La machine de guerre américaine
La politique profonde, la CIA, la drogue, l'Afghanistan, ...
Peter Dale Scott
Canadien, enseignant à l'université de Berkeley, actvement engagé contre la guerre du Vietnam, Peter dale Scott a été l'un des principaux promoteurs de la notion de "politique profonde", cherchant dans les rouages les plus secrets de l'Etat les explications aux événements contemporains. Il s'est par ailleurs depuis longtemps intéressé aux questions des trafics internationaux en tous genres et aux rôles des servies spéciaux : à la conjonction des deux, "cette interaction pernicieuse, meurtrière, permanente et souvent criminelle, entre les forces des opérations secrètes et celle du trafic de drogue", voici son dernier livre en français.
L'ouvrage est divisé en quatre grandes parties de tailles inégales ("Vue d'ensemble", pp. 47-76 ; "La C.I.A. et la drogue dans le monde", pp. 79-212 ; "Les événements profonds, la connexion narcotique globale et le terrorisme", pp. 215-315 ; et "Les Etats-Unis et l'Afghanistan aujourd'hui", pp. 317-343) qui permettent de dresser un tableau sans doute très complet des relations entre des services officiels bien que secrets, théoriquement organes de défense d'un Etat démocratiques, et les responsables ou parrains des trafics les plus illicites. D'évidence, de Thaïlande en Amérique du Sud, du Laos en Afghanistan, du Mexique au Moyen-Orient, les contacts (pour ne pas dire les liens) entre des membres de la C.I.A et les réseaux internationaux de trafic de drogue ont été (sont ?) nombreux. D'évidence, les trafics illicites les plus divers ont été ici ou là couverts ou protégés pour favoriser telle ou telle action politique. D'évidence, le discours politique officiel n'est pas toujours conforme (loin de là) à la réalité des actions sur le terrain. Bien sûr, la "privatisation de la guerre" ouvre la porte à de nombreuses dérives ou compromissions. Faut-il pour autant en conclure que la C.I.A. manipule les présidents américains ? Est-ce suffisant pour affirmer que les Américains favorisent le trafic de drogue par al-Quaïda et en profitent ?
Il y a là, on le voit bien, un pas qu'il est très difficile de franchir, sauf (en l'état actuel des connaissances) à adhérer à une mystérieuse "théorie du complot", qui dépossèderait tous les dirigeants gouvernementaux de volonté d'action pour n'en faire que des jouets, des marionnettes aux mains de quelques puissants personnages de l'ombre. Vieux fantasme amplifié par la complexité et les contradictions de nos sociétés, qui ne se prévalent que des notions de "bien" et des idéaux les plus purs, alors que la réalité de l'action publique est, et a toujours été, dans certaines de ses méandres, bien moins honorable.
Nous avons, en fait, la faiblesse de considérer que Peter Dale Scott a raison pour de nombreux exemples et qu'il met justement en évidence de vraies dérives, mais nous ne pouvons nous résoudre en synthèse à valider ses conclusions, faites de généralisations à notre sens trop hâtives. Peut-être est-ce une marque d'un indéracinable optimisme ? En conclusion, le livre est non seulement intéressant mais important. Il lève le voile sur une "histoire de l'ombre", certes peu glorieuse et peu honnête, de Truman à George W. Bush, mais (hélas) aussi vieille en réalité que les Etats organisés depuis qu'il en existe. Il faut également souligner que le livre est enrichi d'une utile liste des acronymes utilisés, ce qui permet au lecteur peu au fait de toutes ces subtilités de s'y retrouver dans le dédale des organisations, et de 130 pages de notes, bibliographie et index. Un travail militant marqué par une opposition ancienne à l'interventionnisme américain (l'une des dernières phrases précise : "Ma dernière acclamation va aux pacifistes américains qui nous ont donné, en pleine guerre froide, des exemples exceptionnels de la façon dont une société peut être refaçonnée de manière significative par la persuasion non violente issue de la base"), mais sous cette réserve un travail d'une rare densité et d'une particulière richesse.
Coll. 'Résistances', Editions Demi-Lune, Plogastel Sant-Germain, 2012, 501 pages, 23 euros.
ISBN : 978-2-917112-19-9