L'Orchestre noir
Enquête sur les réseaux néo-facistes
Frédéric Laurent
Cette réédition à partir d’un texte pour l’essentiel publié en 1978 entre désormais dans la catégorie des livres d’histoire, puisque l’ouvrage s’intéresse désormais à des événements vieux d’une trentaine ou d’une quarantaine d’années. Mais il y entre avec les faiblesses d’un livre rédigé à une époque où les travaux sur le sujet tenaient plus de l’investigation journalistique que de la recherche historique. Comme le précise en première page du livre une note liminaire, certains aspects paraissent effectivement datés.
L’ouvrage s’intéresse à la nébuleuse des extrémistes les plus radicaux de l’extrême-droite européenne, de la fin de la Seconde guerre mondiale à la stratégie de tension dans l’Italie des années 1970. La première partie (« De la guerre à la guerre froide ») est consacrée en quelque sorte au passage de témoin entre les dirigeants de la génération compromise dans la guerre et les « petits gradés » du fascisme ou les plus jeunes rapidement repérés par les services occidentaux (américains en particulier) et réutilisés au nom de l’anticommunisme. La seconde traite des conséquences des guerres perdues de décolonisation auprès de quelques militaires de différents grades (et civils), dont l’OAS et ses réseaux dans la péninsule hispanique constituent l’exemple mis en avant. Les deux suivantes (« Aginter-Presse : les mercenaires de l’ordre nouveau » et « Italie : le coup d’Etat permanent ») se focalisent sur la structuration de ces réseaux au plan international et leurs actions, en Afrique et en Amérique latine en particulier. Il insiste longuement sur les attentats qui ensanglantent la péninsule italienne et le peu de résultat des enquêtes conduites. La dernière enfin (« L’Orchestre noir : service ‘action’ de la droite à travers le monde »), commence avec une présentation de la Ligue anticommuniste mondiale, et se poursuit avec l’évocation d’agences espagnoles ou portugaises inévitablement liées aux mercenaires en Afrique et à des groupuscules plus ou moins sulfureux. La postface, rédigée en 2013, consiste en fait en une présentation actualisée des suites données aux enquêtes italiennes sur les attentats de la période des ‘années de plomb’ : « Etrange justice italienne trop souvent désarmée devant le sens profond de ces tueries et bien peu curieuse d’en connaître les mandants ». Au fil des pages, la CIA est presque constamment présente, les réseaux type ‘Gladio’ fréquemment évoqués, aussi bien que l’OTAN, le SID italien ou le PIDE portugais, voire la DGSE.
Finalement, qu’en reste-t-il ? Le sentiment d’un complot permanent de ces milieux et de ces organisations contre les régimes démocratiques, l’absence d’hésitation devant le recours à une violence aveugle ; mais aussi l’étonnant amateurisme de la plupart des acteurs, le fait qu’ils soient pour la plupart manipulés et l’impression diffuse d’une volonté militante de l’auteur qui fait passer quelques pieds-nickelés pour des comploteurs dangereux à l'échelle planétaire (incidents mineurs grossis et mis au même niveau que de graves attentats, rencontres ponctuelles qui « pourraient » être systématiques, etc.). Alors que penser du livre ? Il est certes à lire car, sur cette époque d’attirance relative de certains militants pour la « lutte armée contre le système », les informations restent peu nombreuses et contradictoires. Il est aussi à connaitre parce qu’il rassemble de multiples informations sur la période. Mais il est indiscutablement à utiliser avec précaution et à citer avec mesure, car, sans confirmation ou analyse critique, certains propos traduisent de rapides raccourcis ou des présentations parfois abusives (que diable la CDU/CSU bavaroise vient-elle faire dans cette galère ?). Utile pour mieux comprendre quelques organisations européennes d’extrême-droite radicale, envisager les liens qui ont pu exister entre elles (ou plutôt entre leurs dirigeants) et s’intéresser à leurs objectifs politiques, revendiqués ou non. Sans toutefois oublier que ces groupes, quasiment disparus avec la fin de la guerre froide, sont restés minuscules n’ont jamais regroupé que quelques dizaines ou centaines de militants, et que tous leurs projets se sont finalement soldés par des échecs, même meurtriers. Les régimes républicains et parlementaires sont restés debout et leurs gouvernements, en quelques années, ont fait disparaitre cette menace. Est-ce à dire que la marionnette présentée n’était finalement peut-être pas aussi dangereuse ? Il reviendra aux historiens d’écrire la fin de l’histoire.
Nouveau Monde éditions, Paris, 2013 (rééd.), 416 pages, 22 euros.
ISBN : 978-2-36583-849-8.