Héros

Journal de déportation

De Natzweiler-Struthof à Dachau

Arthur Poitevin

Ce petit volume est à la fois étonnant et attachant. Relevons néanmoins (déontologie de l'historien) que le texte a été écrit non pas au jour le jour mais après les évènements, l'auteur connaissant (heureusement) la fin de l'histoire. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'un témoignage à chaud. Enfin, il faut relever la personnalité tout à fait atypique de ce résistant déporté : aveugle depuis l'âge de trois ans, musicien et professeur de musique, poète aussi.

Le récit commence avec le départ en train pour la déportation, et se termine après le retour en France libérée en 1945. Est-ce le développement de ses autres sens du fait de la cécité ? Arthur Poitevin parvient à donner des descriptions très précises des gens qu'il croise ou des lieux où il séjourne. Par ailleurs, il ajoute presque toujours une note complémentaire qui permet de restituer l'ambiance du moment. Il décrit ainsi peu après son arrivée en camp de concentration l'organisation intérieure : "Les SS, gens cyniques et habiles, se déchargeaient d'une partie de leur travail sur les prisonniers. C'est ainsi que l'administration intérieure du camp était assurée par des déportés : chef de block, chef de chambre, kapo d'infirmerie, de cuisine et des divers kommandos, tout cela sous le contrôle suprême des 'têtes de mort'. Au dessous, les nettoyeurs, balayeurs, porteurs de soupe, interprètes, tampons, comptables de block ou de chambre, toute une hiérarchie d'obscurs parasites fourmillaient, intriguant, briguant, schlaguant, foulant le petit, roulant le gros. Au dernier échelon, la masse anonyme des numéros, bons pour la matraque, la corde ou le four". Les descriptions des interminables appels matinaux sont absolument à lire, tout comme le récit de ce soir de Noël 1944 ("C'est une date à peu près semblable aux autres sauf qu'elle est plus triste et plus décevante, car elle nous rappelle trop ce que nous avons perdu"), au cours duquel il va aller de chambrée en chambrée pour chanter 'Minuit Chrétien', tandis que les kapos se gavent et que l'aviation alliée bombarde Munich. On imagine la scène. De même, on reste sidéré devant la saleté, le caractère sordide des blocks dans lesquels ils doivent (sur)vivre. L récit de la libération du camp est également prenant et on est presque étonné de sa relative déception lors de son retour en France, où il se trouve confronté en particulier à une administration inflexible.

Un petit livre que l'on conservera soigneusement avec les ouvrages traitant de la répression et de la déportation durant cette période.

OREP Editions, Bayeux, 2023, 103 pages. 15,90 euros.

ISBN : 978-2-8151-0685-6.

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