La guerre de Succession d'Autriche
(1741-1748)
Louis XV et le déclin de la France
Fadi El Hage
Remarqué depuis la publication de sa thèse en 2012 sous le titre Histoire des maréchaux de France à l'époque moderne (ici), Fadi El Hage (que l'on retrouve régulièrement dans Guerres & Histoire, ce qui prouve que l'on peut être un excellent chercheur dans le domaine scientifique et un bon "vulgarisateur" au sens noble du terme) revient aux armées du XVIIIe s. à travers l'étude de cette guerre de Succession d'Autriche, dont on ne retient trop souvent que la bataille de Fontenoy et l'expression de "se battre pour le roi de Prusse".
Dans ce volume aussi précis que documenté, l'auteur nous entraîne, dans un style fluide tout à fait agréable à lire, dans un voyage d'une dizaine d'années à travers l'Europe et nous présente tous les aspects (militaires, diplomatiques, politiques, économiques même parfois) de cette guerre qui "clôt un siècle hégémonique français". Le livre commence par la description de l'abaissement militaire de la France pour des raisons essentiellement financières et budgétaires après les guerres de Louis XIV, par un tour d'horizon européen et par la description d'un commandement français vieillissant. A la mort du dernier des Habsbourg mâles, Paris se voit en arbitre d'une succession qu'ambitionne en particulier l'Electeur de Bavière, tandis que le jeune royaume de Prusse aspire à la puissance et entame les hostilités. Tandis que les Prussiens occupent la Silésie et que les Bavarois bivouaquent à quelques dizaines de kilomètres de Vienne sans oser tenter de s'emparer de la capitale autrichienne, tandis que Maurice de Saxe et les Français prennent Prague, permettant à Charles-Albert de Bavière d'être élu empereur. Alors qu'une victoire politique et diplomatique totale semble acquise en quelques mois, le manque de cohésion du commandement français, le jeu personnel des souverains alliés et la résistance déterminée de Marie-Thérèse, restée reine de Hongrie et maîtresse des possessions héréditaires des Habsbourg, brouillent les cartes et prolongent le conflit. L'armée française de Bohème, également victime de graves carences logistiques, s'enlise au coeur de l'Europe, tandis que l'Angleterre entre dans le jeu, en accusant d'abord Versailles de vouloir instaurer une "monarchie universelle". Fadi El Hage décrit alors les affres de l'armée française à Prague, isolée et menacée tout au long de l'année 1742, alors que les généraux français s'opposent entre eux et qu'une armée de secours ne parvient pas à les rejoindre. 1743 est clairement "l'année terrible" : l'armée est affaiblie, les maladies et la malnutrition font des ravages, le roi d'Angleterre et de Hanovre met en marche ses troupes, le commandement français hésitant, l'Electeur de Bavière un allié peu fiable alors que l'on se bat pour lui, et une coalition européenne de plus en plus importante se noue contre une France dont on perçoit désormais à l'extérieur les faiblesses. Contraint d'entrer officiellement en guerre contre l'Angleterre et l'Autriche en 1744, Louis XV prend la tête de ses armées en Flandres, mais l'ennemi attaque sur le Rhin et pénètre en Alsace : "La promenade militaire avait pris une tournure imprévue". Dans le même temps, le roi de Prusse, fort discret depuis trois ans, entre de nouveau en campagne ; enfin l'Espagne à son tour devient partie prenante au conflit à propos de ses possessions d'Italie du Nord : toute l'Europe est entraînée dans le conflit et l'on se bat désormais aux portes de la Provence, dans le comté de Nice et en Savoie. En 1745, la France est victorieuse en Flandres mais après de premiers succès en Italie du Nord doit déchanter devant le peu de fiabilité de l'allié espagnol. A cette date, "il était devenu évident que la Succession d'Autriche n'était plus l'objet du conflit" et que la France s'était laissée entraîner dans une guerre dont elle ne maîtriser ni les buts ni les grandes évolutions. Dans les Pays-Bas espagnols, la gloire du maréchal de Saxe est telle qu'il devient "le héros de la France", mais il s'oppose à un autre chef militaire, le prince de Conti, par ailleurs prince de sang... Il n'en est pas moins considéré comme le successeur de Turenne, avant de devoir se retirer. Finalement, le traité d'Aix-la-Chapelle en 1748 n'est pas aussi mauvais pour la France que les chroniqueurs ultérieurs ont bien voulu l'écrire, en particulier sur la frontière du nord et du nord-est, mais le roi de Prusse conserva lui ses conquêtes silésiennes... : "En 1748, la France était arrivée au maximum de ses capacités militaires avant l'épuisement et un éventuel effondrement face à un effort de guerre trop coûteux". Enfin, les désordres et les querelles d'ego qui nuisent tant à l'unité et à l'efficacité du commandement français sont trop souvent minorés, et Fadi El Hage sait leur redonner toute leur importance. Désormais, l'Angleterre règne sur les mers et la Prusse a intégré le concert des puissances.
Un livre important sur le règne de Louis XV, mais aussi sur les campagnes des armées françaises. Un livre-plaisir autant qu'un livre d'intérêt.
Economica, Paris, 2017, 239 pages, 27,- euros.
ISBN : 978-2-7178-6964-4.