Nous poursuivons notre "tour de France" des maisons d'édition que l'on qualifie de "petites" (par la surface financière), mais qui sont en réalité "grandes" (par la passion de leurs animateurs). Rencontre aujourd'hui avec :
Eric Labayle
(Indre-et-Loire)
Question : Les éditions ANOVI existent depuis une dizaine d'années. Quelles sont les grandes collections et comment sélectionnez-vous les titres de vos ouvrages pour faire évoluer votre catalogue ?
Réponse : Les éditions Anovi ont été fondées en 2001 (premier titre, Carnets de guerre de Georges Curien, territorial vosgien, a été publié en novembre 2001). Nous travaillons autour de trois axes principaux : témoignages, biographies et monographies. Cela nous amène à publier sur des sujets plutôt précis, sans forcément chercher à concurrencer la "grande" édition. Il n'est en effet pas question pour nous de publier à nouveau Ceux de 14 de Genevoix, ni un traité global sur l'histoire de la Grande Guerre. D'autres s'en sont déjà chargés, et sans doute mieux que nous ne saurions le faire.
Nous sélectionnons les travaux qui nous sont proposés en fonction d'un critère qui est en fait une question : cet ouvrage apporte-t-il quelque chose à la connaissance et à la compréhension de la période historique qu'il aborde ? Cela nous laisse une grande latitude pour le choix de nos publications. Tel témoignage, par exemple, n'aura pas une grande valeur littéraire, mais il apportera un éclairage précieux sur les mentalités et les pratiques d'un corps social. Tel autre nous renseignera sur un épisode peu connu de la Grande Guerre, etc. En tant que "petit" éditeur, nous devons nous démarquer en tablant sur l'originalité de nos publications et sur leur qualité.
Question : Pour un "petit" éditeur, le problème n'est-il pas celui de la diffusion ? Comment procédez-vous pour faire connaître vos productions au public ?
Réponse : La diffusion est le talon d'Achille de toute l'édition. Et il y aurait beaucoup à dire sur le sujet ! Pour ce qui nous concerne, nous travaillons avec un diffuseur institutionnel, mais cela n'est pas suffisant. Il nous faut donc aller à la rencontre du public, que ce soit sur le web (par notre bouquet des sites web d'histoire ou par notre catalogue en ligne www.anovi.fr), dans les salons du livre, ou bien en organisant des événements (conférences prononcées par nos auteurs, cafés-histoire, etc.). C'est un travail extrêmement lourd, mais dont les enjeux sont vitaux.
Question : Etant donné votre expérience dans ce domaine, pensez-vous que le livre d'histoire soit toujours apprécié et conserve un avenir "commercial et intellectuel" ? Est-ce un créneau susceptible encore de se développer ?
Réponse : J'apporterai une réponse de Normand à cette question : oui et non. D'un point de vue commercial, il est illusoire d'espérer faire de l'édition de livres d'histoire une activité lucrative. Néanmoins, dans la crise actuelle que traverse le monde de l'édition, les éditeurs d'histoire s'en sortent un peu mieux que ceux qui publient des ouvrages de littérature, car ils bénéficient d'une clientèle de passionnés, certes restreinte mais fidèle et "ciblée".
Le problème qui se pose actuellement ne concerne pas que l'édition d'histoire. Il s'agit de la désaffection globale de nos contemporains pour l'écrit. On zappe, on s'étale devant la télévision, on va s'époumoner dans les tribunes d'un stade de foot ou bien on prévoit de passer des vacances aux antipodes ... Dans ce contexte, le livre (et plus généralement la culture) est laissé pour compte. Pour que le livre d'histoire se développe, il faut inverser la tendance et faire de la curiosité intellectuelle une valeur aussi forte que Secret Story...
Question : Dans votre politique éditoriale, accordez-vous une place particulière aux jeunes auteurs et chercheurs ? Percevez-vous l'émergence d'une "relève" et comment l'expliquez-vous ?
Réponse : Oui, nous accordons une place importante aux jeunes auteurs. Mais cela n'est pas particulier à Anovi. De nombreux "petits" éditeurs font de même. Nous avons notamment publié plusieurs mémoires de maîtrise dont nous sommes très fiers, car ce sont des travaux remarquables, qui abordent des sujets originaux avec des points de vue très stimulants. Il existe bien une "relève", mais le regard que je porte sur elle est très contrasté. Je ne sais pas si cette "relève" est prometteuse ou non. Tout ce que je sais, c'est que notre travail d'éditeur est de lui faire confiance et de l'accompagner pour lui permettre de prendre sa place dans le débat historique.
Question : Y a-t-il, dans l'ensemble de votre production un livre dont vous soyez particulièrement heureux ou fier de l'avoir imprimé et diffusé ? A courte et à moyenne échéance, quelle politique éditoriale allez-vous développer et quels sont vos axes d'efforts en termes de publications ?
Réponse : Je serais capable de défendre bec et ongles tous les ouvrages que j'ai publiés, car je les ai choisis et, malgré leurs inévitables défauts et leurs non moins inévitables lacunes, ils comportent tous un "petit plus" qui, à lui seul, justifie les risques pris pour leur édition. Si je ne devais citer qu'un titre d'Anovi concernant la Première Guerre mondiale, ce serait peut-être Par la plume et par l'épée, qui est à la fois une biographie et un témoignage, et qui propose à son lecteur un voyage émouvant et pétillant dans l'univers d'un écrivain boulevardier de la Belle Epoque, ... jusqu'à sa mort sur la Somme en 1916.
Quant à la ligne éditoriale d'Anovi, il n'est pas question de la faire évoluer, car il ne nous semble pas que nous en ayons exploré tous les contours. Et il reste encore tant de beaux projets dans nos cartons...
Eric, merci pour cette franchise de ton, et surtout plein succès dans vos prochaines initiatives.