De Kolwezi à l'Afghanistan avec le 2e REP
Adjudant-chef Jean-Claude Saulnier
A travers cette « histoire d’une vie », nous sommes quelque part entre le témoignage personnel et le récit remis en forme par une tierce personne. De ce point de vue, vous pouvez passer sans souci la demi-douzaine de pages d’avant-propos de Pierre Dufour. Mélangeant allégrement les thèmes et les notions, il en arrive à décrire immanquablement une Légion mythifiée, in abstracto, « ordre guerrier » qui « s’entraine, se réorganise et forge l’outil de combat du futur », en se nourrissant « des crises et des convulsions du vieux monde »… C’est peut-être « beau comme l’Antique », mais ce n’est pas de l’histoire.
Le reste de l’ouvrage est beaucoup plus intéressant, car il retrace l’ensemble d’une exceptionnelle carrière de sous-officier, celle de Jean-Claude Saulnier, qui découvre brièvement l’institution militaire à l’occasion de son service national au sein des Forces Françaises en Allemagne en 1974, puis pour une longue carrière complète lorsqu’il s’engage au poste de recrutement de la Légion étrangère à Poitiers en octobre 1977. Dès lors, il ne quitte plus sa « deuxième famille » jusqu’en 2011. Le livre prend alors tout son sens, d’autant plus que l’intéressé sert longtemps comme infirmier de ses unités d’affectation : il est tout à la fois au cœur du quotidien et néanmoins avec un regard légèrement décalé. Jean-Pierre Saulnier raconte sa vie, simplement. Il décrit ses expériences, les opérations auxquelles il participe, la vie au 2e REP, ses franchissements de grades, raconte ses observations et fait part de ses commentaires « à chaud » sur ce qu’il voit et sur ce qu’il vit. Dans la mesure où la quasi-totalité de sa carrière se déroule avec les légionnaires parachutistes, il multiplie les missions à l’étranger, souvent dans les secteurs les plus « chauds », de Kolwezi à l’Afghanistan en passant par le Gabon, Djibouti, le Liban, le Centre-Afrique, le Tchad, la Bosnie, le Kosovo, la Côte d’Ivoire, etc. On y croise aussi les figures (capitaines ou colonels à l’époque dans le récit) de plusieurs généraux de haut rang encore en service ces dernières années voire actuellement : à croire que le REP est de ce point de vue une véritable « pépinière ». Toute cette partie de l’ouvrage, marquée par la modestie de Jean-Claude Saulnier et la mesure de ses propos, offre d’innombrables précisions et anecdotes à ceux qui s’intéressent aux opérations extérieures conduites depuis la fin des années 1970. Son récit est vif, simple, clair, marqué au sceau du bon sens et ses observations au bon niveau : raconter ce qu’il a vu, ajouter ce qu’il en a pensé.
Parallèlement au récit de Jean-Claude Saulnier, Pierre Dufour intègre au fil des pages, dans le texte courant, des explications complémentaires : ici la description du quartier Viénot à Aubagne, là un rappel de la situation générale au Zaïre, plus loin une évocation du plan Habib au Liban en 1982, etc. Si ces paragraphes présentent parfois l’intérêt de replacer (plus ou moins) le récit du sous-officier légionnaire dans un contexte plus large, ne vous y attardez pas : au-delà de l’aspect purement factuel, il y a des longueurs et les explications sont parfois peu convaincantes (cf. par exemple les mouvements libanais et palestiniens décrits p. 169). Le plus simple est de prendre en repère visuel les guillemets (‘«’) qui ouvrent et ferment, en début et fin de lignes, les paragraphes des témoignages directs de l'adjudant-chef Saulnier, … et de s’intéresser essentiellement à eux. Vous irez au cœur du récit sans perdre de temps.
Au bilan, un beau volume de témoignage, sans emphase excessive. Une vie à la fois exceptionnelle parce qu’elle concentre en une seule de très nombreuses « aventures » individuelles et collectives, mais aussi dans laquelle des milliers d’autres soldats de tous grades ayant vécu plus ou moins ponctuellement, en tout ou partie, les mêmes expériences peuvent se reconnaître. Une contribution utile pour ceux qui voudront, demain, remettre du concret, de l’humain, « de la chair et des sentiments » dans le récit des OPEX de ces trente dernières années.
Editions Nimrod, Paris, 2013, 394 pages, 21 euros.
ISBN : 978-2915243536.