du service : "le processus d'élaboration des décisions gouvernementales a lieu dans de petites salles obscures et veillottes. J'y observe, de temps à autre, les réactions claniques ou carriéristes, parfois déloyales, de certains hauts responsables. Parmi eux, j'ai croisé beaucoup d'énarques ... Ils semblent animés par le désir constant de s'implanter dans les hautes fonctions, quand bien même ils n'en possèdent pas les qualifications"... En 1993, il devient conseiller technique du directeur général de la police nationale : "Au ministère de l'Intérieur, place Beauvau, chacun vit les débuts de la cohabitation selon sa sensibilité, au gré de ses alliances et fidélités ... La droite réagit comme la gauche depuis 1981 : le haut fonctionnaire n'apparait plus comme objectif. Il devient aussi porteur de l'idéologie du pouvoir. Une méfiance entre les politiques et les fonctionnaires s'instaure au plus haut niveau". Dieu qu'en termes galants ces choses là sont dites ! Et sur le rôle des cabinets et des "conseillers" ! En 2010, directeur de l'IGS, Eric Meillan "n'a jamais été convié à parler, sur le fond, au ministre en place" [N. Sarkozy] : "Une gangue s'est formée autour du ministre, composée de personnalité administratives. L'écran qu'ils constituent fait désormais obstacle aux responsables opérationnels"... On doute que cette évolution ne concerne que le ministère de l'Intérieur... On lira également (pp. 116 et suivantes) les pages consacrées aux interventions et écoutes, plus ou moins "sauvages". Et ce portrait de Claude Guéant : "Calculateur, [il] est aussi glacial qu'efficace. Il a survécu aux aléas politiques en ne contredisant jamais directement son autorité supérieure Toujours il essaie d'influencer ... On peut se demander si l'Etat comme il le conçoit ne resemblerait pas à un Etat tout puissant qui privilégierait la machine administrative à l'humain qu'elle est censée servir. Dans le fond, Claude Guéant est un homme de caste".
Bref, d'agent de la DST au cabinet du ministre de l'Intérieur puis à la direction des "Boeufs-carotte", l'auteur s'est élevé "au mérite" et semble visiblement regretter que cet "ascenseur social" de la République soit plus qu'en panne. C'est un peu une image de la fin (?), aujourd'hui, de l'ascension au mérite compromise dans la République qu'il nous offre, au terme d'une évolution qui n'a duré que quelques dizaines d'années simplement. Il nous propose un tableau (son tableau) des forces de l'ordre et de sécurité telles qu'il y a exercé pendant toute une carrière. C'est donc un témoignage éminemment personnel, qui ne reflète bien sûr que les idées et analyses de l'intéressé. Mais sa longue et belle carrière incite à penser que ses propos ne manquent pas de justesse et contiennent une très large part de vérité...
Un ouvrage à lire, et à recommander.
Ed. La Boîte à Pandore, Paris, s.d. (2013 ?), 219 pages. 17,90 euros.
ISBN : 978-2-87557-005-5.