Un siècle d'affiches communistes
Romain Ducoulombier
Superbe album ! Au catalogue depuis quelques jours de la maison d'édition créée par l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, ce beau volume est signé par un vrai spécialiste de l'histoire politique de la gauche en France, auteur en particulier de De Lénine à Castro. Idées reçues sur un siècle de communisme (Le Cavalier bleu, 2011). L'ouvrage s'articule chronologiquement autour des grandes périodes qui scandent l'existence du parti communiste, des "Années 20. Naissance d'un style" au "Piège Mitterrand" et s'intéresse à ce symbole de la communication de masse et du militantisme que fut l'affiche politique (dont on apprend que la première date de 1908).
On peut aborder les centaines d'affiches reproduites dans ce volume (il y en aurait quelques 8.000 conservées aux seules archives départementales du Val de Marne) sous plusieurs angles : celui de l'histoire des idées, bien sûr, puisqu'à travers leurs slogans elles témoignent des évolutions successives du parti ; celui de l'esthéique et de l'art également, puisque des signatures prestigieuses ont mis leur talent au service du parti ; celui de l'analyse comparative aussi puisque l'on sait bien qu'un thème hier à droite ou à gauche peut souvent se retrouver aujourd'hui, repris et reformulé, à l'autre bout de l'échiquier politique. A cet égard, l'affiche "Les paysans de France / Pour que le bonheur règne dans nos campagnes" de 1937 est, de manière étonnante, en quelque sorte annonciatrice par l'image véhiculée et le graphisme des campagnes ultérieures de Vichy en faveur du monde rural. De même, celle que nous reproduisons en bas d'article ("Pour que la famille soit heureuse") aux trois couleurs nationales, fait bien peu "révolutionnaire".
On ne résiste pas au plaisir de présenter quelques exemples pour le moins originaux, comme ce "retournement" de l'image du "bolchevique au couteau entre les dents" (ci-dessus), qui devient un couteau libérateur ; ou cette tentative comique (il n'est pas du tout sûr que les auteurs aient été au deuxième degré) de détourner la mode des productions américaines de sciences fiction à la grande époque d'Enterprise (ci-dessous).
Enfin, on en vient à se demander, au fur et à mesure des années, si la qualité esthétique des affiches ne diminue pas en proportion de la baisse d'influence électorale du parti. Avec la fin de "l'ère Marchais", le talent graphique, pour le moins, semble avoir abandonné les militants.
Ce magnifique volume comblera sans aucun doute tous ceux qui se passionnent pour l'histoire des idées politiques et leur traduction dans la vie nationale. Les éditeurs annoncent par ailleurs qu'il sera complété dans quelques semaines par un ouvrage parallèle sur un siècle d'affiches anticommunistes et que l'ensemble constituera "le portrait d'une époque violente et passionnée où la République s'est frayée un chemin plus étroit qu'on ne le pense".
Editions Les Echappés, Paris, 2012, 144 pages, 34 euros.
ISBN : 978-2-35766-053-3
Romain Ducoulombier a bien voulu répondre à quelques questions :
Question : Pouvez-vous nous présenter les différents fonds d’archives que vous avez explorés ?
Réponse : Le livre est fondé sur les collections exceptionnelles d’affiches de Michel Dixmier et Jean-Jacques Allévi. À l’exception de quelques documents, ce sont elles qui sont mises en avant d’une façon très attractive. Vive les Soviets, c’est d’abord un livre à feuilleter ! Mais l’ensemble –soit près de 150 affiches et documents – s’accompagne d’une histoire du graphisme communiste au XXe siècle que j’ai nourrie, quand c’était nécessaire, d’archives diverses. Une affiche, c’est un langage et si le message qu’elle délivre doit être intuitif pour être efficace, il faut aider le lecteur à le décrypter. Outre les archives de la police française, où j’ai déniché un ou deux documents-choc, j’ai surtout utilisé les archives intérieures du PCF disponibles aux Archives départementales de Bobigny (qui possède une magnifique collection d’affiches, dont le catalogue m’a été très utile) et dans les fonds russes du RGASPI. Ces documents offrent un éclairage inédit sur les tirages, la diffusion des symboles d’origine soviétique ou les rapports de certains dessinateurs avec Moscou.
Question : Les affiches présentées scandent et rythment les évolutions du discours du PCF au long de son histoire. Quelle époque vous paraît la plus florissante, ou la plus riche aux différents points de vue ?
Réponse : À l’évidence, le début de la Guerre froide, pour diverses raisons. D’abord parce que l’art de l’affiche politique est mûr, qu’elle n’est pas encore envahie par le photomontage, et qu’elle n’est pas recouverte par le triomphe (finalement assez tardif) de l’image télévisée. La puissance du PCF – il capte un quart de l’électorat à la fin des années 1940 – contribue à en faire un media qui atteint alors son utilité maximale : nourrir une vision manichéenne du monde, et servir de marquage identitaire à des « territoires » communistes soustraits (du moins symboliquement) à l’emprise de la « bourgeoisie ». La logique même de guerre « psychologique » caractéristique des débuts de la Guerre froide explique qu’elle serve comme une arme, avec une violence indéniable, mais aussi parfois avec humour. Des masses de militants étaient disponibles pour coller… Quant aux symboles, ils sont tous réunis au début des années 1950 : les drapeaux (rouge et tricolore), la faucille et le marteau, la « jeunesse du monde », les portraits réalistes-socialistes de Staline et, bien entendu, la célèbre colombe de la paix de Picasso.
Question : Dans le cadre général de vos travaux, après cette publication, dans quelle(s) direction(s) s'oriente(nt) vos recherches ?
Réponses : J’ai le goût des archives, comme on dit parmi les historiens, et je continue de les arpenter avec le peu de temps que me laissent mes charges d’enseignement dans le secondaire. Je crois pour ma part que le moment est venu de renouveler le questionnaire que le XXe siècle nous a légué pour étudier le phénomène communiste. Dans mes livres, j’ai décidé de l’attaquer comme un massif, par des versants inattendus, que ce soit par ses « origines » alléguées, ou ici par son graphisme. Les archives sont là, mais leur abondance ou leur caractère longtemps secret ne doivent pas nous intimider. Ce qu’elles attendent, c’est un regard neuf : allons-y ! Il faut du temps pour que de nouvelles directions se dessinent, et qu’elles gagnent un public qui y cherchera, non pas une nostalgie, mais un jugement sur le siècle qui s’éloigne résolument de nous. Je crois que le mythe de Spartacus sera ma prochaine victime, même si je me passionne aussi pour Aragon. Tout bien réfléchi, on doit au couple qu’il formait avec Elsa Triolet certaines des plus fortes images du folklore communiste français, à commencer par le « Parti des fusillés », une formule d’Elsa…
Question : Pourtant, tout le monde dit que le PC est mort, malgré le sursaut du Front de gauche. Cherchez-vous à l’expliquer ?
Réponse : Le succès du Front de gauche devrait susciter l’étonnement de tout historien ! On ne peut certainement pas dire qu’il était prévisible, même s’il ne durera peut-être pas. Il tient en partie au rapport d’autopsie, finalement assez juste, qu’en ont dressé Mélenchon, mais aussi François Furet (aussi surprenant que ce rapprochement puisse paraître…) : ce qui faisait tourner le PCF, c’était le jacobinisme et l’obsession de l’égalité, qui est le ressort de la guerre sociale à la française. La patrie, le drapeau, et l’idée de sacrifice. Ils emplissent littéralement l’affiche communiste. La dépendance politique, financière et idéologique à Moscou n’a jamais disparu. Mais ce qui fut une rencontre circonstancielle avec la nation, à la faveur du Front populaire, est devenu une dimension identitaire majeure du communisme français, parfois jusqu’à l’excès. Le livre le montre amplement. Le PCF n’est jamais parvenu à la claire conscience que sa survie était incompatible avec son attachement à la réalité desséchée de l’Union soviétique : il n’a pas survécu, en fait, à la disparition des générations staliniennes et c’est la peur de perdre son identité et de se banaliser dans l’offre politique de la gauche renouvelée par Mitterrand qui l’a paralysé.
Question : Finalement, où en est l'affiche politique aujourd'hui ? A-t-elle été rangée par les médias modernes dans le grenier des objets oubliés ?
Réponse : Je n’en suis pas sûr, même si la présence généralisée d’écrans dans les cafés ou les couloirs du métro parisien peut le laisser penser. L’affiche politique contemporaine se situe au bout d’une logique qui s’est enclenchée, pour différentes raisons, à la fin des années 1960, et que la présidentialisation de la Ve République a accélérée : le marketing a imposé sa simplification progressive, et le livre permet de bien suivre cet appauvrissement. Mais comme toujours en matière de propagande de masse, l’impact de cette nouvelle publicité politique est difficilement mesurable, ce qui ne signifie pas qu’il soit nul, au contraire. Une mauvaise affiche est toujours catastrophique ! Il suffit de se souvenir de l’affiche « Présider autrement » de Jospin en 2002… Je crois que l’affichage communiste a opposé une forme de résistance à cette évolution inéluctable, que renforcent aujourd’hui la privatisation progressive de certains espaces publics et l’invasion de la publicité. Et pourtant, dans le déferlement actuel d’images, la fixité de l’affiche peut devenir un atout, alors même que tout l’art du graphisme avait consisté à la conjurer par la simulation parfois géniale du mouvement. Il lui reste à mes yeux un avantage : celui d’imposer son message instantanément, de façon tout à fait intuitive, sans recourir à l’attention et à l’écoute prolongées du passant. Dans un monde qui se dépolitise tendanciellement, ce n’est pas négligeable.
Merci Romain pour toutes ces précisions, et plein succès pour ce beau livre.