Brève histoire de l'Inquisition en Espagne
Joseph Pérez
De Charles Quint à Philippe II ou Isabelle la Catholique, Joseph Pérez a déjà consacré de nombreux ouvrages à l'histoire de l'Espagne et, dans celui-ci (paru pour la première fois en 2002), il nous entraîne à partir du XVe siècle à travers l'histoire de l'Inquisition.
Dans une longue première partie (chap. I et II), l'auteur en décrit avec précision l'histoire. Créée dans le cadre de la crise économique, sociale et politique de connaissent les royaumes ibériques, et de la montée parallèle d'un antisémitisme populaire, religieux et d'Etat, la Sainte Inquisition s'intéresse d'abord, tout particulièrement, aux juifs pratiquants eu aux juifs convertis de fraiche date au catholicisme, ces "conversos" que l'on soupçonne de toujours pratiquer, en secret, la religion de leurs pères. Le nom de Torquemada, grand inquisiteur de Castille puis inquisiteur général, est alors entré dans l'histoire (et la légende) noire de l'Espagne : il "passe pour le prototype de l'inquisiteur fanatique et cruel. Il a incontestablement fait preuve d'une sévérité extrême, même si, comme nous le verrons, le nombre de ses victimes est moins élevé qu'on ne le dit". C'est bien, néanmoins la période de répression la plus sévère. Dans l'atmosphère de victoire qui suit la reconquête du royaume de Grenade, Torquemada inspire le décret de mars 1492 qui donne aux Juifs quatre mois pour quitter les terres espagnoles : entre 50 et 100.000 (la moitié des juifs d'Espagne) s'exilent au Portugal, dans les Flandres, en Afrique du Nord, à Constantinople ou à Salonique, "où il conservent jusqu'au XXe siècle certaines des traditions de leur pays d'origine et l'usage de leur langue, le judéo-espagnol, issu du castillan tel qu'on le parlait en 1492. C'est l'origine des communautés séfarades d'Orient". Au XVIe siècle, avec Philippe II puis Philippe III, qui réunissent les couronnes de Castille et du Portugal, l'Inquisition continue son oeuvre, mais les "conversos" négocient des adoucissements en achetant, dans l'entourage des souverains, avec de fortes sommes en ducats et cruzados d'or, le retour à une certaines liberté, toujours fragiles. Parallèlement, depuis 1502, les musulmans ("morisques") ont également été contraint de se convertir, conversion devenue obligatoire en 1526. Si la répression est globalement moins sévère, elle s'accroît néanmoins au XVIIe siècle : le décret d'expulsion est publié en août 1609 (globalement de l'ordre de 300.000 départs). Dans le même temps, les protestants et réformés sont à leur tour poursuivis, et l'archevêque de Tolède, primat d'Espagne, lui-même est mis en accusation. Paradoxalement, alors que les bûchers se multiplient en Europe, "l'Inquisition s'est montrée plutôt indulgente envers les sorcières ... Il les tient pour des victimes plus que pour des criminelles" : il semble que "pour la majorité des inquisiteurs, la sorcellerie s'explique par l'ignorance". A la fois institution religieuse, mais aussi (et parfois surtout) politique, l'Inquisition n'est (une première fois) supprimée qu'en décembre 1808 par Napoléon Ier, avant de n'être définitivement abolie qu'en 1834.
Joseph Pérez s'intéresse ensuite (chap. III à V) aux modes de fonctionnement de cette organisation si particulière, son intégration à l'appareil d'Etat, les responsabilités des différents niveaux hiérarchiques, son financement, les procédures d'arrestation, d'instruction des procès (avec la question de la torture) et aux jugements. "Seule institution d'Ancien régime à avoir compétence sur tous les ordres de la société ; elle ignore les privilèges du clergé et de la noblesse"; mais les Grands échappent pour la plupart aux peines "corporelles et infâmantes". L'historiographie récente a revu à la baisse le nombre total de ses victimes : une dizaine de milliers néanmoins... Institution politique, dont l'auteur peut dire qu'elle est "dans certains aspects, une anticipation du totalitarisme moderne", l'Inquisition influence très fortement pendant des siècles la société espagnole et elle sera accusée, par son fanatisme religieux radical, d'avoir largement contribué à la décadence intellectuelle et économique de l'Espagne.
L'ouvrage, qui se termine sur une bibliographie de référence, permet de mieux comprendre l'Espagne métropolitaine des XVIe-XVIIIe s., trop souvent méconnue dans la littérature en français. Précis, documenté, il se révèle particulièrement utile et intéressant sur l'histoire politique et culturelle du pays. A lire et à conserver.
Coll. 'Texto', Tallandier, 2013, 324 pages. 10,50 euros.
ISBN : 979-10-210-0090-2.