Koutiepov
Le combat d'un général blanc : de la Russie à l'exil
Nicolas Ross
Auteur de plusieurs ouvrages sur la période révolutionnaire en Russie et la guerre civile, Nicolas Ross publie aujourd'hui une intéressante histoire du général Koutiepov qui fut, à partir de 1917, très étroitement associé à toutes les actions entreprises par les Blancs contre les Bolcheviques, d'abord dans le cadre de la guerre civile russe, puis à partir de ses lieux d'exil.
Les deux premiers chapitres posent le cadre général de l'action et rappelle ce que fut la carrière, en particulier durant la Grande Guerre de celui qui n'est encore que colonel en 1917. Les qualités de Koutiepov, sa détermination, son sens tactique y sont en particulier mis en valeur. Puis l'ouvrage se concentre sur la période 1920-1930. Celui qui a été nommé au plus haut grade de la hiérarchie militaire russe par le général Wrangel commence son exil avec ses troupes repliées de Crimée sur la péninsule de Gallipoli, où le dénuement est à peu près complet et où il faut déployer des trésors d'imagination pour organiser la vie, l'alimentation, la santé, la formation des futurs cadres, maintenir la discipline, etc. Peu à peu, les détachements, "régiments", écoles militaires sont transférés vers la Bulgarie ou la Serbie-Yougoslavie. Surnommé "le général de fer" (sa détermination confine souvent à la rudesse, voire à la cruauté, lors des combats de Crimée par exemple), il acquiert une place exceptionnelle dans le dispositif russe blanc en exil : "Koutiepov incarnait l'armée russe à l'étranger tout court ... Il était l'incarnation et le symbole de l'armée. Et c'est en cette qualité qu'il est devenu une figure centrale de l'émigration russe". Certes monarchiste, mais russe avant tout, il entre progressivement dans l'action clandestine, sans cesser pour autant d'agir en faveur de ses anciens soldats, désormais regroupés en "associations". Ces chapitres ("Dans les Balkans" en particulier) sont l'occasion de passionnantes pages sur la place que tiennent ces anciens soldats de l'armée impériale russe dans la vie de la Bulgarie du début des années 1920. Tout le "petit" et le "grand" peuple de la communuauté russe en exil passe successivement devant nous, à l'occasion des déplacements de Koutiepov et des réunions auxquelles il participe dans les différentes villes européennes où les uns et les autres se sont repliés, y compris le grand-duc Nicolas Nokolaïevitch (entre Antibes et le château de Choigny près de Paris). C'est à cette époque (mi-1924), qu'il se lance dans l'action secrète et clandestine. Après avoir présenté les deux grandes associations militaires (l'Union des Anciens de Gallipoli et surtout l'Union générale des combattants russes), qui jouent un rôle essentiel au sein de l'émigration, l'auteur s'intéresse de près aux missions de renseignement et contre-révolutionnaires poursuivies sur le sol même de l'URSS naissante pendant les années 1920. Le portrait du général Koutiepov devient moins net, on se demande parfois dans quelle mesure il ne fait pas preuve d'une confondante naïveté devant les actions des services soviétiques, et à tout le moins on reste parfois étonné face à certains choix alors qu'il sait parfaitement que ses interlocuteurs ou correspondants sont des agents de l'OGPU. Entre vrais et faux traitres, et même si certains événements relatés relèvent davantage de l'anecdote d'une part et si le caractère très contestable de certaines sources en rend l'analyse critique délicate d'autre part, on est impressionné par le nombre d'actions conduites (et parfois l'ambition de certaines d'entre elles) sur le sol même de la Russie jusqu'à une date très avancée. Les deux derniers chapitres sont consacrés à la mystérieuse disparition de Koutiepov en plein Paris aux premiers jours de 1930 et aux hypothèses envisagées lors de l'enquête et depuis. Son corps ne sera pas retrouvé, mais les agents doubles (voire triples) sont nombreux. Nicolas Ross envisage les différentes pistes, cependant l'action des services de renseignements d'URSS semble difficile à exclure.
En résumé, une vie qui tient du roman, mais du roman vrai, sur fond de survivance de l'armée impériale en exil, de lutte contre le bolchevisme et d'actions troubles des services spéciaux. Un sujet original et passionnant, même si la partie finale devra nécessairement être croisée avec d'autres analyses.
Editions des Syrtes, Paris, 2016, 333 pages, 23,- euros.
ISBN : 978-2-940523-38-2.