Opération Serval
Notes de guerre. Mali 2013
Général Barrera
Dans ce solide volume de plus de 400 pages, le général Barrera raconte ses propres souvenirs de la campagne 2013 au Mali, lorsqu'il commandait le premier mandat de la Force Serval. L'ouvrage est tout-à-fait intéressant à de nombreux titres.
Le livre s'ouvre sur une mise en contexte en métropole, pendant que le général Barrera commande sa brigade entre août 2011 et janvier 2013. Cette partie introductive est importante, car elle permet de rappeler, à travers un certain nombre de coups de projecteur, des points essentiels de la responsabilité de commandement, de la cohésion des unités, du sens de la camaraderie qui est loin d'être un vain mot, de l'importance de l'entraînement et de la rigueur de la préparation opérationnelle, car "les ouvertures de théâtre, les départs en urgence, les remplacements de dernière minute font partie des imprévus qui nécessitent d'être toujours prêts". La qualité des rapports entre les hommes aussi : "La confiance est un fusil à un coup et seul le langage de la vérité permet de commander sereinement, de rester crédible aussi. Mieux vaut dire qu'on ne sait pas, plutôt que de mentir ou de faire espérer abusivement". On y trouve également la mort, le sacrifice, la peine des familles, le souvenir des Anciens, en un mot ce qui donne du sens à un engagement individuel et collectif. La deuxième partie s'ouvre sur la décision de lancer l'action le 12 janvier 2013 et les régiments sont très rapidement prêts à partir (avec toutefois ce bémol : "Allez en ville et achetez tout ce que vous trouverez sur le Mali", alors que la situation était très tendue sur place depuis des mois). Le général nous montre la montée en puissance de ce qui va devenir la brigade Serval, raconte ces derniers jours en métropole durant lesquels il faut tout à la fois veiller à la moindre question de matériel, prendre ses consignes et donner ses premières directives, passer encore quelques heures en famille avant de prendre l'avion pour l'inconnu. Dès l'arrivée au Mali, ce sont les points de situation avec ceux qui sont déjà sur place, avec les autorités locales, les premiers choix tactiques, les interrogations sur le soutien sanitaire ou carburant, les premiers raids blindé, aéromobile et aéroporté (avec un clin d'oeil "sur les traces de Joffre en zone désertique et marécageuse"). Le rôle de chacun est bien mis en lumière et l'on a conscience, dès l'opération sur Tombouctou, de la complémentarité de tous les intervenants ("Une opération aéroportée ne vaut que par la capacité de rejoindre rapidement l'infanterie au sol", mais aussi "Il faut toute la volonté des Marsouins pour désensabler leurs camoins logistiques"), sans oublier la pression de Paris, qui ne comprend pas toujours qu'une progression puisse prendre du temps et que la ville ne soit pas libérée à la date initialement fixée. Et ce facteur, que les théoriciens de la guerre ont toujours du mal à prendre en compte : "Ce raid tient avec la bonne volonté, la professionnalisme et la débrouillardise de chacun". Un exemple illustre le caractère exceptionnel de la mission, pour remettre sommairement en état rapidement l'aéroport de Tombouctou : "Le largage d'un bulldozer par parachute, une capacité inemployée depuis l'Indochine et pourtant totalement indispensable aujourd'hui". La troisième partie est consacrée aux raids vers l'est et le nord de Gao, en direction de Ménaka et de Tessalit, puisque les djihadistes ont refusé le combat frontal et se sont repliés vers des zones refuges, distantes cependant de plusieurs centaines de killomètres (la question des élongations est en permanence présente). Au fil des pages qui suivent, dans le même esprit, le général Barrera raconte les raids blindés, les réactions aux attaques suicides, les efforts pour contrôler d'immenses espaces et le rôle des hélicoptères, les accrochages en ville et les opérations dans l'Adrar des Ifoghas (très détaillées dans la quatrième partie). Des sujets aussi essentiels que le renseignement, le rythme des opérations et le fameux "brouillard de la guerre" (dont on peut s'extraire grâce à une solide planification et à la solidité de la formation de chacun en amont pour faciliter en conduite la prise judicieuse d'initiatives adaptées) sont régulièrement abordés, à l'aide d'exemples concrets et d'anecdotes significatives. Au fil des pages, les transmetteurs indispensables avec l'ampleur du territoire à couvrir, les sapeurs ("ceux qui ont déminé l'entrée de l'Ametettaï"), les artilleurs ("l'artillerie toujours, indispensable pour appuyer et sauver l'infanterie"), le Service de santé ("notre soutien sanitaire protège aux mieux nos soldats des unités de tête"), les logisticiens du "colonel Dominique", les officiers du petit état-major, les sous-officiers des unités de l'avant, les simples soldats, sans oublier les "anges gardiens de l'armée de l'air", nous les voyons tous à l'oeuvre parce que le général se déplace beaucoup et n'hésite pas à "monter" vers le nord pour "sentir" la situation, tout en laissant à chaque échelon hiérarchique la plénitude de ses responsabilités. Régulièrement, le rôle de l'armée malienne et surtout des Tchadiens est mis à l'honneur et la synthèse : "Cette victoire tactique est bien celle de la combinaison de la technologie aéroterrestre alliée à la rusticité extrême des hommes". Rusticité authentique car après deux semaines de combats intensifs les marques extérieures de confort sont modestes : "3 litres d'eau de puits tous les deux jours, un oignon, une bière un appel téléphonique par semaine".
Jusqu'au bout, ce témoignage se lit avec le plus grand intérêt, entre analyse tactique des opérations et éclairages humains. Le livre est par ailleurs heureusement ponctué de nombreuses cartes qui permettent de suivre avec aisance les déploiements et les opérations, et compte un cahier de photos. On apprécie également au fil du texte les références ponctuelles personnelles du général à d'anciens soldats, jusqu'aux poilus de la Grande Guerre, toujours représentés à travers un individu de chair et de sang (le chasseur Marcel Pieuchot, "tué le 20 août 1918"), qui tout à la fois tissent un lien entre les générations du feu successives et induisent l'importance de l'histoire dans la formation morale du soldat. Un tout petit détail : cette manie récente de nommer les gens par leurs prénoms finit par être lassante, surtout associée au grade ou à la fonction (colonel Denis, chef d'état-major Claude, etc.), d'autant que dès que l'on connaît un peu le dispositif le nom de famille revient tout de suite à l'esprit...
L'historien connaît bien la relativité des témoignages et il saura décrypter celui-ci. Mais, objectivement, il y avait longtemps qu'un volume aussi complet, aussi riche, aussi utile n'avait pas été édité, moins de deux ans après la fin de la campagne concernée : toutes proportions gardées, il est comparable aux meilleurs témoignages du siècle précédent. Qu'il ait été récompensé par une mention spéciale du prix Erwan Bergot en juin dernier est tout à fait mérité. A lire et à étudier.
Seuil, Paris, 2015, 447 pages. 21,50 euros.
ISBN : 978-2-02-124129-7.