Le cours d'Infanterie du colonel Pétain
Ecole supérieure de guerre, 1911
On connaît la formule prêtée au général Pétain selon laquelle "le feu tue". On en tire souvent argument dans l'historiographie pour le considérer comme un adversaire de l'offensive à outrance, telle qu'elle est assez généralement admise à l'époque en France (bien au-delà des seuls cercles militaires). La publication récente du texte original du cours qu'il dispensait à l'Ecole supérieure de guerre (précédé d'une introduction du général (2S) J. Delmas, éditions du Cosmogone, 2010) permet de relativiser ces affirmations pour le moins rapides.
Ce cours est structuré en trois partie principales : "L'infanterie française au début du Ier Empire" (pp. 1-97) ; "L'infanterie en 1870" (pp. 102-203) et "Les règlements d'infanterie de 1875 à 1902" (pp. 297-246). L'ensemble est complété par deux jeux de cartes : la campagne de 1806 et la bataille d'Auerstedt (cartes n° 1 à 7) et les combats du 2e CA français le 16 août 1870 dans la région Thionville-Rezonville (cartes n° 8 à 11).
Les deuxième et troisième parties sont sans doute les plus intéressantes, car Pétain abandonne la seule description de l'infanterie napoléonienne pour détailler des situations alors récentes ou en cours et porter des appréciations souvent critiques sur l'organisation, les règlements, la préparation au combat des infanteries française et allemande. Prenant en compte les évolutions techniques du fusil et du canon au cours du XIXe siècle, il évalue l'adaptation relative des règlements aux progrès en cours et parle par exemple à propos du règlement de 1869 de "règles pour la plupart inapplicables ou inutiles". Il souligne également que "l'infanterie prussienne a contracté l'habitude de s'exercer souvent en pleins champs" et que, déjà, "l'idée dominante de tous les chefs allemands est l'emploi du feu à courte distance".
A partir de la page 181, qui porte en sous-titre "Le progrès des armes maintient à l'offensive sa supériorité", les propos fréquemment attribués à Pétain que nous évoquions en introduction sont mis à mal et la première phrase mérite d'être longuement citée : "En 1870, l'armée française, rompant brusquement avec ses anciennes traditions, abandonne la forme offensive. C'est le résultat de vices d'organisation qui ont compromis sa mobilité, et d'une conception particulière de la puissance meurtrière du nouveau fusil qui l'entraine à faire reposer la conduite du combat sur l'emploi du feu dans la défensive, autrement dit, sur l'exploitation d'avantages purement matériels. Cette conception doit être discutée". On peut ensuite multiplier les citations : "La guerre de 1870 ne contredit en rien ce plaidoyer en faveur de l'offensive" (p. 182) ; "A la guerre, c'est le moral qui l'emporte, et sa suprême expression réside dans le mouvement" (p. 186) ; etc. Pétain reconnaît certes "l'importance prépondérante du feu" et la "nécessité d'employer l'ordre dispersé", mais il n'écrit jamais que "le feu tue" (belle découverte !) et ne renonce en aucun cas à l'offensive.
Il termine enfin, dans le chapitre "Les lois du combat moderne", en affirmant " [qu'] il apparaît nettement qu'aucune des lois du combat n'est plus respectée ... Les guerres du Transvaal et de la Mandchourie se sont chargées de mettre les choses au point et de réduire à néant ces théories sur l'emploi des masses" (pp. 245-246). En clair, les guerres récentes sont effectivement étudiées, l'offensive reste la forme d'engagement à privilégier et les attaques en formation de tirailleurs sont préférables aux assauts en masses groupées. La question est donc posée : n'est-ce pas durant la Première Guerre mondiale elle-même que Pétain se forge une réputation, à bien des égards différente de ce qu'il enseignait quelques années plus tôt ? Il ne serait d'ailleurs pas le seul dans ce cas. Mais prendre en compte au fur et à mesure des mois de guerre les conditions "nouvelles" dans lesquelles elle se déroule n'en fait pas pour autant un "visionnaire" qui aurait anticipé sur les conceptions d'un état-major qui, lui, n'aurait rien compris...