Napoléon III
Alain Frèrejean
Auteur prolifique ayant travaillé aussi bien sur Tito que sur l'histoire industrielle ou coloniale, Alain Frèrejean nous propose aujourd'hui une nouvelle biographie du "neveu", surnommé "Napoléon le Petit" et au règne (on le sait aujourd'hui) noirci par les historiens, les politiques et les publicistes de la IIIe République naissante. Mais il va aussi au-delà.
En trois grandes parties ("L'imposteur", "Le pionnier", et "Le malade"), Alain Frèrejean réalise à la fois une biographie du dernier empereur des Français mais aussi un large tableau de ce qu'était la France de l'époque et de ses évolutions. Il revient bien sûr longuement sur la jeunesse du futur Napoléon III, en particulier ses pérégrinations européennes (en particulier les séjours en Angleterre) qui indiscutablement contribuent à forger sa personnalité et ses piètres tentatives de coup d'Etat de jeunesse, à Strasbourg ou à Boulogne ; il détaille ensuite les aléas politiques de son retour dans l'hexagone à la suite de la chute de Louis-Philippe, son élection comme député et les modalité de son accession à la présidence de la République (une campagne financée par une véritable cavalerie financière). Finalement, un Louis-Napoléon obstiné et assez habile, élu avec 74% des suffrages. Chef de l'Etat, il utilise avec brio les chemins de fer naissants pour apprendre à connaître un pays où il n'a jamais réellement vécu mais aussi se faire personnellement connaître en province. Au fil des pages, des personnages importants sont successivement présentés, Persigny, Morny, Haussmann, mais aussi Thiers et bien d'autres ; tandis que les questions financières ne cessent d'être présentes en fond de tableau et que la vie privée du prince-président reste pour le moins agitée. Devenu empereur en en appelant au peuple, Napoléon III "invente la propagande et la publicité" (anecdote de l'origine supposée du pompon rouge des marins en 1858). Il est également un chaud partisan et un acteur de la modernisation du pays, à travers d'importants travaux d'infrastructure et les efforts en faveur de l'industrie nationale. Cependant, en dépit de la promesse antérieure, "l'empire, c'est la guerre", dès le rapprochement avec Londres en 1853 que suit l'intervention dans "la guerre d'Orient". On sait que les opérations militaires ne vont pas cesser, d'Indochine au Mexique, d'Afrique au Levant et en Italie. L'empereur montre toutefois ses limites : "Au grand jeu de la diplomatie, où il avait quelque prétention, Napoléon III va trouver plus fort que lui". En fait, à partir du milieu des années 1860 l'empire ne remporte plus un succès significatif et l'image qu'en donne l'auteur est assez mesquine, un côté "boutiquier" qui cherche à tirer un petit profit de situations qu'il ne contrôle pas. Désormais fatigué et malade, Napoléon III doit également composer avec son épouse Eugénie, dont les interventions politiques sont de plus en plus marquées, et avec sa famille (dont son cousin Jérôme-Napoléon, dit Plon-Plon), et se préoccupe de la situation sociale etmorale dans le pays : "L'hiver ne se passera pas sans coups de fusil", écrit-il en 1869. Au terme de la crise diplomatique franco-prussienne du printemps et de l'été 1870, Alain Frèrejean présente Napoléon III non pas comme un va-t-en-guerre, mais comme un homme affaibli et isolé, entouré d'une épouse et de ministres qui "sont pour la guerre, comme presque tous les journaux". Dans le détail des journées qui suivent la fameuse "Dépêche d'Ems", il apparaît bien que l'empereur opte pour la paix mais finit par se résigner à la guerre sous la pression de ses proches et conseillers. Et "l'impératrice laisse partir pour l'armée un homme malade". Au cours de la triste campagne, où il gagne un dernier surnom ("l'empereur-bagage"), Napoléon III constate les désordres qui se multiplient dans les armées françaises mais se distingue surtout par son incapacité à prendre des décisions judicieuses, lorsqu'il prend exceptionnellement une décision. Après les premières défaites commence la débâcle, puis Sedan... Et l'empereur fait le choix de se rendre au roi de Prusse en espérant sauver le trône de son fils. Après un bref séjour en Allemagne, c'est l'exil pour l'Angleterre via Ostende, dernier exil qui se termine pendant la préparation d'une ultime tentative de retour en France, en janvier 1873. Ses obsèques voient la participation de milliers de Bonapartistes, mais le dernier mot revient au prince impérial, désormais en école militaire anglaise, qui aux cris de "Vive Napoléon IV !" invite à préférer celui de "Vive la France".
Un portrait sans jugement excessif, mais précis, détaillé, à hauteur d'homme, qui met en relief les ambitions et les limites de Napoléon III.
Fayard, Paris, 2017, 390 pages, 24,- euros.
ISBN : 978-2-213-70142-4.