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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 06:35

Qu'est-ce que "l'histoire-bataille" ?

A propos d'un débat en cours sur la toile...

Le sujet est régulièrement évoqué depuis plusieurs années maintenant, ici ou là. Il apparait au détour d'un colloque, dans la préface d'un livre, aujourd'hui sur la toile. Pratiquement chargée de tous les défauts dans l'esprit de beaucoup, "l'histoire-bataille" serait vielliote, ringarde, dépassée à l'heure de l'histoire "globale", "transdisciplinaire", de l'analyse sociale et des représentations, de la prise en compte des questions économiques et financières, etc.

Sur L'autre côté de la colline, Stéphane Mantoux propose une analyse du débat (ici) plus mesurée, presque de synthèse, que nous vous invitons à lire car il est bien référencé et pose, dans la longue durée du XXe siècle au moins, les termes du dossier. 

Mais abordons la question sous un angle plus "utilitaire". Pour ma part, je considère qu'il y a très souvent aujourd'hui, sur le sujet, une confusion des mots et des idées, qui n'est peut-être pas totalement innoncente. Certes, "l'histoire-bataille de grand'papa" avait montré ses limites et ses défauts, et il était nécessaire, voire indispensable, durant l'entre-deux-guerres de rénover la discipline. De très réels progrès ont été accomplis. Mais dans la période la plus récente, la question n'est plus, dans le domaine de la recherche s'entend, de s'intéresser aux mouvements de la Xième compagnie ou aux ordres formels donnés par le commandant Y ou le colonel Z. Les disciplines les plus différentes, les sources les plus variées, les paramètres les plus divers sont pris en compte pour étudier les différentes campagnes (d'ailleurs "l'histoire-campagne" prend souvent le pas sur "l'histoire-bataille") et les travaux publiés en témoignent qui mettent en relief les différents niveaux hiérarchiques et l'évolution dans le temps des contraintes les plus variées. Par contre, il faut aussi se poser la question du "public-cible" : une conférence généraliste ou un article dans un magazine grand public privilégiera souvent l'aspect purement événementiel d'une situation particulière, c'est aussi une manière d'intéresser de nouveaux amateurs à notre discipline en les conduisant peu à peu à "creuser" les sujets et à dépasser le stade d'un acte héroïque ou d'un fait militaire plus ou moins dramatique. De même, dans le cadre de la formation initiale des cadres, l'histoire-bataille stricto sensu se justifie pleinement, car il est beaucoup plus facile de faire comprendre à un jeune sous-officier ou officier une manoeuvre par les ailes, l'emploi de réserves ou l'organisation d'un appui-feu à partir d'exemples concrets (et peut être surtout à partir de défaites), souvent au plus petits échelons. Les exigences de méthodologie et de rigueur de la recherche par contre poussent naturellement à détailler les causes et les conséquences, les tenants et les aboutissants, les avantages et les faiblesses, les qualités et les défauts à partir de données et de références aussi larges, aussi diverses, aussi détaillées que possible pour décortiquer une situation, une décision, une réalisation, et la comprendre dans sa complexité. En fait, il faut savoir adapter son écriture ou son discours à l'objectif poursuivi et aux lecteurs (ou auditeurs).

Pas d'ostracisme, ni d'exclusive donc. L'histoire militaire est une discipline à la fois complexe et extrêmement riche, qui permet d'aborder de multiples sujets à partir d'une situation tactique, stratégique ou opérative particulière : pour étudier la mobilisation industrielle pendant la Grande Guerre, j'avais fait le choix volontaire de centrer mon travail sur le GQG, point nodal à partir duquel peuvent être mises en relief toutes les interactions et les relations entretenues en interne au sein des armées aussi bien qu'en externe avec les alliés ou avec l'Intérieur et la société civile. En travaillant sur l'expression d'un besoin par le terrain, sur des contraintes techniques ou budgétaires, sur des capacités humaines, sur des conséquences intellectuelles, sociales ou culturelles, sur l'existence de réseaux informels ou même sur la presse de l'époque et la censure, etc. (c'est-à-dire en prenant en compte le plus grand nombre possible de paramètres dans les différentes disciplines), il s'agit toujours de traiter de la conduite des opérations. Et de faire de l'histoire militaire.

Osons une provocation... Et si, finalement, au regard de son importance dans l'histoire du monde, dans la culture et la mémoire de nos sociétés, l'histoire militaire conçue comme un ensemble complexe relevant de compétences variées était, avant la lettre, cette fameuse "histoire globale" aujourd'hui partout revendiquée ? Et si de nombreux historiens du fait militaire faisaient déjà, comme monsieur Jourdain de la prose, de l'histoire globale sans en avoir vraiment conscience ? Et si l'histoire militaire dans sa diversité et sous réserve qu'elle n'oublie jamais ses racines opérationnelles qui l'expliquent et la justifient, était somme toute l'histoire globale de l'homme et de l'humanité ?

Allez ! Continuons le débat ! C'est en particulier lui qui permet de faire émerger de nouvelles idées, de nouvelles pistes, de nouvelles recherches, et prouve que l'histoire militaire, liée par nature aux batailles auxquelles elle ne doit cependant pas se limiter, est une discipline vivante et dynamique.

 

A propos de l'histoire-batailleA propos de l'histoire-batailleA propos de l'histoire-bataille
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commentaires

S
Merci pour la citation.<br /> Je suis plutôt d'accord avec vous.<br /> Je voudrais simplement revenir sur ce passage :<br /> <br /> &quot;Par contre, il faut aussi se poser la question du &quot;public-cible&quot; : une conférence généraliste ou un article dans un magazine grand public privilégiera souvent l'aspect purement événementiel d'une situation particulière, c'est aussi une manière d'intéresser de nouveaux amateurs à notre discipline en les conduisant peu à peu à &quot;creuser&quot; les sujets et à dépasser le stade d'un acte héroïque ou d'un fait militaire plus ou moins dramatique. &quot;<br /> <br /> Ce que vous dites là est exact : les magazines grand public sont là pour inciter le lecteur à aller plus loin. Mais il arrive aussi que la description événementielle sur un sujet ciblé (pour la Seconde Guerre mondiale, je ne fais pas de dessin, tout le monde voit ce dont je parle, l'armée allemande au sens large, pour aller vite) prenne le pas sur le reste, et cela est parfois aggravé par le fait que certains magazines se dispensent de toute bibliographie a minima (sans que cela atteigne évidemment le niveau d'une publication scientifique). Sans compter que le discours peut être orienté.<br /> <br /> Pour ma part j'essaie de faire l'inverse : j'essaie de plus en plus de ne pas me cantonner qu'à la description opérationnelle (indispensable toutefois, on est bien d'accord, et toujours agréable à faire) mais à pousser plus loin, en analysant, en dépassant le récit factuel pour justement faire bouger le lecteur, et bien sûr en lui fournissant la bibliographie nécessaire dont je me suis inspiré (d'ailleurs j'en viens aussi à mettre plus de notes de bas de page).<br /> <br /> Bien à vous.
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R
Assez d'accord pour les magazines 2e WW. Pour ma part, je procède également de la même façon : aspects opérationnels certes, mais contextualisés et référencés au moins sommairement. <br /> Amicalement.<br /> REMY

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Cafés historiques de La Chouette

Prochaine séance : pour la rentrée de septembre. Le programme complet sera très prochainement mis en ligne.

Publications personnelles

Livres

 

doumenc-copie-1.jpgLa Direction des Services automobiles des armées et la motorisation des armées françaises (1914-1918), vues à travers l’action du commandant Doumenc

Lavauzelle, Panazol, 2004.

A partir de ma thèse de doctorat, la première étude d’ensemble sur la motorisation des armées pendant la Première Guerre mondiale, sous l’angle du service automobile du GQG, dans les domaines de l’organisation, de la gestion et de l’emploi, des ‘Taxis de la Marne’ aux offensives de l’automne 1918, en passant par la ‘Voie sacrée’ et la Somme.

 

La mobilisation industrielle, ‘premier front’ de la Grande Guerre ? mobil indus

14/18 Editions, Saint-Cloud, 2005 (préface du professeur Jean-Jacques Becker).

En 302 pages (+ 42 pages d’annexes et de bibliographie), toute l’évolution industrielle de l’intérieur pendant la Première Guerre mondiale. Afin de produire toujours davantage pour les armées en campagne, l’organisation complète de la nation, dans tous les secteurs économiques et industriels. Accompagné de nombreux tableaux de synthèse.

 

colonies-allemandes.jpgLa conquête des colonies allemandes. Naissance et mort d’un rêve impérial

14/18 Editions, Saint-Cloud, 2006 (préface du professeur Jacques Frémeaux).

Au début de la Grande Guerre, l’empire colonial allemand est de création récente. Sans continuité territoriale, les différents territoires ultramarins du Reich sont difficilement défendables. De sa constitution à la fin du XIXe siècle à sa dévolution après le traité de Versailles, toutes les étapes de sa conquête entre 1914 et 1918 (388 pages, + 11 pages d’annexes, 15 pages de bibliographie, index et cartes).

 

 caire damasDu Caire à Damas. Français et Anglais au Proche-Orient (1914-1919)

 14/18 Editions, Saint-Cloud, 2008 (préface du professeur Jean-Charles Jauffret).

Du premier au dernier jour de la Grande Guerre, bien que la priorité soit accordée au front de France, Paris entretient en Orient plusieurs missions qui participent, avec les nombreux contingents britanniques, aux opérations du Sinaï, d’Arabie, de Palestine et de Syrie. Mais, dans ce cadre géographique, les oppositions diplomatiques entre ‘alliés’ sont au moins aussi importantes que les campagnes militaires elles-mêmes.

 

hte silesieHaute-Silésie (1920-1922). Laboratoire des ‘leçons oubliées’ de l’armée française et perceptions nationales

‘Etudes académiques », Riveneuve Editions, Paris, 2009.

Première étude d’ensemble en français sur la question, à partir du volume de mon habilitation à diriger des recherches. Le récit détaillé de la première opération civilo-militaire moderne d’interposition entre des factions en lutte (Allemands et Polonais) conduite par une coalition internationale (France, Grande-Bretagne, Italie), à partir des archives françaises et étrangères et de la presse de l’époque (381 pages + 53 pages d’annexes, index et bibliographie).

 

cdt armee allde Le commandement suprême de l’armée allemande 1914-1916, édition annotée et commentée des souvenirs de guerre du général von Falkenhayn 

14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2010.

Le texte original de l’édition française de 1921 des mémoires de l’ancien chef d’état-major général allemand, accompagné d’un dispositif complet de notes infrapaginales permettant de situer les lieux, de rappeler la carrière des personnages cités et surtout de comparer ses affirmations avec les documents d’archives et les témoignages des autres acteurs (339 pages + 34 pages d’annexes, cartes et index).

 

chrono commChronologie commentée de la Première Guerre mondiale

Perrin, Paris, 2011.

La Grande Guerre au jour le jour entre juin 1914 et juin 1919, dans tous les domaines (militaire, mais aussi politique, diplomatique, économique, financier, social, culturel) et sur tous les fronts. Environ 15.000 événements sur 607 pages (+ 36 pages de bibliographie et d’index).

 

 Les secrets de la Grande Guerrecouverture secrets

Librairie Vuibert, Paris, 2012.

Un volume grand public permettant, à partir d’une vingtaine de situations personnelles ou d’exemples concrets, de remettre en lumière quelques épisodes peu connus de la Première Guerre mondiale, de la question du « pantalon rouge » en août 1914 à l’acceptation de l’armistice par von Lettow-Vorbeck en Afrique orientale, après la fin des hostilités sur le théâtre ouest-européen.

 

Couverture de l'ouvrage 'Mon commandement en Orient'Mon commandement en Orient, édition annotée et commentée des souvenirs de guerre du général Sarrail

14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2012

Le texte intégral de l'édition originale, passé au crible des archives publiques, des fonds privés et des témoignages des acteurs. Le récit fait par Sarrail de son temps de commandement à Salonique (1915-1917) apparaît véritablement comme un exemple presque caricatural de mémoires d'autojustification a posteriori

 

 

Coordination et direction d’ouvrages

 

Destins d’exception. Les parrains de promotion de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr

SHAT, Vincennes, 2002.

Présentation (très largement illustrée, 139 pages) des 58 parrains qui ont donné leur nom à des promotions de Saint-Cyr, entre la promotion « du Prince Impérial » (1857-1858) et la promotion « chef d’escadrons Raffalli » (1998-2001).

 

fflLa France Libre. L’épopée des Français Libres au combat, 1940-1945

SHAT, Vincennes et LBM, Paris, 2004.

Album illustré présentant en 191 pages l’histoire et les parcours (individuels et collectifs) des volontaires de la France Libre pendant la Seconde guerre mondiale.

 

marque courageLa marque du courage

SHD, Vincennes et LBM, Paris, 2005.

Album illustré présentant en 189 pages l’histoire des Croix de Guerre et de la Valeur Militaire, à travers une succession de portraits, de la Première Guerre mondiale à la Bosnie en 1995. L’album comporte en annexe une étude sur la symbolique, les fourragères et la liste des unités d’active décorées.

 

  90e anniversaire de la Croix de guerre90-ANS-CROIX-DE-GUERRE.jpg

SHD, Vincennes, 2006.

Actes de la journée d’études tenue au Musée de l’Armée le 16 novembre 2005. Douze contributions d’officiers historiens et d’universitaires, français et étrangers, de la naissance de la Croix de guerre à sa perception dans la société française, en passant les décorations alliées similaires et ses évolutions ultérieures.

 

france grèceLes relations militaires franco-grecques. De la Restauration à la Seconde guerre mondiale 

SHD,Vincennes, 2007.

Durant cette période, les relations militaires franco-grecques ont été particulièrement intenses, portées à la fois par les sentiments philhellènes qui se développent dans l’hexagone (la France est l’une des ‘Puissances protectrices’ dès la renaissance du pays) et par la volonté de ne pas céder d’influence aux Anglais, aux Allemands ou aux Italiens. La campagne de Morée en 1828, l’intervention en Crète en 1897, les opérations en Russie du Sud  en 1919 constituent quelques uns des onze chapitres de ce volume, complété par un inventaire exhaustif des fonds conservés à Vincennes.

 

verdunLes 300 jours de Verdun

Editions Italiques, Triel-sur-Seine, 2006 (Jean-Pierre Turbergue, Dir.).

Exceptionnel album de 550 pages, très richement illustré, réalisé en partenariat entre les éditions Italiques et le Service historique de la Défense. Toutes les opérations sur le front de Verdun en 1916 au jour le jour.

 

DICO-14-18.jpgDictionnaire de la Grande Guerre

(avec François Cochet), 'Bouquins', R. Laffont, 2008.

Une cinquantaine de contributeurs parmi les meilleurs spécialistes de la Grande Guerre, 1.100 pages, 2.500 entrées : toute la Première Guerre mondiale de A à Z, les hommes, les lieux, les matériels, les opérations, les règlements, les doctrines, etc.

 

fochFerdinand Foch (1851-1929). Apprenez à penser

(avec François Cochet), 14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2010.

Actes du colloque international tenu à l’Ecole militaire les 6 et 7 novembre 2008. Vingt-quatre communications balayant tous les aspects de la carrière du maréchal Foch, de sa formation à son héritage dans les armées alliées par des historiens, civils et militaires, de neuf nations (461 pages + 16 pages de bibliographie).

Sur la toile