dans le piège afghan
Hervé Ghesquière
Voilà un ouvrage bien difficile à chroniquer, ne serait-ce que par l'émotion que souleva la longue détention de l'auteur et les polémiques qui suivirent sa libération.
Commençons donc par le plus facile, le récit de ces 547 jours aux mains de chefs taliban locaux de la province de Kapisa. Le texte d'Hervé Ghesquière nous permet, au fil des 33 chapitres presque tous chronologiques qui constituent l'ouvrage, de suivre son histoire avec un remarquable souci du détail, qui ne l'empêche pas ponctuellement de livrer quelques réflexions plus générales. Les conditions de détention, les phases d'abattement, la faim, l'espoir d'une douche, le froid, les marches en montagne malgré la faiblesse physique, l'écoute de la radio, les caractères très différents des geôliers successifs, la séparation puis les retrouvailles avec ses camarades, Stéphane Taponier et l'interprête Reza, les tensions retenues et qui soudain explosent, les échos de la mobilisation médiatique hexagonale, sa compagne et sa mère, l'envie de s'évader, les nuées d'insectes et la dysenterie, les espoirs déçus aux annonces d'une libération "prochaine" à laquelle on finit par ne plus croire tout en l'espérant pour le lendemain, la nécessité d'écrire quelques feuillets chaque jour pour garder l'esprit clair, etc. De ce point de vue, dans ce récit du quotidien, de ses angoisses, de ses douleurs, de ses espoirs et de ses peurs, le livre d'Hervé Ghesquière est à la fois poignant et prenant. Son témoignage touche, il est à lire et à conserver.
Vient alors l'aspect le moins agréable. Non seulement l'auteur ne se reconnaît aucune responsabilité dans le début des événements (rappelons qu'il a été capturé alors qu'il effectuait sans protection un reportage dans une zone non pacifiée), mais encore il prend systématiquement pour cible, au hasard des pages, la hiérarchie militaire. Alors qu'il fait le choix de s'éclipser un jour pour pouvoir effectuer son tournage hors de toute "surveillance" des officiers en charge de l'accompagnement des journalistes, il est pris en otage. A qui la faute ? Par ailleurs, il présente une théorie "abracadabrantesque" selon laquelle toute la chaîne hiérarchique, jusqu'au plus au sommet de l'Etat aurait été "intoxiqué" par un seul homme sur le territoire, un modeste lieutenant-colonel (ceux qui connaissent l'institution militaire et son fonctionnement en particulier dans des déploiements du type de l'Afghanistan comprennent aussitôt son poids réel dans un état-major sur-encadré) : "Tous les responsables politiques et militaires ont été informés par la même source et que cet officier était le seul à pouvoir abreuver sa hiérarchie de fausses informations qui seront relayées jusqu'à l'Elysée". De même, l'origine de tous ses maux est à rechercher du côté d'un malheureux lieutenant féminin (sans doute OSC Communication ?), accusé de faire "tout ce qui est en son pouvoir pour nous empêcher d'oeuvrer correctement. Elle installe une tension constante entre nous et les hommes que nous filmons ... Je pense honnêtement que cette manière d'agir ne doit rien au hasard mais est le fruit d'une politique délibérée". Et si on demandait aux soldats qui ont été filmés ce qu'ils pensaient de certains journalistes ? Et si on demandait aux autres dizaines de journalistes accueillis sur le territoire jusqu'ils ont pensé de la qualité du soutien des forces ?
Sans vouloir incriminer les uns ou les autres, un constat s'impose : on ne tourne pas un reportage en Kapisa avec les exigences d'un documentaire dans le Luberon. Sur un territoire en guerre sans front, où les embuscades sont quasiment quotidiennes et où chacun sait que les insurgés se cachent au sein de la population, le risque de tomber sur une équipe rebelle n'est-il pas à envisager lorsque l'on circule seul ? Et n'est-il pas hasardeux de vouloir "simplement" "prendre la route principale de cette province en vue de filmer et d'interviewer ceux qui vivent dans cette région" ? Pour ne pas l'avoir anticipé, l'auteur est resté 547 jours prisonnier. C'est bien sûr absolument regrettable et cette expérience l'a probablement profondément marqué, mais pourquoi s'en prendre de façon assez mesquine à un officier subalterne et un officier supérieur qui ne faisaient que leur travail ? C'est dommage.
Albin Michel, Paris, 2012, 300 pages. 18,50 euros.
ISBN : 978-2-226-24382-9