Les revers de la guerre en Grèce ancienne
Pascal Payen
A la fois un état des connaissances sur le sujet et une réflexion sur les enseignements les plus pertinents. Dans cet ouvrage de quelques 450 pages, Pascal Payen n'aborde pas uniquement la "tactique" (la technique du placement et de la manoeuvre des troupes sur le champ de bataille), mais la "stratégie" (l'art de la conduite supérieure de la guerre, de son contrôle et pourquoi pas de son évitement).
En quatre parties d'une très grande richesse et aux innombrables références et citations ("Sociétés guerrières ou sociétés en guerre ?", "Violences en guerre. Autopsie, morphologie, récit", "Cités sur la défensive" et "La guerre à l'âge historiographique"), l'auteur s'interroge sur "la représentation de la guerre" pour les Anciens : "Il ne s'agira donc pas d'un exposé en soi sur les méfaits de la guerre. Différemment, par 'revers de la guerre', on entend deux registres complémentaires ... mettre à jour la face occultée de la guerre, révéler son autre versant, ... analyser la manière dont les sociétés du monde grec n'ont jamais cessé de mettre en débat leur rapport à la guerre [...] La guerre est analysée par les Grecs comme un échec qu'il faut conjurer dans des registres complémentaires, par le choix de certaines armes, protectrices ou défensives, par des institutions, par des modalités de discours, par des comportements collectifs, des formes de sensibilité, des projets ou des réflexions politiques venus des philosophes".
C'est donc toute la problématique de la guerre dans la cité qui est abordée, et pour dresser un tableau aussi complet que possible de son sujet Pascal Payen nous entraine des "Lois de la guerre" (mais oui, déjà !) à "L'univers clos de l'hoplite, tueur et victime", avec les questions subséquentes des morts, des blessés et des prisonniers, mais aussi "La guerre des non-combattants" avec son cortège "ordinaire" de "Pillages, Massacres, Viols et tortures". Des pages (pp. 132-183) qui seraient à rapprocher de discours très actuels sur la "brutalisation" particulière supposée de la Première Guerre mondiale par exemple. Les aspects tactiques et techniques ne sont pas oubliés pour autant, avec un chapitre VI (3e partie) consacré à "La guerre hoplitique" et, par exemple, un intéressant développement sur "Le bouclier, arme offensive". Pour l'auteur, la "poussée" de la phalange "exprime la dimension collective de la tactique hoplitique, comme si l'ennemi recevait le choc de la cité égalitaire. Une telle disposition, pensée et ordonnée autour du bouclier, instrument de chacun et de tous, explique l'unique raison d'être des boucliers tels qu'ils sont : ni trop grands, en définitive, car chaque bouclier a pour fonction de protéger deux fantassins ; ni trop lourds non plus, car, au sein de la phalange, l'hoplite n'a pas à faire face seul à un ennemi". Pascal Payen traite ensuite de l'acceptation par les cités grecques de la guerre, dans les institutions et le fonctionnement de l'Etat ; puis s'interroge sur les récits de guerre et établit une véritable historiographie des représentations et de l'image du phénomène guerrier dans la littérature antique.
On peut certes, et c'est même vivifiant, ne pas être d'accord avec toutes les analyses de l'auteur, mais celui-ci appuie sa démonstration de très nombreuses citations et un retour systématique à l'éthymologie de chaque mot. Il souligne en conclusion que "la cité confie aux citoyens la charge d'une guerre défensive, qui ne supprime certes pas la violence, mais qui peut en limiter la fréquence sinon l'intensité. La guerre de conquête n'est pas inscrite au programme politique de la cité grecque ... Par leurs usages sociaux et leurs institutions politiques, par leurs modes de discours et leurs pratiques culturelles, les Grecs ont peu à peu inventé et élaboré des modes de connaissance de la guerre quui soient aussi des ressources pour en assurer le contrôle".
Un beau livre d'analyse et de réflexion complété par plus de 80 pages de notes et références, une très riche bibliographie et un index complet. Un vrai ouvrage de synthèse qui ouvre d'intéressantes pistes, que l'on se doit de lire et de méditer.