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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 07:10

Eclipse sur l'Afrique

Fallait-il tuer Kadhafi ?

Jean Ping

Important homme politique gabonais, en charge pendant de nombreuses années de responsabilités internationales (OPEP, UA), Jean Ping parle net, mais son propos nécessairement engagé laisse parfois songeur.
La thèse générale développée est que les Européens, et la France en particulier, se conduisent toujours en Afrique comme dans des "sous-Etats" et pratiquent une politique directement héritée de celle de la canonnière. Président durant cette période de la Commission de l'Union Africaine, il défend bien sûr l'organisation qui fut la sienne et sa politique, au risque parfois de la facilité d'un discours très général sur la démocratie en Afrique. Cette nécessaire réserve faite, le livre ne manque pas d'intérêt car il présente un point de vue très rarement pris en compte dans la littérature française, celui des Africains (ou d'une partie de leurs dirigeants). Après avoir présenté le "guide suprême" lybien (et sa mégalomanie), il revient sur le printemps arabe à l'hiver 2010-2011, présente les acteurs du conflit et les réactions dans les organisations internationales et régionales et fait le récit des événements (diplomatiques essentiellement) qui se déroulent jusqu'à la chute de Kadhafi. Beaucoup de citations et de nombreuses références à des conversations avec des chefs d'Etat donnen à ce livre-pamphlet un réel intérêt. Quelques phrases significatives, comme : "A l'image de Patrice Lumumba, Kadhafi l'Africain, aussi antipathique fut-il, est mort la tête haute comme un lion (du Sahel), en refusant de vivre à genoux comme un mouton" ; ou "L'Europe qu'anime constamment l'esprit de violence, de punition et de vengeance, ne semble pas avoir beaucoup évolué, bien au contraire, et ses méthodes sont restées pratiquement les mêmes depuis Jules César et Vercingétorix ; seule l'arme a changé : une balle dans la tête".

Une autre analyse que celle(s) qui prévaut (prévalent) en France, sur un conflit dont les conséquences ont été (et sont) immenses dans tout l'espace sahélien.

Michalon, Paris, 2014, 220 pages, 17 euros.

ISBN : 978-2-84186-741-7.

Libye 2011
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31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 06:30

Les dessous de la Françafrique

Patrick Pesnot

Journaliste réputé, Patrick Pesnot propose ici, en quelque sorte, un bilan de plus de cinquante ans de relations très particulières entre la France et les Etats africains qui furent ses colonies. Mais le bilan n'est que partiel.

Le livre est organisé en 24 chapitres qui reprennent le déroulement chronologique des événements pays par pays (et parfois plusieurs chapitres traitent d'un seul Etat, comme pour le Tchad ou le Congo-Zaïre), à partir d'une thématique majeure (le pétrole au Congo, le diamant et l'uranium en Centrafrique, les Touaregs au Niger). Au-delà du seul pré carré africain de la France (mais rien sur le Sénégal, la Mauritanie ou le Mali d'ailleurs ?), il s'intéresse également à des territoires voisins (le Biafra, le Darfour) ou à des personnalités particulières (Bob Denard, Roger Delpey). Le bilan moral de ce demi-siècle n'est pas brillant, mais simplement s'en offusquer revient aussi à oublier que la politique n'a rien à voir depuis Machiavel (et même avant) avec la morale et, pour paraphraser la formule gaulliste, qu'un "Etat digne de ce nom n'a pas d'ami". De Madagascar au lendemain de la Seconde guerre mondiale (mais ne sommes-nous pas là un peu hors sujet ?) à la Centrafrique à la fin de l'année 2013, Patrick Pesnot s'appuie essentiellement sur des témoignages déjà publiés, des ouvrages disponibles par ailleurs et des articles de la presse grand public. Les exemples évoqués sont essentiellement ceux qui ont fait la Une de l'actualité. Les enjeux économiques sont bien sûr essentiels sur ce sujet, les coups tordus se sont succédés au fil des années, mais quels étaient les impératifs internationaux ? Quelles étaient les autres alternatives éventuelles (puisque l'on observe une remarquable continuité quel que soit le président de la République en exercice) ? Finalement, des constats, oui. Des suppositions, également. Une base pour le moins partielle qui ne peut donner ni toute la réalité (dans sa complexité), ni toute l'ampleur du phénomène : ainsi, pour le Rwanda, l'auteur ne présente que la thèse de la responsabilité française dans la survenance du génocide à partir de "sources" secondaires univoques (et que la seule notion de Françafrique ne suffit pas selon nous à expliquer).

Un livre intéressant, qui tient beaucoup du journalisme et de l'article "à chaud" par son approche et par la présentation faite du dossier, et qui doit impérativement être complété par d'autres études de fond. Une première approche.

Nouveau Monde Poche, Paris, 2014, 493 pages, 9 euros.

ISBN : 978-2-36583-923-5.

Françafrique
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10 février 2014 1 10 /02 /février /2014 06:30

Centrafrique

Pourquoi la guerre ?

Thomas Flichy de La Neuville (Dir.)

Ce petit volume (dont il faut souligner la réactivité avec laquelle il a été rédigé et publié) collectif (mais je n’ai pas trouvé précisé qui a rédigé quoi ?) est divisé en trois chapitres thématiques qui visent à mieux faire comprendre pourquoi une situation de quasi-guerre perdure en Centrafrique depuis de longs mois, justifiant l'intervention française. Le premier, « Les conflits ethniques au cœur de l’instabilité politique » reprend en particulier l’histoire du peuplement centrafricain, à partir de l’ancienne opposition entre les peuples de la savane, de la forêt et du fleuve, et rappelle les aspects ethniques de l’exercice du pouvoir à Bangui. Le second, « La guerre religieuse et son instrumentalisation », ajoute au premier calque les questions liées à la confessionnalisation des ces anciennes rivalités, sur fond de manœuvres libyennes et d’ambitions tchadiennes. Le troisième enfin traite plus particulièrement des ressources minières (or, diamants, pétrole, uranium) du pays et des manœuvres des Etats tiers. L’ensemble est complété par quelques cartes et annexes (dont une liste des interventions françaises dans le pays depuis 1979) et une bibliographie indicative.

Au bilan, surtout si l’on connait un peu le pays et la région, on reste quand même sur sa faim. Attendre quelques semaines de plus, ou proposer un livre un peu plus épais aurait sans doute permis d’aller plus loin. près tout, il ne s'agissait pas d'une course de vitesse éditoriale. Mais il n’en demeure pas moins que voici une bonne contextualisation initiale pour quiconque n’a pas de notions particulières sur l’histoire et la situation de la Centrafrique et souhaite en acquérir rapidement les principaux élément.

Lavauzelle, Panazol, 2014, 110 pages

ISBN : 978-2-7025-1603-4.

Lointain héritage et actualité
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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 06:30

Les indépendances en Afrique

L'événement et ses mémoires, 1957/1960 - 2010

Odile Goerg, Jean-Luc Martineau et Didier Nativel (Dir.)

La première originalité de ce volume collectif vient de ce que les indépendances africaines ne sont pas observées ou étudiées de Paris, mais que l’angle d’approche choisi est bien celui de l’Afrique elle-même, ce qui parfois change tout.

Le livre offre également l’intérêt de permettre à une vingtaine de (jeunes pour la plupart) contributeurs venus de pays variés et d’universités très différentes, de présenter des focus sur des aspects peu connus ou peu étudiés jusqu’à ce jour. L’ouvrage est divisé en trois grandes parties (« Acteurs sociaux et militants devant l’événement », « Contestation et envers de la fête : acteurs et partis politiques », « La fabrique des mémoires : les ambigüités de la fête dès 1958-1960 »), qui permettent de couvrir très largement le spectre. Difficile de faire un choix parmi toutes ces contributions, mais nous relèverons pour leur originalité celle de Komlan Kouzan (université de Kara, Togo) sur « Quelles contributions du Deutsch-Togo Bund à la fête du 27 avril 1960 au Togo », avec en particulier la description du pittoresque voyage « retour » du dernier gouverneur allemand, le duc de Mecklembourg et les arrière-pensées anti-françaises qui accompagnent le mouvement ; de Steve Page (université de Fribourg, Suisse) sur « La décolonisation vue par les neutres : regards suisses sur l’indépendance du Nigéria », avec le rôle des commerçants et des missionnaires ; celle de Jérémy Chilin (université Paris 7) sur « Les communautés mauriciennes face à l’indépendance (1960-1968) » dans une atmosphère de tensions et de violences ; celles de Susann Baller (université de Bâle) sur « Fêtes célébrées, fêtes supprimées : les indépendances de la Fédération du Mali et du Sénégal » bien éphémère, et de Daniel Abwa (université de Yaoundé, Cameroun) sur « Le Cameroun le 1er janvier 1960. Une proclamation de l’indépendance entre peur et allégresse », puisque plusieurs provinces sont « à feu et à sang » (à compléter avec le texte suivant de Mélanie Torrent -université Paris 7- sur « Les deuils de l’indépendance : le Cameroun face à sa réunification, 1959-1962 »). La dernière partie, consacrée à la mémoire de ces indépendances et à leur instrumentalisation ultérieure, est également intéressante et l’on retiendra ici par exemple celle de Charles Didier Gondola, « Entre mémoires et imaginaires : les représentations des indépendances à Kinshasa et Brazzaville ».

Un ensemble qui aborde une période généralement moins traitée de l’histoire africaine récente sous un angle original : un livre à connaître.

Presses universitaires de Rennes, 2013, 473 pages, 24 euros.

ISBN : 978-2-7535-2749-2.

Souvenirs des indépendances
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21 juillet 2013 7 21 /07 /juillet /2013 06:40

Vaincre l'insécurité en Afrique

Défis et stratégies

Général Fernand Amoussou

Il est peu courant qu’un dirigeant militaire africain prenne officiellement la parole et, ne serait-ce qu’à ce seul titre, le livre du général Amoussou mérite d’être lu.

Formé à l’Ecole polytechnique de Pékin, puis essentiellement (d’application à l’IHEDN) en France, il a en particulier été chef d’état-major général de l’armée béninoise et commandant de la Force des Nations-Unies en Côte d’Ivoire. Dès les premières pages, revenant sur ses débuts dans la carrière militaire en 1975, il insiste sur quelques fondamentaux : « La solidarité militaire ou l’esprit de corps implique le fait de protéger physiquement les autres, mais aussi et surtout le fait de se mettre au service des autres, sans rien attendre en retour. Plus généralement, elle exige le fait de partager avec les autres, de se préoccuper des autres … La solidarité est l’antinomie de l’égoïsme, à la base des déviances qui détruisent nos sociétés et appauvrissent le plus grand nombre ». Son livre (en n’échappe pas néanmoins à une forme de plaidoyer pro domo) est ensuite divisé en une dizaine de chapitres thématiques : « Le militaire et l’éthique », « Les forces armées et la politique » (a-t-il toujours appliqué les principes qu’il énonce ?...), « La gouvernance des forces armées » (dont toutes les préconisations ne sont pas nécessairement transposables), « Les politiques de défense en question », à relier au thème suivant « Les facteurs déterminants d’une politique de défense », « Le réalisme du format des armées » (avec les réorganisations des unités et l’effort en faveur des moyens logistiques que cela suppose dans de nombreuses armées africaines), « L’ambition de sécurité collective » (vaste programme !) et « L’exigence de rénover la sécurité collective » (comment faire autant que possible par nous-mêmes ?), « La coopération de sécurité et de défense » et « L’action internationale de sécurité en Afrique » (le chef d’état-major togolais aurait-il était promu à la suite d’un vœu au ‘Temple des pythons’ ? Toute la problématique du poids des usages ancestraux et des croyances populaires dans un monde qui change très rapidement).

Est-on finalement convaincu ? Pas exactement. Le parcours et les responsabilités antérieures de l’intéressé peuvent laisser penser que les vérités de 2013 n’étaient peut-être pas "en vigueur" quelques années plus tôt. Mais il n’en demeure pas moins que les propos du général Amoussou, toujours mis en relation avec la situation dans son pays et en Afrique de l’Ouest, souvent frappés au coin du bon sens (et parfois même véritables truismes qu'il peut être utile de répéter), méritent d’être lus. Que celui qui a été le plus haut responsable d’une armée africaine ces dernières années prennent la peine de publier ce livre est, en soi, révélateur d’une évolution. A lire avec intérêt dans la perspective des prochaines évolutions, espérées ou attendues, des forces armées en Afrique sub-sahélienne et en Afrique noire.

Editions Economica, 2013, 153 pages, 19 euros.

ISBN : 978-2-7178-6587-5.

Expériences et témoignage
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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 06:30

La guerre des Boers

en images !

Les images sont parfois floues, le film a visiblement vieilli, mais c'est assez exceptionnel : magnifique documentaire d'une dizaine de minutes, à partir d'images d'archives, sur la guerre des Boers en Afrique australe. Sans doute l'une des toutes premières "actualités filmées" au monde. A découvrir : ici.

Superbe et émouvant
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31 mai 2013 5 31 /05 /mai /2013 06:56

Les guerres d'Afrique

Des origines à nos jours

Bernard Lugan

Africaniste renommé, récemment auteur entre autres ouvrages d'une Histoire de l'Afrique, d'une Histoire de l'Afrique du Sud et d'une Histoire du Maroc, expert auprès du TPI-Rwanda et éditeur de la lettre d'information L'Afrique Réelle, Bernard Lugan signe aujourd'hui une nouvelle somme.

Son livre est très logiquement divisé selon un plan chronologique en quatre grandes parties : "Guerres et sociétés guerrières en Afrique avant la colonisation", "Les guerres de conquête coloniale", "Les guerres de la période coloniale" et "Les guerres contemporaines, 1960-2013", tous conflits dont il fait le récit chronologique et factuel. On voit bien l'ampleur du sujet et Bernard Lugan nous fait plusieurs fois traverser le continent de part en part au fil des époques. La grande région sahélienne, celle des Grands Lacs et l'Afrique australe reviennent bien sûr à plusieurs reprises et certaines situations résonnent en écho jusqu'à aujourd'hui. Tous les chapitres, agrémentés d'encarts qui précisent des situations locales ou des données chiffrés, sont intéressants et l'on ne retiendra à titre d'exemple que quelques titres de la dernière partie (sait-on que pour la période 2000-2010 70% des décisions de l'ONU sont relatives aux conflits africains ?) : "La guerre civile algérienne (1992-2002)", "Les guerres de Somalie : clans contre clans (depuis 1977)", "Nigeria : de la guerre du Biafra au conflit ethno-religieux Nord-Sud", "La deuxième guerre du Kivu (depuis 2007)" : autant de coups de projecteur extrêmement utiles et souvent pertinents sur des zones crisogènes dont l'Europe ne peut pas se désintéresser (même si elle le voulait, de toute façon).

L'ensemble de ces chapitres, rédigés d'une plume alerte et toujours référencés, est complété par un cahier central d'une soixantaine de cartes en couleurs, parfaitement lisibles et pédagogiques, et le livre se termine sur un index complet et une bibliographie significative. Ceux qui connaissent déjà tel ou tel engagement pourront regretter que certaines campagnes ne soient pas traitées davantages en détail, mais aborder autant d'opérations et de combats en 400 pages témoigne d'un bel esprit de synthèse. Au total, un ouvrage appelé à devenir très rapidement de référence et que liront avec le plus grand intérêt les étudiants et tous ceux qui soit s'intéressent à l'histoire du continent, soit se préoccupent de l'avenir. 

Editions du Rocher, Monaco, 2013, 403 pages, 32 euros.
ISBN : 978-2-268-97531-0.


Bernard Lugan a bien voulu répondre à quelques questions pour nos lecteurs :

Question : Votre livre dresse un impressionnant tableau des conflits en Afrique de la plus haute Antiquité aux guerres actuelles. Par grande période, une introduction présente un résumé des évolutions, mais vous ne tentez pas d'en tirer des enseignements généraux en conclusion. Pourquoi ?

Réponse : Parce que nous ne devons par parler de l’Afrique, mais des Afriques, donc des guerres africaines. Mon livre est construit sur cette multiplicité, sur ces différences irréductibles les unes aux autres et sur leur mise en perspective. Dans ces conditions, il est vain de faire une typologie, sauf pour les guerres de la période contemporaine, ce que j’ai fait, et encore moins une classique conclusion de synthèse.

Question : La grande région saharienne-Sahel est présente dans chaque partie, des "Origines de la guerre africaine" aux "Guerres contemporaines". Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce qui semble bien être une zone de conflits quasi-permanents ?

Réponse : Cette zone qui court de l’Atlantique à la mer Rouge en couvrant plus de dix pays, est un véritable rift racial et ethnique en plus d’être une barrière géographique. Ce fut toujours une terre convoitée car elle fut à la fois le point de départ et le point d’arrivée -hier du commerce, aujourd’hui des trafics transsahariens, une zone de mise en relation entre l’Afrique « blanche » et l’Afrique des savanes, un monde d’expansion des grands royaumes puis de l’islam.

Aujourd’hui, cette conflictualité ancienne et résurgente tout à la fois est exacerbée par des frontières cloisonnant artificiellement l’espace et qui forcent à vivre ensemble des populations nordistes et sudistes qui ont de lourds contentieux. Le tout est aggravé par le suffrage universel fondé sur le principe du « un homme, une voix », qui débouche sur une ethno mathématique donnant automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les sudistes. Voilà la cause de la guerre du Mali, mais ce problème se retrouve dans tout le Sahel, notamment au Niger et au Tchad. Au Mali, le fondamentalisme islamiste s’est greffé sur une revendication politique nordiste de manière récente et tout à fait opportuniste. Or, comme le problème nord-sud n’a pas été réglé, les causes des guerres sahéliennes subsistent.

Question : On a dit beaucoup de choses sur le retentissement de l'échec italien lors de la première tentative de conquête de l'Ethiopie à la fin du XIXe siècle. Si les conséquences en politique intérieure à Rome sont compréhensibles, ces événements ont-ils un écho réel dans les autres capitales européennes et sur le sol africain lui-même ?

Réponse : L’originalité de la défaite d’Adoua est qu’elle a, sur le moment, mis un terme au projet colonial italien. Ce fut une défaite stratégique. Français, Anglais et Allemands connurent eux aussi des défaites, les premiers, notamment au Sahara, mais cela n’interrompit pas la prise contrôle de ces immensités ; les Britanniques furent battus à Isandhlawana, ce qui n’empêcha pas la conquête du royaume zulu ; quant aux Allemands, ils subirent plusieurs déconvenues contre les Hehe et les Maji Maji, mais l’Est africain fut néanmoins conquis. Le désastre italien fut d’une autre nature, d’une autre échelle, alors que, à l’exception d’Isandlhawana, Anglais, Français et Allemands ne perdirent en réalité que des combats à l’échelle d’une section, au pire, d’une compagnie. Quant aux Espagnols, même après leurs sanglantes déroutes lors de la guerre du Rif, leur présence dans le Maroc septentrional ne fut pas remise en cause et, dès qu’ils décidèrent d’utiliser leurs troupes d’élite comme le Tercio et non plus des recrues tant métropolitaines qu’indigènes, ils reprirent le contrôle de la situation. Il faut cependant remarquer qu’avant son éviction par Pétain, Lyautey avait, comme je le montre dans mon livre, rétabli la situation sur le front de l’Ouergha et de Taza, ce qui enlevait toute profondeur d’action aux Riffains.

Autre conséquence, auréolée par sa victoire de 1896, puis par sa résistance sous Mussolini, l’Ethiopie eut un statut particulier d’Etat leader du mouvement indépendantiste et ce fut d’ailleurs pourquoi, dès sa création en 1963, le siège de l’Organisation de l’unité africaine fut établi à Addis-Abeba.

Question : Vous décrivez "Un demi-siècle de guerres au Zaïre/RDC", et l'on a finalement le sentiment qu'une amélioration de la situation reste très hypothétique. Comment l'expliquez-vous ?

Réponse : Ici le problème est sans solution car il n’est pas économique mais ethnique et politique. Nous sommes en effet en présence d’un Etat artificiel découpé au centre du continent à la fin du XIX° afin de retirer le bassin du Congo à la convoitise des colonisateurs et cela afin d’éviter une guerre européenne pour sa possession. Cet Etat artificiel, désert humain en son centre forestier, englobe sur ses périphéries de vieux Etats comme le royaume Luba, l’empire Lunda ou encore le royaume de Kongo. Ces derniers ont une forte identité et leurs peuples ne se reconnaissent pas dans l’artificielle création coloniale qu’est la RDC. Quant à l’impérialisme rwandais qui s’exerce au Kivu, il entretient un foyer permanent de guerre dans tout l’est du pays. La raison en est claire : étouffant sous sa surpopulation, le « petit » Rwanda doit trouver un exutoire humain s’il veut éviter le collapsus. De plus, comme 40% du budget du pays provient de l’aide internationale et le reste, à plus de 90% du pillage des ressources du Congo, pour le Rwanda, la fin de la guerre signifierait donc la mort économique du pays. Appuyé par les Etats-Unis qui en ont fait le pivot de leur politique régionale, le Rwanda exploite avec habileté ce que certains ont appelé la « rente génocidaire » pour dépecer sans états d’âme la partie orientale du pays.

Question : Vous intitulez la partie dans laquelle vous traitez de la décolonisation : « Des guerres gagnées, des empires perdus », pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Réponse : Parce que la parenthèse coloniale fut refermée sans affrontements majeurs, sans ces combats de grande intensité qui ravagèrent l’Indochine. En Afrique, les guérillas nationalistes ne furent jamais en mesure de l’emporter sur le terrain, pas plus en Algérie où les maquis de l’intérieur n’existaient quasiment plus en 1961, qu’au Kenya où les Britanniques avaient éradiqué les Mau Mau, ou encore que dans le domaine portugais -à l’exception de la Guinée Bissau-, où, et mes cartes le montrent bien, l’armée de Lisbonne était maîtresse du terrain. En Rhodésie, la pugnace et efficace petite armée de Salisbury avait réussi à tenir tête à une masse d’ennemis coalisés, massivement aidés par l’URSS et la Chine avant d’être trahie par l’Afrique du Sud qui pensa naïvement acheter son salut en abandonnant les Blancs de Rhodésie. Partout, la décolonisation fut un choix politique métropolitain ; elle ne fut nulle part imposée sur le terrain. Les combats de grande intensité apparurent après les indépendances, dans le cadre de la guerre froide, et je les décrits dans mon livre : Angola, South African Border War, Corne de l’Afrique, Congo etc.

Merci très vivement pour toutes ces précisions et plein succès pour votre ouvrage. A très bientôt.

Immense fresque
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29 mai 2013 3 29 /05 /mai /2013 07:05

Le Sahara

Histoire, guerres et conquêtes

Bernard Nantet

Le désert du Sahara fait l’objet de nombreux ouvrages récents destinés à satisfaire l’intérêt du grand public pour cette région en pleine actualité. Bernard Nantet, archéologue et journaliste spécialiste du continent africain, déjà auteur d’une Histoire du Sahara et des Sahariens, nous propose ici un libre destiné aux lecteurs désireux d’aborder l’histoire et les problématiques de cette région méconnue avec son nouveau livre, Le Sahara : histoire, guerres et conquêtes qui paraît aux éditions Tallandier. Il dresse un tableau général d’un immense territoire allant de Dakar à Khartoum et d’Alger à Ndjamena en passant par les célèbres Tombouctou ou Koufra.

Avec cet ouvrage à la visée avant tout vulgarisatrice, on est amené à parcourir 500 ans d’histoire de ce désert entouré de mystères. L’auteur découpe son livre en 8 parties chronologiques, toutes abordables indépendamment l’une de l’autre, allant du début XVe siècle jusqu’à l’intervention française au Mali en janvier 2013. Dès le premier chapitre, « Le Roi de l’Or », Bernard Nantet nous montre que l’attrait des Européens pour les nombreuses richesses, comme l’or ou le sel, de ce mythique désert est ancien. Dès le début du XVe, des navigateurs sous pavillon portugais ou espagnol viennent sillonner les côtes du Sahara occidental et établissent quelques comptoirs pour commercer avec les peuples du désert. Ces nombreux peuples font l’objet de la seconde partie, « Les peuples du Sahara », qui dresse un panorama des populations et tribus qui composent la mosaïque ethnique de ce grand désert et de la région sahélienne, comme les Touaregs, les Peuls, les Maures ou les Toubous, tout en nous racontant la période tumultueuse des XVIIe et XVIIIe siècles. Il n’oublie pas de mentionner l’installation de comptoirs européens toujours plus nombreux, agrandissant le nombre des acteurs présents dans la région.

Vient ensuite un temps plein de légendes et d’exploits du siècle suivant avec « Les explorateurs du Sahara ». Si l’auteur met en exergue les nombreuses expéditions infortunées qui se terminent souvent par une mort tragique, c’est pour mieux expliquer la prouesse de René Caillé, premier explorateur du Sahara à voyager de Saint-Louis du Sénégal jusqu’à Tombouctou (et surtout à en revenir !) en 1828, qui fait l’objet de plusieurs pages passionnantes. C’est le début d’une lente mais inexorable pénétration du désert par les puissances européennes qui n’ont de cesse de pousser toujours plus en avant pour « effacer le blanc des cartes ». Il nous montre par ailleurs les premières et timides formes de la colonisation qui annoncent un XIXe siècle guerrier.

Cette conquête du Sahara par les Européens, pilier central de l’ouvrage, est abordée par en trois parties, « La conquête du Sahara occidental », « La conquête du Sahara central » et « La conquête du Sahara oriental ». Si l’approche choisie semble géographique, l’auteur démontre vite qu’elle suit parfaitement la chronologie. Il porte principalement son attention sur la conquête française de ce grand désert, à juste titre puisque la France possède environ les deux tiers du Sahara lorsque la Première Guerre Mondiale éclate. On assiste donc aux actions célèbres de Faidherbe sur le Sénégal, au siège de Tombouctou, à la conquête du Tchad tout cela amenant à la crise de Fachoda. Cependant l’auteur n’oublie pas les colonisations britanniques et italiennes en nous donnant une image générale intéressante du Soudan anglo-égyptien et de la Libye italienne, dont les résistances ont été plus importantes que ce qu’on l’on imagine généralement. On remarque un ensemble de pages consacrées au rôle de l’Islam dans cette résistance à la conquête européenne, paragraphes qui révèlent des thématiques intéressantes au lecteur non-spécialiste.

L’avant-dernier chapitre, « La colonisation du Sahara », est consacré à l’action de la colonisation par les puissances européennes avec le souci de la délimitation des frontières, le développement des routes et des voies de communication du désert, l’exploitation de ses ressources et les dernières résistances à l’occupation coloniale comme celle de la confrérie des Senoussi. La Seconde Guerre mondiale et ses évènements cruciaux servent de tremplin à la dernière partie du livre.

« L’indépendance et après » nous propose un panorama des cinquante dernières années et des problèmes induits par une décolonisation souvent hâtive. La question du Sahara occidental et de son conflit avec le Maroc, l’instabilité de la Mauritanie, les Touaregs oubliés et divisés sont autant de questions qui reviennent dans l’actualité. Il aborde aussi les interventions françaises au Tchad et le rôle que joue l’ancienne métropole dans les affaires sahariennes. Bernard Nantet donne les origines de toutes ces actualités géopolitiques avec un bon esprit de synthèse (on reconnaît là le journaliste) qui n’est cependant pas présent dans tout le livre.

 

L’ouvrage souffre en effet de quelques défauts qui gênent le plaisir de la lecture. Trop porté sur des données factuelles ou des anecdotes, l’auteur semble se refuser parfois à présenter plus simplement des sujets qui auraient dû l’être. La partie sur les peuples du Sahara, par exemple, ne permet pas au lecteur de se faire une idée claire de la myriade d’ethnies qui constituent le visage du Sahara, de leurs différences et de leurs mentalités. On aurait aussi apprécié une cartographie plus développée pour aider le néophyte à concrétiser les connaissances que nous apporte la lecture du livre et à localiser lieux et peuples cités. Néanmoins, Le Sahara : histoire, guerres et conquêtes constitue un ouvrage de vulgarisation tout à fait intéressant sur la région, complété par une bonne bibliographie. Un livre à lire si l’on souhaite poursuivre par des lectures complémentaires.

Thierry Barroca

Tallandier, Paris, 2013, 399 pages. 22,90 euros.

ISBN : 979-10-210-0239-5.

Touareg, Maures et Toubous
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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 07:00

Touaregs,

la révolte des hommes bleus

1857-2013

Mériadec Raffray

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A partir de son étude récemment rédigée pour le CDEF (Les révoltes touarègues au Sahel), Mériadec Raffray nous invite à le suivre dans l'histoire politique, sociale, culturelle, militaire des "seigneurs du désert" depuis un siècle et demi. Revenant sur le peuplement du Sahel, les étapes de la conquête coloniale et de l'organisation administrative sous l'égide de la France, il nous rappelle le détail des révoltes successives qui, depuis les indépendances, émaillent l'histoire du Mali et du Niger. La dernière partie, consacrée aux groupes fondamentalistes et à leur alliance de circonstance avec les mouvements Touaregs fait judicieusement comprendre qu'il ne faut pas confondre les deux. Un véritable précis de l'histoire de la région depuis une soixantaine d'années qui permet de poser sérieusement le cadre des interventions actuelles.

Economica, Paris, 2013, 99 pages, 23 euros.

ISBN : 978-2-7178-6570-7.

 

La prison nomade

Roman

Claude Le Borgne

Prison-nomade912.jpg

Publié pour la première fois en 1990 et plusieurs fois primé, La prison nomade est le récit totalement romancé des aventures d'un marin échoué sur la rive sud de la Méditerranée au milieu du XIXe s., d'abord réduit en esclavage puis accepté parmi la communauté des guerriers nomades. L'auteur, Claude Le Borgne, est général en deuxième section et il a surtout longuement servi au Sahara, parmi les derniers méharistes. On peut donc supposer que ce roman est aussi nourri des ses expériences personnelles et de ses souvenirs.

Rédigé dans le style des grands romans du XIXe siècle, le livre peut surprendre, mais il nous présente un mode de vie et des communautés sans doute aujourd'hui largement disparues. Le charme du désert et d'une vie "quasi-monacale", le code d'honneur individuel, mais aussi familial et tribal, la place du chameau, moyen de déplacement et presque "compagnon de route", en même temps que signe extérieur de richesse, les soirées et les nuits en bivouac, etc. Les paragraphes sont parfois très descriptifs (il y a peu d'action en réalité), mais c'est aussi ce qui fait le charme parfois "désuet" du volume et permet de pénétrer, presque par effraction, dans l'intimité, les pensées, les légendes (parfois plus sûres que la réalité) et l'histoire (orale) de ces hommes.

Un roman donc, mais qui complètera utilement votre connaissance de la région saharienne et vous permettra probablement de mieux en comprendre les ressorts et les mouvements.

Economica, Paris, 2013, 320 pages, 23 euros.

ISBN : 978-2-7178-6556-1.

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1 février 2013 5 01 /02 /février /2013 07:10

Carnet d'un Toubab en Afrique

Daniel Frère

Toubab772.jpg

Lorsque, presque au terme d'une belle carrière, un officier "de la Colo" fait le choix de partager ses souvenirs, cela peut donner un livre de batailles, de combats, d'engagements opérationnels. Rien de tel avec ce Carnet d'un Toubab en Afrique, alors même que son auteur a vécu des situations parfois très critiques. Il s'agit au contraire d'un véritable recueil de "cartes postales" rédigées, qui témoignent d'un amour sincère du continent noir.

En brefs chapitres (de 3 à 5 pages généralement) vifs et colorés, Daniel Frère se remémore et nous fait partager modestement son expérience de neuf longues années au total en terre africaine : "L'Afrique, ça ne se raconte pas, ça se vit" écrit-il... Et pourtant... Il ajoute aussitôt : "J'ai toujours eu à coeur de ne pas m'imposer, de respecter l'intimité, les traditions et les croyances de chacun et, surtout, de ne jamais juger mais de chercher à comprendre". Du "Racket à touristes" et au "Tourisme artificiel" favorisé par les tour-opérateurs, à "L'exode rural" et aux souffrances à l'intérieur des terres, de l'importance de "La parole donnée" à la visite privée de la mosquée de Touba, de la quasi-disparition des bêtes sauvages ("Animaux - Braconnage") à la situation des anciens combattants ou des femmes, il nous plonge dans les paradoxes et les réalités plurielles de ce continent, à la fois si lointain et si proche. Sa perception des effets pervers du "travail" de certaines ONG (pp. 159-162) est également intéressante...

On apprécie la bibliographie indicative et raisonnée placée en fin de volume et, au même titre (et souvent bien plus profond) qu'un Guide du routard, la lecture de ce livre est absolument conseillée avant tout voyage. De même, il ne sera pas inutile de le glisser dans son sac et de s'inspirer, sur place, des conseils de son auteur. A lire.

Edilivre, 2012,  191 pages. 20,50 euros.
ISBN : 978-2-332-50799-0.

L'ouvrage est directement disponible sur le site de l'éditeur

Question : Vous précisez en introduction que vous avez effectué de nombreux séjours professionnels et privés en Afrique. Comment y avez-vous vécu et pourquoi avez-vous toujours voulu aller à la rencontre de la population ?

Réponse : Indépendamment de l’aspect professionnel, nous avons (ma famille partage la même approche) toujours considéré qu’une mutation offrait une formidable opportunité de découverte. En France, sachant que nous ne sommes là que pour deux ou trois ans, nous sillonnons dans tous les sens, à chaque moment de liberté, la région d’affectation, à la rencontre du patrimoine. Nous considérons une affectation à l’étranger comme un privilège, une opportunité unique de découvrir plus qu’une région, une autre civilisation et, là aussi, nous essayons d’en profiter au maximum, en mettant l’accent sur la découverte de l’Autre.

En Afrique, il m’est arrivé, à parts égales, soit d’habiter en quartier africain soit, par nécessité de service, dans un quartier réservé aux coopérants. Mais dans ces deux cas notre attitude a toujours été la même : fuir à la première occasion les « ghettos de blancs » et éviter les mondanités stériles et artificielles, mais saisir toute occasion de découvrir le pays sous tous ses aspects. Combien, hélas, ai-je vu de « blancs » critiquer, juger, voire mépriser un pays ou une population qu’ils ne connaissaient même pas, dont ils faisaient parfois même abstraction, se contentant de profiter de leur statut en restant confinés dans leurs quartiers et leurs « clubs » ! Autant rester à Paris !

Question : Non pas « une », mais « des » Afrique(s), précisez-vous à plusieurs reprises. Vous connaissez toutefois particulièrement bien la grande région sahélienne, du Sénégal au Tchad. Au regard des événements actuels, quels peuvent être selon vous les sentiments des populations ? Comment, localement, peuvent-elles comprendre et gérer le regard que posent les grandes puissances sur la région sahélienne ?

Réponse : Là, nous sortons de la « carte postale grand public » et de la modeste approche socio-culturelle de mon Carnet, et répondre à cette double question en quelques lignes relève de la gageure tant le fond du problème est complexe. Mais avant de répondre, il me faut revenir, puisque vous les évoquez, sur « les » Afriques parmi lesquelles il y a, entre autres, l’Afrique blanche et l’Afrique noire, l’Afrique des nomades éleveurs et celle des agriculteurs sédentaires… La zone sahélienne se situe justement sur cette ligne de rencontre et d’échanges mais aussi de fracture et de rivalités, où, depuis la nuit des temps, prévalent ces grands antagonismes ancestraux -de nature ethnique-, qui sont au cœur des événements actuels.

Dans ce cadre, la question « touareg » -je mets le mot entre guillemets car cet ensemble n’est pas homogène- dépasse largement les frontières maliennes : un « Azawad » ou un « Touaregland » empièterait non seulement sur le Mali, mais aussi sur la Mauritanie, l’Algérie, le Burkina Faso, le Niger, la Libye et le Tchad. D’où d’insurmontables difficultés pour régler le problème dans son ensemble. Par ailleurs, il y a dans ces zones éloignées du pouvoir central, où les représentants de l’État sont soit corrompus voire impliqués, soit (s’ils veulent rester intègres) impuissants et marginalisés, une intrication de problèmes politiques, sur fond de terrorisme (AQMI et ses mouvements dissidents ou dérivés) et d’activités mafieuses (trafics de drogue, de carburant, d’armes, d’hommes), ces deux maux se confondant parfois. Cette « zone grise » touche ces mêmes pays.

Dans un tel contexte, quels peuvent être les sentiments des populations et leur regard sur les « grandes puissances » ? Les populations que j’ai rencontrées aspirent à la paix. Elles rejettent les extrémismes et se sentent impuissantes devant les fléaux évoqués supra, dont elles subissent les nuisances et qu’elles redoutent. Elles ne peuvent qu’approuver l’intervention française (pour l’instant, les autres « grandes puissances » sont bien timides), qui par ailleurs n’a été critiquée par aucun État d’Afrique noire. Cependant, un sentiment de frustration et d’impuissance de ne pouvoir régler le problème au niveau du seul continent est réel tant au niveau des populations que des États et de l’Union africaine. Enfin, les populations observent la France : ira-t-elle jusqu’au bout ? Comment pourra-t-elle concilier le respect de sa parole donnée au chef de l’État malien, auquel elle a répondu, et en même temps satisfaire les « Touaregs » qui veulent combattre à ses côtés et être reconnus, sans « trahir » ni désavouer le premier ? Chacune des populations attendant bien sûr la reconnaissance de ses droits et la satisfaction de ses demandes. La France est dans une position extrêmement délicate.

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Question : Vous évoquez rapidement (mais avec émotion),, à partir de la page 143, les anciens combattants africains rencontrés en particulier dans les réceptions officielles de nos ambassades. Quelle place occupent-ils aujourd'hui dans les sociétés de leurs pays respectifs ? Transmettent-ils des valeurs, des témoignages à leurs jeunes cadets et si oui lesquels ?

Réponse : En Afrique, le respect de l’Ancien reste une valeur forte même si, je l’ai dit, les valeurs traditionnelles confrontées à la modernité sont parfois remises en cause. J’ai souvent rencontré les Anciens combattants dans des « foyers », dont les locaux, il faut le souligner, sont souvent repeints ou entretenus par les forces françaises quand elles sont présentes. Ils y passent beaucoup de temps, assis sur des bancs, souvent désœuvrés, semblant trouver là leur seule famille et très heureux de recevoir un trop rare visiteur. Ils sont souvent discrets et je les ai rarement vus à des postes de responsabilité.

Quand ils venaient percevoir leur pension à la Pairie de France, certains venaient accompagnés de jeunes qui, hélas, semblaient voir en eux une source de revenus plus qu’un héros ou un modèle à suivre. À la limite, ces jeunes considéraient que cette pension n’était pas une reconnaissance des services rendus mais un dédommagement pour le "préjudice" infligé par les colonisateurs, reprochant à ces Anciens, aux crochets desquels ils vivaient pourtant sans vergogne, d’avoir été en quelque sorte des "collaborateurs".

Question : Parmi les nombreuses et savoureuses anecdotes que vous relatez, y en a-t-il une qui vous paraisse plus significative que les autres ? Laquelle et pourquoi ?

Réponse : Encore une question délicate car toutes ces anecdotes présentent des aspects différents, complémentaires et sont donc, à mon sens, également significatives. Toutefois, au regard des événements actuels, je retiendrai le chapitre sur la « démocratie » : à travers mes quelques témoignages, le lecteur comprendra que, manifestement, ce n’est pas la panacée. Je suis en effet intimement convaincu qu’à de très rares exceptions près, les règles de la « démocratie à l’occidentale » ne sont pas adaptées et ne peuvent être un facteur de stabilité, notamment dans des États pluriethniques. Le retour à la stabilité passe par un modus vivendi autre, une « cohabitation » à l’africaine, un système propre à l’Afrique, à ses valeurs traditionnelles, bref un système qu’elle porte en elle et qu’elle doit redécouvrir et peut-être « dépoussiérer », mais sans ingérence extérieure, sans une « greffe » qui aboutira inéluctablement à un phénomène de rejet.

Question : A qui s’adresse ce livre ?

Réponse : A tous ceux qui veulent découvrir le continent africain, quelle qu’en soit la raison : parce qu’ils vont le rejoindre pour y travailler ou s’y promener, parce qu’ils sont interpellés par l’actualité et qu’ils « cherchent à comprendre », parce qu’ils veulent s’évader sans prendre l’avion, parce qu’ils cherchent à comprendre la diversité des civilisations… C’est la première étape d’une longue démarche initiatique.

Merci pour cette franchise de ton, et la spontanéité de vos réponses. A très bientôt.

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  • : Guerres et conflits XIXe-XXIe s. se fixe pour objectif d’être à la fois (sans prétendre à une exhaustivité matériellement impossible) un carrefour, un miroir, un espace de discussions. Sans être jamais esclave de la « dictature des commémorations », nous nous efforcerons de traiter le plus largement possible de toutes les campagnes, de tous les théâtres, souvent dans une perspective comparatiste. C’est donc à une approche globale de l’histoire militaire que nous vous invitons.
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Prochaine séance : pour la rentrée de septembre. Le programme complet sera très prochainement mis en ligne.

Publications personnelles

Livres

 

doumenc-copie-1.jpgLa Direction des Services automobiles des armées et la motorisation des armées françaises (1914-1918), vues à travers l’action du commandant Doumenc

Lavauzelle, Panazol, 2004.

A partir de ma thèse de doctorat, la première étude d’ensemble sur la motorisation des armées pendant la Première Guerre mondiale, sous l’angle du service automobile du GQG, dans les domaines de l’organisation, de la gestion et de l’emploi, des ‘Taxis de la Marne’ aux offensives de l’automne 1918, en passant par la ‘Voie sacrée’ et la Somme.

 

La mobilisation industrielle, ‘premier front’ de la Grande Guerre ? mobil indus

14/18 Editions, Saint-Cloud, 2005 (préface du professeur Jean-Jacques Becker).

En 302 pages (+ 42 pages d’annexes et de bibliographie), toute l’évolution industrielle de l’intérieur pendant la Première Guerre mondiale. Afin de produire toujours davantage pour les armées en campagne, l’organisation complète de la nation, dans tous les secteurs économiques et industriels. Accompagné de nombreux tableaux de synthèse.

 

colonies-allemandes.jpgLa conquête des colonies allemandes. Naissance et mort d’un rêve impérial

14/18 Editions, Saint-Cloud, 2006 (préface du professeur Jacques Frémeaux).

Au début de la Grande Guerre, l’empire colonial allemand est de création récente. Sans continuité territoriale, les différents territoires ultramarins du Reich sont difficilement défendables. De sa constitution à la fin du XIXe siècle à sa dévolution après le traité de Versailles, toutes les étapes de sa conquête entre 1914 et 1918 (388 pages, + 11 pages d’annexes, 15 pages de bibliographie, index et cartes).

 

 caire damasDu Caire à Damas. Français et Anglais au Proche-Orient (1914-1919)

 14/18 Editions, Saint-Cloud, 2008 (préface du professeur Jean-Charles Jauffret).

Du premier au dernier jour de la Grande Guerre, bien que la priorité soit accordée au front de France, Paris entretient en Orient plusieurs missions qui participent, avec les nombreux contingents britanniques, aux opérations du Sinaï, d’Arabie, de Palestine et de Syrie. Mais, dans ce cadre géographique, les oppositions diplomatiques entre ‘alliés’ sont au moins aussi importantes que les campagnes militaires elles-mêmes.

 

hte silesieHaute-Silésie (1920-1922). Laboratoire des ‘leçons oubliées’ de l’armée française et perceptions nationales

‘Etudes académiques », Riveneuve Editions, Paris, 2009.

Première étude d’ensemble en français sur la question, à partir du volume de mon habilitation à diriger des recherches. Le récit détaillé de la première opération civilo-militaire moderne d’interposition entre des factions en lutte (Allemands et Polonais) conduite par une coalition internationale (France, Grande-Bretagne, Italie), à partir des archives françaises et étrangères et de la presse de l’époque (381 pages + 53 pages d’annexes, index et bibliographie).

 

cdt armee allde Le commandement suprême de l’armée allemande 1914-1916, édition annotée et commentée des souvenirs de guerre du général von Falkenhayn 

14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2010.

Le texte original de l’édition française de 1921 des mémoires de l’ancien chef d’état-major général allemand, accompagné d’un dispositif complet de notes infrapaginales permettant de situer les lieux, de rappeler la carrière des personnages cités et surtout de comparer ses affirmations avec les documents d’archives et les témoignages des autres acteurs (339 pages + 34 pages d’annexes, cartes et index).

 

chrono commChronologie commentée de la Première Guerre mondiale

Perrin, Paris, 2011.

La Grande Guerre au jour le jour entre juin 1914 et juin 1919, dans tous les domaines (militaire, mais aussi politique, diplomatique, économique, financier, social, culturel) et sur tous les fronts. Environ 15.000 événements sur 607 pages (+ 36 pages de bibliographie et d’index).

 

 Les secrets de la Grande Guerrecouverture secrets

Librairie Vuibert, Paris, 2012.

Un volume grand public permettant, à partir d’une vingtaine de situations personnelles ou d’exemples concrets, de remettre en lumière quelques épisodes peu connus de la Première Guerre mondiale, de la question du « pantalon rouge » en août 1914 à l’acceptation de l’armistice par von Lettow-Vorbeck en Afrique orientale, après la fin des hostilités sur le théâtre ouest-européen.

 

Couverture de l'ouvrage 'Mon commandement en Orient'Mon commandement en Orient, édition annotée et commentée des souvenirs de guerre du général Sarrail

14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2012

Le texte intégral de l'édition originale, passé au crible des archives publiques, des fonds privés et des témoignages des acteurs. Le récit fait par Sarrail de son temps de commandement à Salonique (1915-1917) apparaît véritablement comme un exemple presque caricatural de mémoires d'autojustification a posteriori

 

 

Coordination et direction d’ouvrages

 

Destins d’exception. Les parrains de promotion de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr

SHAT, Vincennes, 2002.

Présentation (très largement illustrée, 139 pages) des 58 parrains qui ont donné leur nom à des promotions de Saint-Cyr, entre la promotion « du Prince Impérial » (1857-1858) et la promotion « chef d’escadrons Raffalli » (1998-2001).

 

fflLa France Libre. L’épopée des Français Libres au combat, 1940-1945

SHAT, Vincennes et LBM, Paris, 2004.

Album illustré présentant en 191 pages l’histoire et les parcours (individuels et collectifs) des volontaires de la France Libre pendant la Seconde guerre mondiale.

 

marque courageLa marque du courage

SHD, Vincennes et LBM, Paris, 2005.

Album illustré présentant en 189 pages l’histoire des Croix de Guerre et de la Valeur Militaire, à travers une succession de portraits, de la Première Guerre mondiale à la Bosnie en 1995. L’album comporte en annexe une étude sur la symbolique, les fourragères et la liste des unités d’active décorées.

 

  90e anniversaire de la Croix de guerre90-ANS-CROIX-DE-GUERRE.jpg

SHD, Vincennes, 2006.

Actes de la journée d’études tenue au Musée de l’Armée le 16 novembre 2005. Douze contributions d’officiers historiens et d’universitaires, français et étrangers, de la naissance de la Croix de guerre à sa perception dans la société française, en passant les décorations alliées similaires et ses évolutions ultérieures.

 

france grèceLes relations militaires franco-grecques. De la Restauration à la Seconde guerre mondiale 

SHD,Vincennes, 2007.

Durant cette période, les relations militaires franco-grecques ont été particulièrement intenses, portées à la fois par les sentiments philhellènes qui se développent dans l’hexagone (la France est l’une des ‘Puissances protectrices’ dès la renaissance du pays) et par la volonté de ne pas céder d’influence aux Anglais, aux Allemands ou aux Italiens. La campagne de Morée en 1828, l’intervention en Crète en 1897, les opérations en Russie du Sud  en 1919 constituent quelques uns des onze chapitres de ce volume, complété par un inventaire exhaustif des fonds conservés à Vincennes.

 

verdunLes 300 jours de Verdun

Editions Italiques, Triel-sur-Seine, 2006 (Jean-Pierre Turbergue, Dir.).

Exceptionnel album de 550 pages, très richement illustré, réalisé en partenariat entre les éditions Italiques et le Service historique de la Défense. Toutes les opérations sur le front de Verdun en 1916 au jour le jour.

 

DICO-14-18.jpgDictionnaire de la Grande Guerre

(avec François Cochet), 'Bouquins', R. Laffont, 2008.

Une cinquantaine de contributeurs parmi les meilleurs spécialistes de la Grande Guerre, 1.100 pages, 2.500 entrées : toute la Première Guerre mondiale de A à Z, les hommes, les lieux, les matériels, les opérations, les règlements, les doctrines, etc.

 

fochFerdinand Foch (1851-1929). Apprenez à penser

(avec François Cochet), 14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2010.

Actes du colloque international tenu à l’Ecole militaire les 6 et 7 novembre 2008. Vingt-quatre communications balayant tous les aspects de la carrière du maréchal Foch, de sa formation à son héritage dans les armées alliées par des historiens, civils et militaires, de neuf nations (461 pages + 16 pages de bibliographie).

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