De la guerre froide à l'Algérie et au terrorisme international
Constantin Melnik
Voilà le genre de volume qu'il est difficile de chroniquer, car nous sommes à la limite du mélange des genres (ce qui sur ce sujet peut d'ailleurs être un atout).
Déjà auteur, à partir de son expérience personnelle, de plusieurs études sur le thème de l’espionnage, celui qui fut « coordonateur du renseignement » à la fin de la guerre d’Algérie auprès de Michel Debré, Constantin Melnik, dresse un tableau fort peu encourageant des services français : « Nous touchons le point sensible véritablement génétique qui mine les services secrets français … ‘L’espionnage à la française’ est, en effet, vicié en profondeur par une difficulté proprement sidérante de procéder au ‘recrutement’ d’agents humains, susceptibles de vous renseigner sur les secrets les mieux dissimulés de leur pays ». Evoquant, plutôt qu’un « 0 pointé », un peu glorieux « 3 ou 4 sur 20 », l’auteur traite essentiellement de la période de la guerre d’Algérie et de la guerre froide, puis s’intéresse aux dessous de la Françafrique et termine par un survol des réformes entreprises entre 1981 et « La révolution Sarkozy : un emplâtre sur une jambe de bois ? », non sans parti pris partisan à plusieurs reprises.
Objectivement, le livre présente un très réel intérêt : il est finalement peu courant qu’un observateur attentif de ces questions, lui-même anciennement impliqué dans la direction des services, fasse connaître franchement –voire crûment- son analyse. Il faut aussi considérer qu’il s’agit d’un ouvrage à charge, presque un pamphlet, rédigé sur un ton vif et alerte, sans grandes précautions de vocabulaire. Deux critiques sont récurrentes : le grave manque chronique de moyens financiers et humains d’une part et l’omniprésence de militaires non formés (ou mal formés) dans un univers qu’ils ne comprennent et ne maîtrisent pas d'autre part. Les qualificatifs dont se trouvent affublés les principaux intervenants au dossier sont à cet égard significatifs, et les responsables civils du SDECE puis de la DGSE ne sont pas épargnés. Passons rapidement sur le général De Gaulle (« Dieu Vivant » ou « le Verbe » ; « tout aussi pragmatique que vivant dans l’imaginaire » ; « le pouvoir, même s’il daigne s’intéresser aux services secrets, a plutôt tendance à les rêver »). Guichard, Pompidou, Frey, « ne s’intéressaient, dans l’ombre, qu’aux carrières et fortunes qu’ils bâtiraient ». Jacques Foccart, « le Phoque » ou « le Bacille », « dévoué à de Gaulle comme le plus obéissant des chiens -‘La Voix de son Maître’ susurraient ses détracteurs ». Couve de Murville et Messmer « n’étaient eux que des laquais dans les domaines diplomatiques et militaires que le Dieu Vivant s’était réservés ». Le préfet Jean Morin, « tout juste bon à cirer les bottes du sautillant ‘compagnon’ Chaban-Delmas », « mou comme du caramel ». Les groupes de pression ne sont pas mieux servis (« Anciens de la France Libre, certes héroïques jadis, mais aujourd’hui d’une compétence toute relative ») que les généraux (« un insignifiant Crépin » et « l’individualiste Gambiez »). Après la fin de la guerre d’Algérie, le relatif renouvellement du haut personnel ne vaut généralement pas aux nouveaux titulaires des appréciations plus élogieuses. Alexandre de Marenches n’est pas épargné et dans la période récente, seul ou presque le colonel, puis général, Rondot (« aussitôt récupéré par la DST comme directeur adjoint, poste où il illustrera ses dons exceptionnels ») semble trouver grâce aux yeux de Constantin Melnik.
Concernant les opérations en elles-mêmes, l’auteur est le plus souvent critique. De l’enlèvement de Ben Barka à l’affaire du Rainbow Warrior, il y a quelques exemples « croustillants » mis en exergue. Les succès, ou présentés comme tels, à l’exemple du dossier Farewell, sont plus que relativisés : « Farewell-Vetrov, qui relève plus d’un roman psychologique que d’une illustration des techniques réelles de ‘l’espionnage’, s’est présenté de lui-même à une DST dont ce n’était d’ailleurs pas la mission ». Pour l’auteur, « la déficience générale des ‘cadres’ ne permet donc d’accorder que l’assez médiocre note de 12 sur 20 ».
Un ouvrage polémique donc. Dans un domaine aussi sensible, par nature aussi peu enclin à l’archivage (et encore moins à la consultation des documents conservés), ce livre est à la fois absolument à lire, et à prendre systématiquement avec le recul nécessaire.