Etre soldat
de la Révolution à nos jours
François Cochet
Dans cette nouvelle étude (attendue depuis son récent Armes en guerre, XIXe-XXIe s., ici), François Cochet atteint un niveau supérieur de maturité et de synthèse, que seule permet une longue pratique et une véritable maîtrise d'un sujet. Dans ce volume, il nous propose rien de moins qu'une étude dans le temps long du soldat français et commence par ces mots : "Etre soldat n'est décidément pas un métier ordinaire".
Avec beaucoup de nuances et un grand souci des subtiles transformations progressives mais aussi des permanences qu'il est possible d'identifier, l'auteur aborde toutes les facettes du sujet. Il dresse d'abord un bilan d'une évolution générale de la composition des armées, "Du professionnel au peuple en armes : l'histoire d'un aller-retour" ; puis s'interroge sur les valeurs qui pourraient être plus ou moins spécifiquement militaires (ou au moins revendiquées comme telles) et qui en quelque sorte structurent les hommes comme la collectivité : "Le métier des armes : honneur, discipline et obéïssance, hiérarchie", à la fois dans leurs perceptions anciennes et actuelles, leurs manifestations au combat et leurs traductions successives dans les textes réglementaires. Il s'intéresse ensuite ("Sinstruire pour combattre") à la formation et à la préparation opérationnelle, des différents niveaux de scolarité que les armées ont connu en deux siècles au RETEX d'aujourd'hui, sans oublier le rôle, important dans notre histoire, des réservistes. Dans une quatrième partie, François Cochet aborde les changements dans "Les formes de la guerre", de l'épopée révolutionnaire et impériale aux Opex actuelles, en passant par la conquête coloniale, les guerres mondiales et celles de décolonisation (avec un focus particulier sur les troupes coloniales), et termine cette partie par quelques considérations sur "La condition des soldats au feu" : "Le combat n'est pas une activité intellectuelle, mais sensorielle et réflexe. Elle alimente sous des formes différentes et selon des gradations infinies une philosophie de bon sens terrien ou une réflexion appuyée sur des lectures approfondies. C'est avant et après le combat que l'on peut éventuellement philosopher. C'est d'ailleurs l'arrière qui philosophe bien davantage que les combattants eux-mêmes"... Phrase à méditer par les commentateurs "Je-sais-tout" !
Les deux chapitres qui suivent ("Craintes, blessures, captivité : les traumatismes du soldat", chap. 5 ; et "L'entre-soi : la culture militaire", chap. 6) nous permettent d'approcher certaines réalités intimes, rarement partagées avec le grand public qui n'en a souvent qu'une perception déformée. On note ici de bons développements sur la notion de camaraderie (de promotion ou au combat), sur les conditions d'avancement (on regrette que l'étude s'arrête sur ce point à l'entre-deux-guerres) ou sur "La montée de la culture interarmées". La fin de l'ouvrage examine le soldat dans son environnement général : "La grande muette, l'armée et la politique" (chap. 7), "L'image du soldat en France" (chap. 8) et "Le soldat, acteur social" (chap. 9). Contrairement à certains fantasmes trop répandus, "au XIXe siècle, comme au XXe siècle siècle, les soldats restent étrangers aux grands événements politiques ... Ainsi, il faut affirmer clairement que l'armée française n'a aucune vocation 'golpiste' contrairement à certaines armées d'autres Etats ... Si certaines unités ont participé activement à certaines aventures politiques, c'est toujours à titre anecdotique et reliquaire, l'immense majorité des forces armées demeurant fidèle au légalisme qui constitue son horizon culturel essentiel". Pas de langue de bois, un texte solidement appuyé et référencé.
On le voit, les thèmes abordés sont très nombreux et l'auteur fait ici oeuvre de synthèse et de pédagogie. Les lecteurs déjà spécialisés sur ces questions pourront regretter que la pagination relativement limitée dans cette nouvelle collection interdise de développer certains points. François Cochet, sans doute, a parfois été contraint d'alléger son texte pour rester dans le gabarit fixé par l'éditeur. Au demeurant, ce volume est dès à présent indispensable pour tout étudiant s'intéressant aux questions militaires et, par l'ampleur du champ traité, sera tout-à-fait utile à tous ceux qui veulent replacer ces différentes questions dans leur contexte. Un ouvrage très vivement conseillé.
Armand Colin, Paris, 2013, 285 pages, 22 euros.
ISBN : 978-2-200-24825-3.