Carnets d'un fantassin
(7 août 1914 - 16 août 1916)
Charles Delvert
Ce témoignage, à placer indiscutablement parmi les récits les plus importants de la Grande Guerre, est bien connu des spécialistes mais mérite de connaître une plus large diffusion. Cette réédition (2003) des carnets originaux tenus par le commandant de la 8e compagnie du 101e RI est placée, comme l'édition originale, sous le signe de la détermination et de la volonté : "Ils grognaient, mais ils marchaient toujours".
Le livre est divisé en trois parties principales, qui correspondent aux grandes périodes vécues par l'auteur avant que de multiples blessures ne soient causées par les minen en août 1916 dans le secteur de Maisons-en-Champagne. La première partie nous raconte les terribles combats de la bataille des frontières et de la retraite (le 26 août, "il reste cent vingt-sept hommes sur deux cent soixante-deux, deux officiers sur quatre, tous les deux blessés"), la contre-offensive de septembre et le début de la course à la mer. Il ne néglige aucune description tactique, précise les mesues qu'il prend, note les pertes sous le feu ("Ah ! Les forces morales ! Elles ne font pas défaut. Sous le déluge des bombes nous restons. Mais le moindre canon de 240 ferait bien notre affaire"). La deuxième partie est constituée par la célèbre "Histoire d'une compagnie", de novembre 1915 à juillet 1916. Si le récit des engagements est particulièrement réaliste, on apprécie la qualité des descriptions de ses hommes, de ses camarades, de ses chefs, comme ce commandant de bataillon qui paraissait avoir plus de 50 ans et qui "en est resté, au point de vue militaire, aux grandes manoeuvres et au service", ou ce général de division ("sexagénaire aimable et courtois") qui annonce aux stagiaires du cours des commandants de compagnie qu'il faut "s'entraîner en vue de la reprise de la guerre normale ... C'est-à-dire les bonnes vieilles grandes manoeuvres chères à nos professionnels. Ils n'en ont pas encore fait leur deuil". Il sait pourtant relativiser ce que voient les officiers du front mais dresse parrfois le constat des différences de situation au regard de ce qu'il observe : "Certainement, il vaut mieux être capitaine d'artillerie que colonel d'infanterie". Il y souligne l'importance de l'instruction sur le combat des petites unités du 8 janvier 1916 ("On ne lutte pas avec des hommes contre du matériel. Enfin ! Il est dur de penser qu'il a fallu dix-huit mois de guerre pour concevoir cette vérité première ... Mais quand cette vérité pénètrera-t-elle les cerveaux ankylosés des extraordinaires officiers supérieurs que M. Le bureau nous envoie ?"). Ce sont alors les combats de Verdun (avec d'intéressantes considérations sur l'organisation des défenses accessoires) jusqu'à l'héroïque défense de R1, en avant du fort de Vaux. On y perçoit bien que les combats de mai-juin 1916 sont, au minimum aussi durs et aussi acharnés que ceux des 21-25 février. Et toujours cet aller-retour entre la situation en première ligne et les commentaires déplacés qu'il entend venant de l'arrière-front : "Les vantardises niaises qui permettront aux pantouflards de respirer l'héroïsme sous les espèces d'un parfum grossier auquel ils sont accoutumés, voilà ce qu'il faut que nous fournissions aux gens de l'arrière, en même temps, d'ailluers, que nous devons vivre dans la boue, le sang et l'épouvante pour qu'ils puissent à loisir jouir de leurs aises". La troisième partie enfin, la plus courte, traite du séjour dans "Un secteur calme", en Champagne, de début juillet à la mi-août, avec toute la problématique de la guerre de position : "Le B.A.BA de la guerre est évidemment l'emploi de ces fils de fer, qui rendent impossible l'accès d'une position. Le moindre tireur derrière un rideau intact, ou presque, arrêterait une demi-section", ce qui donne une idée du rapport de force nécessaire.
Un témoignage exceptionnel, par un capitaine de réserve qui combat en première ligne, agrégé et professeur d'histoire et qui sait donc relever les choses importantes et relativiser ce qui l'est moins. Un témoignage indispensable que l'on peut se procurer sur les sites de vente par correspondance, mais aussi dans tous les "points librairie-boutique" des sites de Verdun (Mémorial, fort de Vaux, fort de Douaumont, etc.). A connaître et à conserver.
Collection "Mémorial de Verdun", Les éditions des Riaux, 2003, 435 pages, 17,- euros.
ISBN : 2-84901-001-4.