La guerre secrète de Napoléon
Île d'Elbe, 1814-1815
Pierre Branda
Comment l'empereur déchu a-t-il vécu pendant quelques mois sur son île méditerranéenne ? A-t-il voulu, conçu, préparé très en amont son retour de l'île d'Elbe ? Dans quelles proportions s'agissait-il d'un véritable pari ? Telles sont quelques unes des passionnantes questions dont Pierre Branda dénoue pour nous les fils.
Pour faire le récit de cette "dernière aventure" de Napoléon dans les deux premières parties, l'auteur commence par nous décrire les difficiles circonstances du trajet de l'empereur déchu vers le Sud et la Provence jusqu'à sa "prison maritime". Puis il s'intéresse longuement à l'organisation publique, politique et militaire, que le nouveau souverain de l'île met rapidement en place, en reproduisant en quelque sorte à échelle réduite les règles et les pratiques de l'ancien empire continental : "Tout était fait pour que l'île soit financièrement rentable", mais la priorité est accordée à la petite armée et à la maison de l'empereur. Pierre Branda brosse en particulier dans cette partie le portrait des quelques fidèles qui accompagnent Napoléon (Durac, Bertrand, Drouot) et rappelle les initiatives prises pour la construction de routes, la plantation d'arbres, l'éclairage public, l'hygiène, etc. Les efforts, parfois peu réalistes, déployés pour développer l'agriculture et l'industrie de l'île (espoirs placés dans une mine de fer) sont très clairement expliqués ; de même que la formation, la place dans la nouvelle principauté et le rôle des 400 hommes de la Garde qui forment le "bataillon de l'île d'Elbe" (dont 80 lanciers polonais et 6 mamelouks) sous les ordres d'un Cambronne pour le moins rustre. On trouve rapidement autour de l'empereur déchu de nombreux Corses, qui prennent en particulier en charge la police et l'équivalent des renseignements généraux, et une unité presque spécifiquement composée de soldats corses voit le jour (un peu plus de 200 hommes). Mais au-delà des apparences, l'auteur sait aussi souligner les difficultés, les manques, les déficits : le nouveau royaume est petit, pauvre et tous les efforts de Napoléon n'y peuvent (presque) rien changer, même la reconstitution d'une "cour" avec chambellans et officiers d'ordonnance. Une partie de sa famille (mère et soeur) et son "épouse polonaise" lui rendent visite, et avec la douceur du climat il retrouve la santé, mais à l'heure du congrès de Vienne l'Europe, et surtout Louis XVIII, s'interrogent : va-t-il rester sur son morceau de rocher ? La troisième partie aborde enfin le coeur du sujet (ou du moins correspond au titre du livre) en détaillant les actions royalistes françaises (jusqu'à un projet d'assassinat ?), autrichiennes, anglaises (paradoxales puisque Londres peut sembler le meilleur allié de Napoléon), etc. qui s'entrecroisent en Méditerranée et notamment à partir de la Toscane. Il étudie aussi les réseaux que Napoléon reconstitue à travers l'Italie du Nord et en France (grâce aux Corses). Pierre Branda dresse également un bilan du sentiment nostalgique qui se répand dans l'armée et dans l'hexagone, mais "un sentiment ne fait pas une conspiration". De même, il détaille l'évolution des relations entre Napoléon et Murat, dont le trône de Naples est de moins en moins assuré. A partir de l'hiver 1814-1815, la situation évolue plus rapidement et les événements semblent s'accélérer : "La pensée de rentrer en France germait dans son esprit". Cependant, "tout porte à croire qu'il se soit décidé très vite, à l'instinct en quelque sorte". Il va quitter l'île, mais pour débarquer où ? En Toscane, en Ligurie, en Corse, dans l'hexagone ? Le choix le plus audacieux et le plus risqué est fait : les 1.000 hommes qui constituent alors toute l'armée impériale embarquent le 26 février au soir sur six petits navires. Le périlleux voyage est parfaitement décrit (la chance et l'audace payent et la flotille échappe aussi bien aux navires français que britanniques) et le 1er mars, alors que "la nuit était sur le point de s'achever", apparaissent les plages de Golfe Juan. Les Cent Jours commencent.
Plutôt qu'un livre sur la "guerre secrète" stricto sensu, voici une excellente étude du séjour de l'empereur à l'île d'Elbe, présentée dans un style fluide et agréable. Un épisode méconnu de l'épopée impériale qui retrouve ici toute sa réalité, sa densité, ses illusions aussi.
Perrin, Paris, 2014, 474 pages, 24 euros.
ISBN : 978-2-262-03291-3.