Joseph Darnand
De la gloire à l'opprobre
Eric Alary
Déjà auteur de plusieurs ouvrages remarqués sur la période de la Seconde guerre mondiale et l'Occupation, Eric Alary nous propose ici une très solide biographie, celle d'un personnage complexe qui fut un des héros de la Première Guerre mondiale mais a terminé dans la collaboration la plus complète avec l'armée allemande.
Pour cette biographie absolument inédite, l'auteur organise son propos en quatorze chapitres chronologiques qui permettent de sonder toute la complexité du personnage. De son Jura natal à la région niçoise puis de Vichy à Paris, un temps responsable d'une société de transport mais surtout engagé dans le militantisme politique, à l'extrême-droite de l'échiquier politique dès le lendemain de la Grande Guerre, Joseph Darnand commence la Première Guerre mondiale au début de l'année 1916 comme soldat au 35e régiment d'infanterie et la termine comme adjudant, véritable héros national après le succès de son coup de main dans les lignes allemandes en Champagne le 14 juillet 1918. Il reste d'abord dans l'armée en 1919 et sert en Cilicie, avant d'être démobilisé à l'automne 1921. Après avoir beaucoup milité durant l'entre-deux-guerres (dont au sein de la Cagoule) mais aussi entretenu des relations très étroites et soutenues avec le monde "ancien combattant", Darnand est mobilisé en 1939 comme sous-lieutenant puis lieutenant de réserve des chasseurs alpins, met sur pied un corps franc et mène des raids en avant de la ligne Maginot. En mars 1940, il fait même la Une de Match pour un raid dans le secteur de Forbach. En juin-juillet, il adhère immédiatement au régime de Vichy et "travaille à la construction d'une légion d'une légion fidèle au maréchal Pétain", et Eric Alary observe : "Plus que jamais, l'attitude générale du Bressan est celle d'un insatiable instable, toujours en manque d'action". C'est le début de l'engrenage. En affirmant toujours vouloir servir la France, Darnand regrette que les responsables de la défaite ne soient pas davantage sanctionnés, que les hommes désormais au pouvoir n'agissent pas de façon plus radicale, etc. Grâce à la Légion française des combattants, il s'efforce de développer le culte de la personnalité de Pétain, le "culte du chef", tout en voulant se préparer à une revanche, contre les Italiens dans la région de Nice notamment. Il oscille ainsi pendant plusieurs mois entre une forme de résistance aux Allemands et la collaboration, avant de basculer au printemps 1941 du côté obscur, développant les thèmes anticommunistes, antisémites et antimaçonniques. Cette évolution s'accélère en 1942 et il commence à s'opposer activement aux résistants tout en intégrant petit à petit les sphères du pouvoir à Vichy. Avec le Service d'ordre légionnaire (SOL), les exactions se multiplient tandis que les recrutements pour la LVF puis pour la SS sont encouragés. A la fin de l'année, il est devenu un homme de pouvoir, proche de Laval qui "dérive progressivement vers un antibolchevisme et un antisémitisme criminel", contre ses propres compatriotes. On sait que le processus dure jusqu'à son entrée au gouvernement de Vichy, gardien de l'ordre d'un (semblant) d'Etat milicien. Il est en pratique à la tête de tous les organismes français de répression. Les pages que l'auteur consacre à cette période sont absolument passionnantes. Les derniers mois, la retraite vers l'Allemagne, la fuite en Italie, l'extradition, le procès et la condamnation à mort sont racontés avec un luxe de détails. Finalement, "le portrait de Darnand est donc celui d'un Français moyen qui a sombré dans une dérive aussi absurde que destructrice ... La vie de Darnand a finalement été une voie sans issue menant à des contradictions et à des atermoiements aussi spectaculaires que brutaux et criminels".
Une biographie passionnante indispensable pour tous les amateurs de l'histoire de la France dans la guerre.
Perrin, Paris, 2023, 379 pages, 24,- euros.
ISBN : 978-2-262-08520-9.
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