Histoire de l'armement
colonel Charles Ailleret
Charles Ailleret, personnalité à la vie mouvementée qui prit des options courageuses, signe en 1948 un "Que-sais-je ?" consacré à l'armement, à la fois rétrospectif et dans une moindre mesure prospectif, très complet. Bref par définition selon la formule de la collection, fortement structuré, il se lit facilement, et malgré ses soixante-cinq ans, il s'agit peut-être de l'un des meilleurs tomes d'une collection universitaire de qualité variable.
Durant l'entre-deux-guerres, Ailleret, officier de carrière, soutient à Paris en 1935 une thèse de droit sur L'organisation économique de la nation en temps de guerre. Il écrit également sur la mobilisation industrielle dans la très officielle Revue militaire française en février 1936. Outre sa compétence de praticien, ce polytechnicien, artilleur de formation, est donc rompu aux exercices académiques. Résistant et déporté durant le second conflit mondial, il est connu pour son rôle d'initiateur au sein du groupe des « quatre généraux de l'Apocalypse » -selon l'expression consacrée par François Géré-, penseurs de la stratégie spécifiquement française de dissuasion nucléaire. Cependant, dans ce petit livre de 1948, il traite presque exclusivement de l'armement conventionnel et terrestre (les pages consacrées à la composante aérienne sont très succinctes, même si la bombe atomique évoquée dans l'ultime chapitre est à l'époque larguée depuis un avion). Ce "Que-sais-je ?" peut se lire comme une mini-encyclopédie des armes offrant des définitions très précises tant des objets dans leur matérialité que de leur emploi sur le champ de bataille. Ces artefacts de plus en plus élaborés ont pour fonction de démultiplier et de projeter la force du combattant, qui n'est plus uniquement musculaire. L'ère féconde couvrant approximativement les décennies de 1875 à 1948, durant laquelle les conflagrations et le progrès technique se nourrissent réciproquement, connaissant un phénomène d'accélération assez exceptionnel, est privilégiée. Après les armes blanches, dans une première phase, est évoquée l'évolution des armes à feu et les modalités du perfectionnement technique facilitant progressivement leur maniement, ainsi que l'accroissement de leur portée et leur efficacité. Les inventeurs, de la poudre à la mitrailleuse, sont souvent tenus en suspicion par les armées, enclines au conservatisme, les munitions les plus performantes qui existent sur le marché n'étant pas automatiquement adoptées par les troupes régulières. Le chapitre IV est dédié à l'artillerie terrestre, des bouches à feu rudimentaires à la motorisation : « En 1880... l'Artillerie est devenue pour un certain nombre d'années l'arme des « feux puissants, larges et profonds » (p.47) (définition empruntée à la controversée Instruction sur l'emploi tactique des grandes unités, texte doctrinal paru en 1936). Le développement suivant évoque de manière très vivante la genèse du char et des premiers blindés, versant français. Ils constituent une réponse trouvée dans un contexte d'urgence tactique car « les premiers combats de la guerre 1914-1918 démontrent la puissance d'arrêt presque absolu des mitrailleuses » (p.34). La séculaire dialectique du sabre et du bouclier est relancée : « Lutte aussi complexe que passionnante, car il ne s'agit pas seulement d'une opposition statique entre la cuirasse et l'obus comme entre celui-ci et la fortification permanente. La raison d'être du char n'est pas seulement son blindage mais aussi sa mobilité et l'armement qu'il porte » (p.66). Les engins se diversifient, se modernisent, s'autonomisent progressivement, leur tactique s'ajustant aux transformations de la guerre durant le second conflit mondial. Une place particulière est réservée à la défense contre avion, qui nécessite un matériel de plus en plus spécialisé à mesure que l'on s'avance vers la moitié du XXe siècle. Le chapitre VII aborde les fusées, et le souvenir de la menace des autopropulsés soviétiques puis allemands (V1 et V2) utilisés dans l'espace européen demeurant vivace. Il n'est pas encore question de missiles à tête nucléaire. Les moyens de transmission dépeints ensuite connaissent un essor remarquable, après plusieurs siècles de stagnation dans le domaine des communications : « Le prodigieux développement des techniques et de l'électronique entre les deux guerres a complètement changé la situation au moment de la deuxième guerre mondiale. À la fin de celle-ci, les radio-communications avaient pris une place énorme jusque dans les plus petites unités sur le champ de bataille » (p.102). Les techniques relatives au transport et aux voies de communication, exposées au chapitre X, sont mises en œuvre par le génie pour l'essentiel, éventuellement par le Train. Initialement, l'usage militaire du moteur est d’ailleurs presque exclusivement réservé aux transports logistiques. Il s'agit de dégager des axes ou inversement de les interdire, le même jeu de bascule entre char et antichar se reproduisant dans cette partie moins glorieuse, moins médiatisée mais indispensable de l'art du combat. Ailleret affirme que « la mine a ainsi pris dans la guerre moderne une importance considérable, comme étant l'un des obstacles passifs qui demande de la part de l'ennemi le plus de temps et d'effort pour être franchi » (p.111). Le pénultième chapitre est consacré à l'évolution de la guerre chimique puisque « [l’] on constate qu'il y a d'autres moyens que le choc pour tuer l'homme ou le mettre hors de combat. On peut l'asphyxier, le rendre aveugle, lui brûler l'épiderme ou les poumons. L'idée n'est certes pas nouvelle, mais les progrès de la chimie organique permettent de la réaliser » (p.8). Le dernier chapitre enfin explique la réalisation de la bombe atomique, arme d'une puissance exorbitante. Les équilibres classiques se trouvent sans cesse remis en cause tandis que s'élargit la possibilité de manœuvre. En somme, « le choix des armes à étudier et à construire, c'est-à-dire la définition des programmes d'armement est ainsi devenu désormais l'un des éléments essentiel de la Stratégie » (p.127).
Comme le trop méconnu L’Art de la guerre et la technique paru en 1950, ce "Que sais-je ?", outre une attention portée aux aspects concrets du combat terrestre offre une vision d'ensemble –certes susceptible de critique et bien sûr d'actualisation du fait de son âge– de l'influence de l'armement sur la fabrication collective de l'histoire. Éminemment didactique, il est rédigé dans une langue claire et élégante où se rencontrent de nombreuses maximes et formules qui frappent par leur vérité et leur concision.
Candice Menat
Coll. ‘Que sais-je ?’, PUF, Paris, 1948, 127 pages. D’occasion à partir de 3 euros.
ISSN 0768-0066 ; 301