Massacres et génocides au XXe siècle
Daniel Jonah Goldhagen
Peut-on imaginer pire que la guerre ? Oui, nous répond Daniel Jonah Goldhagen : "Notre époque, que nous ferons commencer au début du XXe siècle, a vu se succéder les meurtres de masse, qui l'ont frappée l'un après l'autre avec une telle fréquence et, au total, une puissance de destruction si massive que le problème de la tuerie génociaire s'y révèle pire que la guerre".
Dans ce copieux volume de près de 700 pages, l'auteur a choisi d'organiser son discours en trois grandes parties, après une introduction générale visant à "Clarifier les termes du problème". Pour démontrer la difficulté de définir un "meurtre de masse", il commence par donner l'exemple des bombes atomiques largués sur le Japon à l'été 1945 : présentés comme un "massacre juste" puisqu'ils permirent d'écourter la guerre, ces raids n'en sont-ils pas moins des meurtres de masse ? Quelle est la part de l'éventuelle "justification morale" ? Y a-t-il un "seuil" en-dessous duquel la compréhension pourrait être de mise ? Comment contextualiser ces crimes, de la répression à l'expulsion de groupes sociaux ou ethniques ? Peut-on définir "l'éliminationnisme" et comment le différencier du génocide ? Le chapitre 2 ("Pire que la guerre. Notre époque : une époque de souffrance") tente de trouver ou de définir une cohérence d'ensemble et commence par l'évocation de la répresion conduite par le général allemand von Trotha en 1904 dans la colonie du Süd-West Afrika, considérée par Goldhagen comme "caractéristique de la politique des débuts du XXe s.", ce qui semble pour le moins excessif. Il traite bien sûr ensuite de la question arménienne en 1915, puis élargit sob étude à Hitler, Kim Il Sung, Polt Pot, Staline, Mao et jusqu'à l'Afrique des Grands lacs et aux Balkans. Au fil des pages, en un long cortège funèbre, tout y passe : l'Amérique centrale, l'Ethiopie, l'Irak, l'Inde ou le Timor.
Il détaille ensuite (Première partie, "Expliquer les attaques éliminationnistes", pp. 79-305) comment naissent, se déroulent puis se terminent ces meurtres de masse, alternant les exemples choisis dans différentes situations particulières pour identifier des constantes. Constatant que les "grands" de la planète n'interviennent jamais (ou trop tardivement), il s'interroge : "Pour que s'opère un changement véritable, nous devons réfléchir à la manière dont nous devons transformer l'environnement international". Il traite donc (Deuxième partie, "Les politiques éliminationnistes modernes", pp. 309-553) des fondements culturels de chaque société, du rôle individuel des principaux "génocideurs", des croyances et idéologies et des causes immédiates des différents crimes de masse modernes, puis s'attard esur le discours et la diffusion des idées "éliminationnistes" (déshumanisation et/ou diabolisation de l'autre). Passant ensuite du discours à l'action, il en décrit les modalités (on note quelques tableaux donnant des chiffres -effrayants- de nombre de victimes) et cherche à déterminer les ressorts de telles cruautés, du viol systématique (Bosnie, Rwanda) aux camps "de travail" et d'extermination. Enfin, l'auteur nous propose, dans une troisième partie ("Changer d'avenir") d'être attentifs aux nouvelles menaces (il s'attarde longuement sur "L'Islam politique" qui "présente les traits caractéristiques des civilisations éliminationnistes") et invite à un engagement plus ferme et plus résolu des grandes puissances démocratiques et de leurs opinions publiques pour le respect de leurs valeurs.
Cet imposant volume donne parfois le tournis, tous les explications des exemples présentés en appui de la thèse de l'auteur ne sont pas toujours absolument convaincantes, Daniel Jonah Goldhagen se laisse parfois, semble-t-il, emporter par sa démonstration. Mais il y a là un énorme travail de recension et de réflexion sur ce qui est bien l'une des calamités du XXe s., les massacres de masse. Sur ce plan, sa lecture est indispensable.
Fayard, Paris, 2012, 696 pages, 28 euros.
ISBN : 978-2-213-65468-3