Les 36 stratagèmes de la guerre électronique
Olivier Terrien
Quand le passé le plus ancien croise les technologies les plus modernes. Dans son avant-propos, Olivier Terrien précise qu'il a voulu, "à l'instar d'un explorateur ouvrant la route des Amériques en cherchant celle des Indes", rédiger un ouvrage "le plus didactique possible"en associant un stratagème ancien à son application moderne "dans le siècle d'existence de l'électronique".
Reprenant le canevas ds 36 Stratagèmes de l'ancienne Chine, il illustre ces principes par des exemples allant d'avant la Première Guerre mondiale à la guerre du Golfe, tout en prévenant le lecteur qu'il ne trouvera dans ce volume "aucune solution toute faite. Chaque situation n'étant qu'un instant particulier dans une évolution permanente". Nous sommes invités à découvrir "derrière ces manifestations visibles, l'articulation logique de situations qui se reproduisent et se renouvellent sans cesse ... mais toujours dans un contexte différent". De "Eliminer un adversaire avec un couteau d'emprunt" à "Fuir devant un ennemi trop puissant", en passant par "Battre l'herbe pour réveiller le serpent", "Jeter une brique pour ramasser du jade", "Faire le simple non le fol" ou "Orner l'arbre avec une multitude de fleurs artificielles", l'ouvrage vaut déjà par la présentation de ces principes et leur première illustration par une anecdote de l'histoire chinoise. Puis, Olivier Terrien nous en présente "le pendant moderne", exemples où les événements plus ou moins connus des années 1930-1960 en particulier sont les plus nombreux.
Chaque chapitre est accompagné d'encarts, qui précisent tel ou tel point particulier, et l'on trouve en fin de volume une bibliographie intéressante, complétée de références aux sites web.
Bref, un livre qui se lit facilement, que l'on prendre, poser puis reprendre sans difficulté, chaque chapitre faisant autour de six pages. Mais aussi un livre dense, passionnant et qui fait réfléchir. Utilisé en complement d'ouvrages plus spécialisés sur l'art de la guerre et la stratégie, il passionnera sans nul doute de très nombreux lecteurs.
Oty-Productions, Le Chesnay, 2012, 239 pages, 18 euros.
ISBN : 978-2-9541996-0-3
L'auteur a ouvert un site dédié pour présenter et vendre son livre :
http://www.36stratagemes.com/fr/les-36-stratagemes
Olivier Terrien a bien voulu répondre à quelques questions :
Question : Le rapport dans le même chapitre entre l'histoire ou l'anecdote tirée des récits de l'ancienne Chine et l'exemple récent de l'ère électronique peut sembler parfois un peu approximatif, comment avez-vous sélectionné « le pendant moderne » ?
Réponse : En écrivant ces 36 stratagèmes, mon premier objectif était de rester toujours compréhensible et autant que possible pédagogique pour tout lecteur néophyte en Electronique. Cet ouvrage de sensibilisation vise surtout à enrichir la réflexion des passionnés d’Histoire, à satisfaire la curiosité des non-spécialistes tout en suscitant l’intérêt des scientifiques soucieux de comprendre l’influence des évolutions technologiques. Découvrir ce domaine discret, complexe et néanmoins incontournable dans la compréhension des conflits récents n’entre donc pas dans une logique académique et, si approximation il y a, cette impression provient certainement de l'originalité de l'approche retenue pour acculturer le lecteur à cette Electronique omniprésente dans notre société ou notre quotidien.
En imaginant ces 36 chapitres, mon second objectif était d’illustrer l’essentiel du spectre aujourd’hui couvert par une Electronique prise au sens large : des radars aux radios, des ordinateurs aux téléphones, des télécoms au cyberespace, etc. Les rencontres et les échanges pour bâtir ces stratagèmes ont fait de ce projet une formidable aventure humaine. Grâce aux anecdotes de ces nombreux spécialistes, ce livre témoigne de la diversité des affrontements qui utilisent, se basent ou détournent l'Electronique et si approximation il y a, elle provient de mon désir de rester fidèle à tous ces auteurs tout en ouvrant leur travail au plus vaste public possible.
Question : Pensez-vous que ces 36 Stratagèmes conservent tous la même actualité ? Si vous ne deviez en retenir que 2 ou 3, lesquels choisiriez-vous et pourquoi ?
Réponse : Oui, tous les stratagèmes conservent une actualité. Pas la même bien sûr. Mais, pour tous, un intérêt certain. Si certaines des situations choisies peuvent sembler anciennes, elles illustrent des besoins qui existent toujours ou des risques qui perdurent encore. A l’instar des versions classiques des 36 Stratagèmes, ces anecdotes souhaitent provoquer la réflexion du lecteur sur les divers aspects de l'électronique. Elles ne constituent en aucun cas une fin en soi. Un exemple extrait du livre pour s’en rendre compte. En août 1914, W. Churchill fait couper les câbles sous-marins de l'Allemagne pour l'obliger à transmettre ses messages par ondes radio et ainsi les intercepter. Un siècle plus tard, les technologiques ont évolué mais l'essentiel du trafic téléphonique ou internet reste véhiculé par des câbles de communication. Que deviendrait l’économie d’un pays si son adversaire lui coupait une ou deux liaisons sous-marines ? Cet exemple montre bien que chaque situation est unique car les acteurs, les moyens, les conséquences sont différentes mais il démontre surtout que l'histoire est un éternel recommencement. Mon livre incite le lecteur à penser aux avantages, aux risques ou aux vulnérabilités du monde électronique qui l'entoure. Si la guerre électronique est la traduction moderne de principes connus depuis des siècles, il importe d'en proposer des approches adaptées au public d'aujourd'hui et cette nouvelle édition des 36 stratagèmes en est une possible.
Question : Quelle est la part, dans votre livre, de la guerre électronique « classique » (interceptions et écoutes, brouillage, intrusion) et quel rôle peut-elle conserver face à l'explosion des supports électroniques ?
Réponse : La guerre électronique « classique » des radars, leurres, brouilleurs… représente effectivement une large part de mon livre et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce qu'elle reste d'actualité. En Libye, les matériels anti-aériens utilisés étaient d'origine ou de filiation soviétique. Les moyens « classiques » étaient donc pertinents. Ils devraient le rester tant les menaces « classiques » restent aujourd’hui présentes. Ensuite parce qu'elle met en œuvre des principes indémodables. A son époque, JF Fuller évoquait qu'à toute mesure offensive s'opposerait une contre-mesure défensive, elle-même bientôt dépassée par une contre-contre-mesure etc. La guerre électronique revit cet éternel combat entre le glaive et le bouclier. Aux brouilleurs contre les radars de combat succèdent ceux contre les radars d'imagerie. Aux intrusions dans les messages radios transmis aux pilotes de chasse se substituent les attaques contre les ordinateurs des postes de commandement. Les matériels évoluent mais ne rendent pas pour autant obsolètes les principes que mon livre illustrent par des anecdotes célèbres. Il me semble donc indispensable de les étudier.
Cependant, les références doivent s’adapter au public et c'est pourquoi j'ai tenu à élargir le propos classique en introduisant des exemples sur les attaques informatiques par clés USB, sur les dégâts du virus Stuxnet ou encore sur les écoutes de téléphones portables. Le principe que j’ai utilisé pour les 36 stratagèmes est simple : « comprendre aujourd'hui et envisager demain en (re)découvrant hier ».
Question : Au bilan, comment évaluez-vous les capacités de la France dans ces domaines ? Quels sont, et pourquoi, les pays les plus en avance ?
Réponse : Chaque pays possède sa culture électronique. Si les Etats-Unis démontrent un goût indéniable pour les questions techniques, l’Europe décline des doctrines et des moyens différents. Il en va de même pour la Chine, la Russie encore Israël qui abordent ce sujet avec un angle qui leur est propre. C’est pourquoi j’ai repris tous ces acteurs dans mon ouvrage. Dans l’environnement électronique d’aujourd’hui, la France possède de nombreux atouts. Des forces militaires aguerries comme l'ont démontré les dernières opérations en Libye. Des champions industriels qui proposent de nombreuses innovations à chaque nouveau salon ou encore des filières universitaires qui sont enviées par d'autres pays. Ceci étant dit, la guerre terminée hier ne sera jamais celle de demain. Dans cette chaîne constituée d’une multitude de contributeurs, il faut sans cesse renforcer chacun des maillons car l’histoire enseigne que le plus faible cèdera en premier et risque d’emmener avec lui tout l’ensemble. Dans cette chaîne complexe, nombreux sont les non-spécialistes qui interviennent indirectement ou inconsciemment : les décideurs pour un budget, les étudiants pour un recrutement, les chercheurs pour une innovation… Ma modeste contribution est de rendre abordable ce monde passionnant mais souvent très/trop technique pour que chacun y comprenne sa contribution. Ces 36 Stratagèmes constituent un premier pas dans ce périple qu’est la découverte d’un nouveau monde, ici un monde électronique.
Merci Olivier Terrien pour toutes ces précisions et bonne lecture à tous.