Enseignements et expérience vécue
Erwin Rommel
Préface du colonel Michel Goya
Importante réédition que celle-ci. On sait que le futur maréchal Rommel fut, durant la Première Guerre mondiale, un exceptionnel officier subalterne au commandement de ses unités successives (le musée de Goriza, aujourd'hui en Slovénie, lui réserve un large espace dans les salles consacrées à l'offensive austro-allemande de l'automne 1917). Chacun a plus ou moins entendu parler de son livre de souvenirs et de réflexions militaires Infanterie greift an !, dont il n'existait pas jusqu'à ce jour une édition française complète et largement disponible pour le grand public. C'est désormais chose faite.
Dans sa préface, Michel Goya procède d'abord à une remise du texte dans le contexte de sa première édition allemande, le IIIe Reich de 1937 : "Il se trouve parfaitement coller aux attentes psycho-politiques de l'Allemagne nazie ... L'Infanterie attaque constitue alors aussi un outil d'autopromotion". Cependant, l'ouvrage conserve tout son intérêt aujourd'hui et "la lenteur des évolutions du combat d'infanterie depuis 1918 rend du coup la lecture de Rommel très fructueuse pour tout cadre d'infanterie".
En plus de 400 pages, Rommel raconte l'ensemble de "sa" Première Guerre mondiale, dans la guerre de mouvement comme dans la guerre de position, sur le front de France comme sur le front italien ou contre la Roumanie. Se présentant un peu à la manière d'un "journal" tenu (presque) au jour le jour (mais en réalité rédigé bien après les événements décrits), il s'en distingue en proposant à l'issue de chaque phase de combat un paragraphe "Observations", dans lequel lequel l'auteur s'efforce de tirer des enseignements (plus ou moins) généraux de l'engagement qui vient d'être décrit. A ce niveau, le livre conserve effectivement une totale actualité, dans les relations de commandement et avec ses subordonnés, dans la préparation de la mission par un lieutenant ou un capitaine, sur la question de ces fameuses "forces morales" dont on parle si souvent, sur l'emploi des armes collectives, etc.. Par ailleurs, dans les descriptions qu'il fait des préparatifs des combats ou du déroulement de ses missions, il évoque par exemple fréquemment l'importance de l'organisation défensive du terrain par les fantassins : la pelle est aussi importante que le fusil, même dans l'offensive. Enfin, et plus largement, il permet aussi de suivre l'évolution intellectuelle, le mûrissement tactique, qui amène les armées impériales à la victoire de Riga, à la mise en oeuvre étudiée de l'artillerie (les "symphonies à la Bruchmüller") et au développement des troupes d'assaut massivement engagées dans les offensives du printemps 1918. Près d'une cinquantaine de combats très localisés, à l'échelle de l'unité qu'il commande, sont détaillés et accompagnés de petits croquis explicatifs.
Un livre d'une très grande richesse au plan tactique, pour comprendre hier mais aussi pour les engagements d'aujourd'hui. A lire et à méditer.
Editions Le Polémarque, Nancy, 2012, 426 pages, 20 euros.
ISBN : 978-2-9529246-6-5
Michel Goya a bien voulu apporter quelques précisions complémentaires :
Question : Pouvez-vous revenir en quelques phrases sur le contexte de la première édition allemande du livre et la place que l'ouvrage tient dans "l'autopromotion" de Rommel ?
Réponse : L’infanterie attaque (Infanterie greift an !) est publié au début de 1937. Roturier énergique décoré pour son courage, Rommel incarne déjà parfaitement le type de héros que veut mettre en avant le nazisme. Il a alors déjà rencontré Hitler qui lui a confié, deux ans plus tôt, l’instruction à l’Ecole de guerre de Potsdam. Le livre est d’abord destiné à ses élèves mais c’est aussi un immense succès de librairie qui contribue à le faire connaître du grand public alors qu’il vient juste de passer colonel. Tous les ingrédients sont présents dès cette époque pour faire de Rommel un mythe.
Question : Aussi bien dans l'offensive que dans la défensive, Rommel insiste sur l'importance pour tous les fantassins d'être également des "terrassiers". Son analyse est tout-à-fait conforme aux règlements allemands d'avant la Grande Guerre et à cet égard parfaitement distincte de la pratique française. Il n'y a donc pas contradiction mais complémentarité entre "la pelle" et "le fusil" ?
Réponse : Les Allemands ont retenu les leçons de 1870 de manière plus rationnelle que les Français, qui rejettent de manière presque obsessionnelle toute idée de défensive, responsable selon eux du désastre. L’infanterie allemande de l914 joue subtilement des avantages de la puissance de feu là où les Français font confiance presque exclusivement à l’« élan ». La manœuvre de base des fantassins allemands consiste ainsi à se placer en position de défense, si possible organisée et enterrée, face à une attaque directe ennemie et à manœuvrer sur ses flancs ou ses arrières. Lorsque Rommel commande une compagnie, sa première action consiste toujours à placer judicieusement sa section de mitrailleuses puis à manœuvrer en fonction des effets de celle-ci. On retrouve cette combinaison -neutralisation par le feu, exploitation par la manœuvre- à tous les échelons jusqu’aux divisions d’assaut de 1918. Rommel est maître dans cet art mais il bénéficie aussi d’un outil toujours supérieur à ceux de ses adversaires -Français de 1914-15, Roumains de 1916 et Italiens de 1917-18- moins bien formés ou expérimentés.
Question : On parle souvent d'audace à propos de Rommel, mais on voit bien dans sa description des différents combats qu'il commence presque systématiquement par une reconnaissance personnelle en première ligne, parfois même au-delà de ses avant-postes. Ce serait donc une "audace" très mesurée ou réflechie ?
Réponse : L’audace est surtout dans cette reconnaissance personnelle qui le place souvent dans des positions très délicates. Il est d’ailleurs assez étonnant, et cela est valable aussi pour la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’en soit sorti avec aussi peu de blessures. La première qualité de Rommel a été la chance. Cette reconnaissance personnelle, rapide et discrète, lui permet de dissiper un peu le brouillard de la guerre et de placer le premier son dispositif. Rommel a compris qu’en combat d’infanterie le premier qui ouvre le feu prend l’ascendant sur son adversaire et l’emporte dans la grande majorité des cas. Aussi, ses manœuvres ne sont pas forcément brillantes mais elles sont toujours rapides. Lorsqu’il est lui-même surpris, notamment dans ses reconnaissances, son premier réflexe est toujours d’attaquer le premier même en situation de grande infériorité numérique. C’est comme cela qu’il est grièvement blessé. En résumé, son combat est réfléchi mais dans la mesure où il fondé sur des renseignements de première main obtenus en prenant des risques personnels.
Question : Que nous apprend L’infanterie attaque sur les combats pendant la Première Guerre mondiale ?
Réponse : L’infanterie attaque d’une peinture très précise et professionnelle de l’atmosphère générale des combats d’infanterie de la Première Guerre mondiale, dans la lignée, plus littéraire, d’Orages d’acier de Jûnger ou de Ceux de 14 de Genevoix. On y constate par exemple l’absence quasi-totale de combats à l’arme blanche et même la rareté des contacts visuels entre combattants. Le combat d’infanterie se décide plutôt de loin et toujours par le feu, surtout celui des mitrailleuses. Loin des duels homériques, le courage du moment est surtout un combat stoïcien.
Question : Au bilan, quelle pertinence ces "enseignements" conservent-ils aujourd'hui ?
Réponse : Le combat d’infanterie n’a finalement pas beaucoup évolué depuis la fin de la Première Guerre mondiale, au moins aux petits échelons. On peut même imaginer qu’un lieutenant Rommel transporté au XXIe siècle avec sa section d’infanterie pourrait rivaliser avec n’importe quelle autre unité de taille équivalente aujourd’hui. La description très précise de dizaines de combats d’infanterie contenue dans L’infanterie attaque constitue donc une source d’inspiration valable pour les fantassins d’aujourd’hui. Plus largement, c’est aussi une description presque clinique du commandement d’hommes en situation de danger. C’est une démonstration de la manière dont cette situation extrême déforme les comportements individuels et de l’avantage considérable dont bénéficient ceux qui ont un peu plus de compétence et d’expérience que les autres.
Merci Michel pour ces réponses très complètes et plein succès
dans tous vos prochains projets.