Napoléon III
La modernité inachevée
Thierry Lentz
Spécialiste bien connu du Premier Empire, Thierry Lentz appartient à cette génération d'historiens qui ont entrepris de rendre justice à Napoléon III et à son règne, après les longues années de "légende noire" auxquelles ils avaient été condamnés par les hommes politiques et les historiens de la IIIe République.
"On admet de mieux en mieux que, de l'accession au pouvoir à sa chute du trône, il fut un homme politique original, que son gouvernement n'était pas plus implacable que d'autres, contemporains et postérieurs, que sa politique étrangère n'était pas qu'erratique et fut longtemps bénéfique à la France, que son action économique et certaines avancées sociales de son règne avaient des aspects modernes, en tout cas en avance sur son temps". Le ton est donné dès l'introduction et en neuf chapitres bien construits et rondement menés, l'auteur nous entraîne sur les pas de ce fils de roi (Louis, roi de Hollande) et neveu d'empereur qui connaît rapidement l'exil (Suisse, Pays de Bade, Italie), jusqu'à relever le drapeau du bonapartisme et connaître à deux reprises la prison avant les succès électoraux de 1848. Devenu le "prince-président", premier président élu de la République française, il prononce le 2 décembre 1851 la dissolution de l'Assemblée nationale et le rétablissement du suffrage universel. Son coup d'Etat sera sévèrement condamné par une petite partie des élites, mais "on a cherché en vain les traces des exécutions sommaires et massives dénoncées par Victor Hugo dans 'Histoire d'un crime' et d'ailleurs il y eut entre 380 (rapports officiels) et 1200 (journaux anglais) morts civils, dont la plupart lors de la fusillade des Boulevards. Le véritable bilan se situe probablement entre 300 et 400 tués. Même lourd, il est comparable ou nettement inférieur à ceux d'autres émotions populaires de l'époque, ce qui n'excuse rien mais rétablit des ordres de grandeur". A l'exception de quelques départements (Sud-ouest, Midi, Massif central), la province ne bouge pas et approuve plutôt : "elle considéra majoritairement que la remise en ordre parisienne ne pourrait pas faire de mal au pays". Thierry Lentz aborde alors une série de chapitres thématiques qui permettent de mieux connaître et comprendre d'abord la personnalité de Napoléon III ("L'impériale énigme") et ses préoccupations personnelles, puis le rôle, la place et l'influence réelle de sa famille et de son entourage proche. Il s'intéresse ensuite à l'action politique de l'empereur et se demande s'il a fait preuve de modernité dans ce domaine ("A l'apogée de son règne, Napoléon III imposa la réforme douce du régime ... Admettre une dose de parlementarisme était, certes, un renoncement au principe essentiel du bonapartisme (la concentration de l'autorité), mais c'était aussi préparer un avenir à une monarchie en quête de modernité") ; avant de consacrer quelques belles pages à sa politique extérieure. Enfin, le chapitre 8 accorde une place essentielle à la formidable croissance de l'économie sous son règne. L'étude se termine bien sûr par la désastreuse campagne de l'été 1870 et le drame de Sedan où, malade et affaibli, il n'exerce déjà plus ni le pouvoir, ni le commandement.
Alors que la conclusion revient sur "la mauvaise réputation" du dernier souverain français et son évolution récente : "Son aventure individuelle, de l'exil aux Tuileries en passant par les cases "prison" et "suffrage universel", fascine ... Deux mots aujourd'hui en vogue suffiraient pour exprimer l'actualité de l'histoire du second Napoléon : mondialisation et modernité". Une chronologie détaillée et plusieurs pages de sources et bibliographie complète ce volume, dont il faut souligner également la qualité formelle (papier, impression, etc.) et la richesse d'une abondante iconographie.
Perrin, Paris, 2022, 256 pages, 25,- euros.
ISBN : 978-2-262-09681-6.
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