Pionnier de la Résistance

Le réseau Grenier-Godard

(1940-1942)

Dimitri Vouzelle

On cite toujours les mêmes réseaux (souvent parisiens) comme acteurs pionniers de la résistance intérieure à partir de l'été 1940, et ce livre présente l'immense intérêt de nous proposer l'histoire d'une structure précoce, locale et absolument inconnue en dehors de quelques rares spécialistes et de la région dijonnaise.

L'ouvrage s'appuie sur un très solide corpus d'archives départementales et nous raconte l'histoire de la famille (chrétienne pratiquante) Grenier-Godard, au sein de laquelle "l'engagement va de soi dès les derniers jours de juin 1940". Comptant 12 chapitres rassemblés en 3 grandes parties ("La naissance et la structuration d'un réseau", "Prier, souffrir et se taire", et "Le réseau Grenier-Godard après la guerre"), le livre nous compte par le menu l'histoire étonnante de ce réseau familial (dont la mère de famille est le chef) et de quartier qui compte finalement de l'ordre de 300 membres (chiffre très discuté, voir la troisième partie du livre) lors de son démantèlement par l'occupant en 1942. Les actions commencent avec l'aide à l'évasion du Frontstalag 155, se poursuivent avec l'hébergement et la cache d'évadés (qu'il faut nourrir, habiller et éventuellement soigner) et l'organisation d'une filière en direction de la zone Sud, avec l'aide de cheminots et "le rôle essentiel de la brigade de gendarmerie de Gevrey-Chambertin". Progressivement, les activités du réseau s'étendent à l'aide aux juifs et à la collecte de renseignements sur les unités allemandes ou les productions à caractère militaire des usines du Creusot. Peu à peu des liens sont établis avec des ressortissants suisses, mais aussi avec des réseaux belges. Au printemps 1941 commencent les premières arrestations, mais c'est à l'été 1942 que le réseau est démantelé, évènement suivi du séjours dans des prisons françaises puis de la déportation dans des prisons et des camps allemands jusqu'à Dora. Après l'arrestation de la famille Grenier-Godard, celles-ci se poursuivent jusqu'à la fin de l'année parmi les passeurs, conduisant les survivants à rejoindre la France combattante ou les maquis. Les dernières déportations interviennent en 1944. La dernière partie est consacrée à la difficile reconnaissance des actions du réseau après-guerre mais aussi à la recherche et à la condamnation des dénonciateurs français à l'origine de la chute du réseau, ainsi que des responsables allemands de la SIPO-SD, dont un seul sera tardivement jugé en 1955. Finalement, oubliée des autorités, la famille connaît quasiment la misère... Une triste fin après un tel engagement.

Un livre qui passionnera indiscutablement les amateurs d'histoire de la Résistance et que l'on ne peut que conseiller à tous ceux qui s'intéressent à l'attitude des Français pendant ces années noires.

Editions universitaires de Dijon, 2022, 327 pages, 25,- euros.

ISBN : 978-2-36441-440-2.

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Rafles, déportation et spoliation

des Juifs en Charente

Gérard Benguigui

Ce petit livre présente un intérêt tout particulier car, au-delà du rappel des tristes évènements de la période 1949-1944, il met le doigt sur une double réalité : la servilité de certaines administrations d'une part et l'absence d'indemnisation ou de restitution après la guerre.

Après avoir rappelé les rafles et arrestations de juifs (mais aussi de tsiganes) en Charente pendant la guerre dans une première partie, l'auteur aborde un sujet plus rarement traité, celui de "l'aryanisation" des biens juifs, en clair la spoliation pure et simple. Ces confiscations officielles ne concernent pas que la capitale et les grandes agglomérations : "Dans le département de la Charente, et dans la petite ville d'Angoulême en particulier, pas moins de 39 commerces furent concernés par le phénomène ! Ces entreprises, souvent bien modestes, changèrent de propriétaires conformément aux lois d'exclusion votées par le gouvernement de Vichy ... Bien plus tard, quand il s'est agi de restituer leurs biens aux légitimes propriétaires, car le vent de l'histoire avait changé de direction, les choses n'ont pas été simples non plus". Gérard Benguigui s'appuie essentiellement sur les différents gisements d'archives locales et départementales : "Les administrations concernées ont mis tout leur savoir-faire et toute leur énergie au service de cette mission qui a été exécutée avec le plus grand soin". La Caisse des dépôts et consignations mais aussi les notaires par exemple gagnent dans ces sordides affaires de substantiels bénéfices.

Un petit livre qui ouvre sur des aspects mal connus de la collaboration et des suites de la guerre, qui gagne à être connu, et dont il serait sans doute instructif de poursuivre les travaux dans d'autres départements.

Les Indes Savantes, Paris, 2022, 118 pages, 19,- euros.

ISBN : 978-2-84654-588-4.

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Bir Hakeim

Evènement et mémoires

Jean-Marc Largeaud

Dans la mémoire collective, depuis la guerre elle-même, la bataille de Bir Hakeim marque le retour sur les champs de bataille de la France, écrasée en juin 1940. L'affaire n'est peut-être pas aussi simple et l'auteur explique dans son introduction les paradoxales difficultés rencontrées pour trouver des archives fiables.

Jean-Marc Largeaud constate dès sa première partie que l'histoire factuelle de la bataille est très rapidement écrite, à quelques détails près : "Ce n'est que plus tard que l'exposé s'est à la fois simplifié (dans ses grandes lignes) et précisé (dans le détail), sans sur le fond apporter grand-chose de plus sauf rares exceptions. La plus grande partie des faits à diffuser, des représentations de la guerre des Français Libres dans le désert sont donc déjà en place entre 1942 et 1945". Après avoir décrit le déroulement de la bataille dans ses différentes phases, puis de l'exfiltration de nuit, l'auteur remet l'évènement dans son contexte de la guerre du désert à l'époque et de la stratégie politique de la France Libre. Il s'attache, dans les cinq grandes parties qui suivent, à identifier les choix et impératifs du général De Gaulle et observe la renaissance d'une grande unité française avec l'aide des Britanniques, entre réticence et estime réciproques. Il revient ensuite sur la question des effectifs et de la difficulté à définir avec précision les pertes, sans oublier la délicate question des prisonniers ("restés les oubliés de la bataille"). Il analyse ensuite les très nombreux récits de la bataille, en particulier les témoignages écrits et oraux des acteurs. Il s'intéresse en particulier à propos de la sortie à la verte critique contre Koenig portée par son capitaine du génie et de conclure sur ce point : "Les témoins enrichissent et illustrent un récit déjà donné et sortent très rarement du sens et de la trame du récit de bataille définie dès le temps de guerre". Vient ensuite une avant-dernière partie consacrée aux discours officiels sur la bataille, la propagande britannique mais aussi celle de la France Libre et leurs échos dans la France occupée puis lors de la Libération. Enfin, la dernière partie est consacrée à "Mémoires et histoires de la bataille", où il évoque certains points particulier mis en relief dans les mémoires britannique, allemande ou française et correspondant assez peu à la réalité des faits, comme celui d'un "bataillon juif", celui de la quasi-appropriation de la batille par la Légion étrangère ou "les (pieux) mensonges du récit de guerre britannique" ; avant de terminer par l'évocation des commémorations, des monuments, de la présence à la télévision etc.

Une approche de la bataille qui est centrée sur les récits qui en ont été faits depuis 1942, et par une étude comparative de (presque) tout ce qui a pu être dit ou écrit à son sujet. Une analyse extrêmement intéressante et même, pour certains passages, un exemple de critique des sources et une leçon de méthodologie historienne.  

Les Indes Savantes, Paris, 2022, 392 pages, 35,- euros.

ISBN : 978-2-84654-594-5.

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Des hommes ordinaires

Le 101e bataillon de réserve de la police allemande

et la solution finale en Pologne

Christopher R. Browning

Voici une nouvelle réédition d'un livre devenu un classique depuis les années 1990 et qui pose tout le problème de la mise en oeuvre de l'extermination des Juifs d'Europe orientale par "des hommes ordinaires".

En dix-huit chapitres chronologiques, et en s'appuyant sur plus de 200 témoignages d'anciens membres du 101e bataillon de réserve de la police allemande, Christopher Browning reconstitue presque au quotidien, au sens propre, l'itinéraire sanglant de cette unité constituée de "bons pères de famille", pour la plupart trop âgés pour être incorporés dans les troupes combattantes et qui vont assassiner au minimum 38.000 Juifs polonais entre juillet 1942 et novembre 1943. Après avoir présenté le contexte général, et notamment l'action d'autres groupes militaires ou paramilitaires, il nous fait entrer de plein pied dans un univers de meurtres et de sang, non pas quelques fusillades ici ou là, mais la mort systématique de tous les habitants juifs d'une commune, comme à Lomazy en août 1942. Pourquoi ces milliers de morts : parce qu'il n'y a pas de gare à proximité pour les évacuer ! Car outre les 38.000 assassinats, 45.000 autres Juifs furent déportés vers Treblinka. Un pic dans l'horreur est atteint à la fin de l'année 1943 lors de l'opération baptisée "Fête de la moisson". Le livre se termine sur la faiblesse des poursuites et des sanctions après-guerre.

Un ouvrage indispensable pour appréhender au plus près la question des exécutions de masse et celle de la politique d'extermination raciale du IIIe Reich.

Les Belles Lettres, Paris, 2022, 332 pages. 15,50 euros.

ISBN : 978-2-251-45331-6.

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La rafle d'Angoulême

8 octobre 1942

Gérard Benguigui et Frank Svensen

Voici le récit sans prétention intellectualisante mais avec une rare spontanéité et une vraie profondeur de la rafle de la population juive d'Angoulême à l'automne 1942, visant "les hommes, les femmes et les enfants sans considération d'âge", qui se déroule "dans le cadre d'une gigantesque opération de capture des juifs" après la rafle du Vel d'Hiv.

Après avoir présenté l'environnement de la Shoah et son évolution générale comme ses manifestations en Charente jusqu'en 1942, les auteurs décrivent les préparatifs de l'opération. Ils donnent ensuite la parole aux survivants et aux témoins locaux, qui racontent avec des mots justes leurs souvenirs de cette époque. Un chapitre est consacré aux "Justes" de Charente, ces 23 habitants du département qui "ont accepté de partager leur quotidien et leur pain de misère avec des inconnus". Le livre se termine sur quelques pages de réflexion sur le thème de l'histoire et du devoir de mémoire, avant une série d'annexes (liste des déportés, victimes, chronologie, glossaire, bibliographie).

Un petit livre dont le naturel constitue le point fort et donne au récit, dans sa simplicité, une force étonnante.

Les Indes Savantes, Paris, 2021, 185 pages, 21,- euros.

ISBN : 978-2-84654-567-9.
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