La bataille de Marioupol
25 février - 20 mai 2022
Sylvain Ferreira
Il fallait une sacré dose de courage ou d'inconscience pour se lancer dans le récit à chaud (très chaud) de la bataille sans doute la plus emblématique des premiers mois du conflit russo-ukrainien. Un pari très osé et finalement une belle réussite.
En s'appuyant sur un très large panel de sources ouvertes croisées d'origines diverses (ukrainiennes, russes, occidentales), l'auteur ambitionne en effet "d'écrire une première histoire de la bataille de Marioupol sous l'angle militaire pour comprendre comment il s'inscrit dans les problématiques du combat urbain de haute intensité". Pour se faire, il organise son propos en quatre chapitres principaux : "Forces et doctrines", "L'investissement", "La bataille" et "Bilan et perspectives". Conscient que ni le temps de la justice ni celui de l'accès aux archives ne sont venus, l'auteur prend soin de préciser les limites de ses sources. Il précise également dès l'introduction les antécédents de l'unité "Azov" qui accède à la célébrité télévisuelle mondiale à l'occasion de ces combats. Elle est bel et bien issue d'une mouvance clairement néo-nazie, qui a été sanctionnée par le Congrès américain en 2018 avec interdiction pour le gouvernement de fournir "des armes, des instructeurs ou n'importe quel soutien" à ses combattants... Sylvain Ferreira détaille donc les forces ukrainiennes (avec soutien de l'OTAN) à la veille de la bataille, puis les forces russes et séparatistes, avant de s'intéresser aux doctrines d'emploi, en particulier en milieu urbain. Il aborde également la question de l'emploi des forces spéciales et des sociétés militaires privées dans le même cadre (pour ce qui peut être connu), en particulier du côté russe après le RETEX réalisé à partir des opérations en Syrie. A partir du 25 février, pour s'emparer de Marioupol, "les Russes et leurs alliés de la république populaire du Donetsk ont planifié une attaque sur deux, voire trois axes". L'auteur reconstitue jour par jour les mouvements, d'abord jusqu'au 3 mars (investissement opérationnel de la ville), puis toujours quotidiennement jusqu'à la chute des dernières défenses. Il souligne au fur et à mesure les évènements majeurs (arrivée des milices tchétchènes le 14 mars, séparation des différents secteurs défensifs ukrainiens le 6 avril ("Il apparaît clairement que la garnison ukrainienne est bel et bien divisée en deux, voire trois, poches de résistance"), l'ultime résistance dans le réduit de l'usine Azovstal à partir du 21 avril. La dernière partie commence par une critique des moyens d'information : "Certains médias vont vainement tenter de tordre la réalité militaire du terrain en parlant d'évacuation. Cette pirouette lexicale grotesque ne change pourtant rien, ni à la victoire militaire avérée des forces alliées, ni à la résistance héroïque des défenseurs ukrainiens". Il s'intéresse ensuite aux pertes des deux camps et se demande si Marioupol constitue une "nouvelle référence du combat urbain" ? La conclusion est prudente mais la comparaison avec les combats en Syrie laisse penser que "les Russes et leurs alliés ont fait jeu égal avec la coalition à Mossoul, mais cette fois contre un adversaire conventionnel bien entraîné, bien encadré, bien équipé, et ce avec des moyens largement inférieurs, une doctrine en cours de révision et des impératifs temporels bien plus exigeants".
Les quelques 210 notes référencées qui terminent ce petit volume offrent à la fois autant de possibilités d'identifier les sources et de poursuivre la recherche. L'ouvrage n'est sans doute pas définitif, les évènements sont trop frais, mais il pose une première pierre et nous permet de mieux comprendre des combats qui ont envahi nos écrans de télévision pendant tout le printemps. A lire, critiquer et conserver, d'autant que son coût modeste doit en faciliter l'acquisition.
Editions Caraktère, Aix-en-Provence, 2022, 111 pages, 10,- euros.
ISBN : 9782916403625
Pour commander directement le livre : ici.