Armes en guerre, XIXe - XXIe s.
Mythes, symboles, réalités
François Cochet
Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Lorraine (Metz), François Cochet, déjà auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs sur la Première Guerre mondiale, offre ici une étude exhaustive sur les liens qui unissent les soldats à leurs armes, au grès de près de deux siècles d'histoire militaire et d'évolutions technologiques depuis le milieu du XIXe siècle, qu'il relate et étudie avec autant de soin scientifique que de passions communicative.
Cette dimension d'analyse et d'introspection s'intègre pleinement dans les rouages de la culture de défense, en relevant directement de "l'expérience combattante" sur laquelle François Cochet travaille notamment depuis plusieurs années. Si les soldats entretiennent un lien presque charnel avec leurs armes, il n'en demeure pas moins que le nombre de militaires relevant des unités traditionnellement considérées comme strictement combattantes n'a cessé de diminuer régulièrement par rapport aux services de soutien et logistique et surtout aux appuis, dont la primauté stratégique fut de plus en plus évidente au cours des deux conflits mondiaux et par la suite. La distinction ancienne entre le combattant "de première ligne" et le soldat de l'immédiat arrière-front tend à s'estomper.
Ainsi, François Cochet met-il bien au coeur de son étude l'interrelation entre la technologie au service de la guerre et la perception que peut en avoir le soldat, de manière générique mais aussi particulière, au grè des époques et des phases conflictuelles considérées ; entre choix des armes, emploi et effets sur l'homme. Le tout est appuyé sur de nombreux exemples et des témoignages pertinents.
Un ouvrage tout en finesse, inscrit dans une démarche de chercheur authentique.
Pascal Le Pautremat
Pour compléter cette présentation, nous avons souhaité nous entretenir directement avec l'auteur :
Question : François Cochet, pouvez-vous nous expliquer votre démarche dans la préparation et la rédaction de ce livre ?
Réponse : Après aoir travaillé, depuis une vingtaine d'années, sur les prisonniers de guerre, je m'intéresse à ce que j'appelle "l'expérience combattante". Il s'agit d'appréhender le comportement des hommes au feu et d'analyser leurs capacités d'adaptation au combat. Pourtant, depuis quelques temps, un manque se faisait sentir dans ma réflexion : les armes, qui sont "l'outil" du combattant, n'étaient pas souvent prises en considération. Des ouvrages existent, soit strictement techniques ou descriptifs chez les amateurs de "militaria" ou, à l'extrême opposé, chez des auteurs qui prétendent suivre des approches anthropologiques manquant souvent de dimensions concrètes. En revanche, il n'existait pas, à proprement parler, d'ouvrage traitant du sujet avec les méthodes de la science historique, faite de références recoupées et de citations. C'est ce manque que j'ai voulu combler. J'ai souhaité appréhender les guerres de la deuxième moitié du XIXe siècle à nos jours, en essayant d'adopter le regard des combattants qui se trouvent confrontés à des conditions de combat toujours évolutives. Des arsenaux ou des bureaux d'étude en passant par les utilisations sur le terrain et jusqu'au moment où il faut éventuellement rendre l'arme ou la détruire parce que la défaite est là : c'est un peu ce cycle que j'ai voulu décrire pour la première fois.
Question : Pour vous, que s'agissait-il de mesurer ou d'évaluer ?
Réponse : En plongeant dans les ouvrages de la fin du XIXe siècle, on s'aperçoit aisément que les militaires ont été, bien entendu, les premiers à mesurer les effets dévastateurs d'une vraie révolution des armements. La question se pose alors de mesurer les effets de ce qui a été souvent décrit comme un "mur de feu" sur les soldats soumis au stress du champ de bataille. Pour juger les réactions sur le terrain, il m'a fallu accumuler les témoignages des acteurs, afin de donner un sens à ces évolutions. Mesurer des nouveautés et des invariants des comportements sur le champ de bataille a constitué ma principale préoccupation scientifique. Pour cela, il faut suivre tout d'abord les grandes évolutions des armements terrestres : puissance de feu de l'infanterie et de l'artillerie ou évolution des blindés par exemple, en ne perdant pas de vue la dimension essentielle de la recherche qui demeure le regard du combattant.
Question : Quelles nouveautés essentielles pensez-vous apporter à travers ce livre ?
Réponse : Il s'agit de rester modeste. L'historien universitaire ne devrait pas être systématiquement dans la culture du "scoop" empruntée aux médias. Mais un ouvrage scientifique apporte aussi son lot de nouveautés ou de réinterprétations. Dans ce registre, je revendique deux principaux acquis de cette recherche. D'abord, le fait d'avoir accumulé des témoignages nombreux et référencés de ce qui peut (aux yeux des soldats, et selon des chronologies guerrières variées) passer pour une "bonne" ou une "mauvaise" arme. Ces jugements de valeur, les perceptions de la qualité ou des défauts de ses propres armes ou de celles de l'adversaire, n'avaient jamais été exprimées de manière synthétique jusqu'ici. Ensuite, j'ai essayé de consacrer un chapitre à la manière dont les armes sont photographiées, depuis que le procédé existe. Je propose une typologie de la photo des armes qui n'avait jamais été dressée. Tous ces systèmes de représentations des armes participent aussi d'une histoire militaire renouvelée.
François Cochet, merci et à très bientôt pour de nouveaux travaux.