La monarchie impériale
L'imaginaire politique sous Napoléon III
Juliette Glikman
Depuis quelques années, les études sur le Second empire ont profondément renouvelé notre connaissance de cette période longtemps marquée, par les fondateurs de la IIIe République, du sceau de l’incompétence, voire de l’indignité et de la honte. Dans cet ouvrage, qui tient parfois tour à tour de l’histoire politique, culturelle ou sociale, de l’analyse sémantique et de l’étude des symboles, l’auteure apporte une nouvelle et utile contribution à l’ensemble de ces travaux.
Après avoir affirmé en introduction « [qu’] astre solaire des Bourbons et aigles impériales se conjuguent pour célébrer un régime qui réunit l’héritage monarchique et la révolution de 1789 … Corps impérial et corps populaire sont à l’unisson … La dynastie, comblant les vœux de la France, s’apparente au phénix, renaissant des cendres du passé afin de féconder l’ère nouvelle », Juliette Gilkman divise son travail en trois grandes parties de trois chapitres chacune. La première, « Les titres de légitimité de la monarchie impériale » s’intéresse au lien particulier qui existe (au moins durant un temps) entre la population et le souverain (« Voter, acclamer, louer, la trinité démocratique ») et à l’héritage monarchique le plus lointain, en partie repris dans l’histoire (mythifiée) du pays. La seconde, « La société napoléonienne et la sauvegarde sociale », rappelle la volonté d’incarner (ou une certaine incarnation) tout à la fois la volonté populaire et un régiment transcendant, de garantir l’ordre et la grandeur sans oublier les intérêts populaires (« L’Empereur ! C’est-à-dire l’homme qui résume la France, non pas avec l’égoïsme absorbant et superbe d’un Louis XIV, mais avec la grandeur de la souveraineté populaire, une main sur le drapeau qui représente l’honneur du pays, l’autre sur l’urne qui représente des millions de voix »). Hiérarchies traditionnelles, familiales, politiques, se conjuguent avec la volonté (au moins exprimée) de prendre en compte les demandes du peuple travailleur. La troisième enfin, « Inscription providentielle et symbolique impériale », rappelle les références semi-officielles à « l’élection » des premiers rois francs par les guerriers, « référence aux plaids généraux de l’époque franque, présentés abusivement comme des amorces d’assemblées constituantes ou législatives » et ce retour à des pratiques supposées plus naturellement « démocratiques » se traduit par l’abandon des notions de sacrilège ou de régicide lors d’attentat contre la personne de l’empereur : on parle désormais plus simplement d’entreprise criminelle. Cette ambigüité, dans les discours comme dans les faits, est voulue et entretenue par Napoléon III lui-même, qui se présente comme le nouveau modèle du souverain, à la fois élu de Dieu et des hommes : « Appelé au trône par la Providence et par la volonté nationale du peuple français, mais élevé à l’école de l’adversité, il m’est peut-être moins permis qu’à un autre d’ignorer et les droits des souverains et les légitimes aspirations des peuples ». Une ambigüité voulue, entretenue, qui nous dit Juliette Gilkman, donne finalement naissance à un régime et à un concept politique qui n’est plus exactement le bonapartisme pour devenir le « napoléonisme ». Un système original, atypique, et peut-être tout simplement transitoire en ce milieu du XIXe siècle qui connait, dans tous les domaines de l’activité et de la pensée humaine, tant de bouillonnements et de changements. Peut-être aurait-on pu distinguer davantage entre une présentation voulue et organisée d'une part et la perception, plus évolutive dans le temps, des citoyens.
Un ouvrage qui passionnera sans doute tous les amateurs d’histoire du XIXe siècle, mais aussi tous ceux qui s’intéressent à l’évolution des idées politiques, tout en fournissant sur différents points l’occasion de nombreuses controverses et de multiples débats.
Nouveau Monde éditions, Paris, 2013, 540 pages, 26 euros.
ISBN : 978-2-36583-854-2.