Marne, 1914
Une bataille qui changé le monde ?
Holger H. Herwig
Il s'agit de la traduction en allemand de l'ouvrage The Marne, 1914, écrit par l'historien militaire allemand Holger Herwig. Son ambition est celle d'une synthèse chronologique à la fois précise et accessible de la bataille de la Marne, permettant de faire la lumière sur certains épisodes mythiques (les taxis) ou controversés (la mission du lieutenant-colonel Hentsch, les objectifs réels de l'OKH allemand) en exploitant les archives françaises et les documents de la troisième armée saxonne déclassifiés après la chute de la RDA seulement.
Le livre est divisé en neuf chapitres précédés d'un « prologue » et clos par un « épilogue » (une introduction et une conclusion). Il est intéressant de noter que l'auteur introduit longuement l'immédiat avant-guerre et les événements qui mènent au conflit (il y consacre 75 pages sur 300). Selon M. Herwig, la responsabilité du déclenchement des hostilités revient à l'Autriche-Hongrie, agressive et belliciste. Il insiste également sur la relative passivité de Paris, qui calque sa diplomatie sur Moscou dans les semaines qui précèdent le conflit, et sur la conviction partagée par presque tous les état-majors et appareils politiques (en particulier parmi les empires centraux) que « si guerre il doit y avoir, alors il faut qu'elle ait lieu maintenant ».
Ensuite, l'auteur détaille sur plus de cent pages les opérations militaires qui mènent à la bataille de la Marne. Il critique fermement l'état-major allemand, qui croit en un plan irréaliste car ne tenant pas compte des fortifications belges, de la lourdeur prévisible des pertes et du nombre des troupes françaises, qui disposent de réserves alors que les allemands utilisent les leurs en première ligne. Il n'épargne pas non plus le commandement français, en particulier le général Joffre. Pour Herwig, Joffre, qui fut nommé généralissime pour des raisons plus politiques que militaires, pèche par obstination (refusant de reconnaître, en dépit des évidences, que les allemands attaquent en force par la Belgique même une fois qu'ils ont envahi le pays depuis plusieurs jours) et par son obsession de l'offensive. Pour l'auteur, la victoire finale des troupes françaises tient surtout à la qualité de ses autres généraux, particulièrement Castelnau, Galliéni, Foch et Maunoury.
Enfin, une centaine de pages (sur 300) sont consacrées à la bataille de la Marne proprement dite. La défaite allemande est causée, selon Herwig, par le manque flagrant de coordination entre les armées allemandes et l'égoïsme de ses généraux, surtout Bülow, qui est décrit comme inconstant, malade et timoré lors des instants décisifs du combat, mettant à profit son statut de « premier parmi les égaux » (en tant que plus vieil officier prussien encore en activité et favori de Moltke) pour demander sans cesse renforts et assistance aux autres armées avant de se retirer précipitamment sans en informer ni les autres commandants d'armées, ni l'OKH.
Ce manque de coordination serait causé par des problèmes profonds dans les renseignements et les transmissions allemands, négligés avant la guerre alors que le ministère de la guerre impérial aurait dû prévoir qu'ils seraient essentiels pour qu'une offensive menée par 6 armées combattant sur un front de plusieurs centaines de kilomètres puisse réussir. Ceci serait aggravé par le refus de Moltke de s'approcher des zones d'opérations (que Herwig compare aux efforts faits par Joffre pour rendre très souvent visite à ses armées).
Au sein de ce dernier tiers du livre, la mission du lieutenant-colonel Hentsch, sujette à controverse, fait l'objet d'une tentative de « démystification » de plus de trente pages. Selon Herwig, bien que Hentsch outrepasse ses attributions, il le fait en accord avec une tradition non-écrite du haut-commandement allemand, convaincu de prendre la bonne décision. Herwig, grâce à diverses sources (notamment les mémoires des deux sous-officiers accompagnant Hentsch), reconstitue son parcours, semé d'images de destructions et de troupes allemandes éprouvées. Ces fragments du front observés près des premières lignes peuvent, selon Herwig, expliquer son pessimisme. Pour Herwig, c'est surtout Bülow et, dans une moindre mesure, Hausen, qui sont à blâmer : ils auraient dû demander l'avis de Moltke, ou au moins des autres commandants d'armées, avant d'ordonner la retraite alors que la situation militaire n'était pas défavorable et que la percée semblait possible (du fait des manœuvres de la première armée de Kluck et des attaques de la troisième armée dans le secteur de Saint-Gond). En conséquence, Herwig réhabilite Kluck : certes, son avancée a créé une brèche entre les première et deuxième armées allemandes... mais celle-ci n'a pas été la cause principale de la défaite allemande (qui résulte de la bonne décision de Joffre et Galliéni de reprendre l'offensive depuis des positions favorables et surtout des mauvaises décisions de Bülow, qui ne veut et, dans une certaine mesure, ne peut pas coordonner l'action de ses corps d'armée avec ceux des autres généraux). Selon Hentsch, du fait du manque de communication entre armées, de telles brèches sont apparues à plusieurs reprises dans les deux camps (et y compris entre les armées françaises).
Marne, 1914 dresse donc le portrait de belligérants peu préparés aux nécessités de la guerre moderne, rapidement incertains des actions à mener, bien en peine de contrôler les masses d'hommes sous leurs ordres. Souvent, Herwig insiste sur le chaos qui règne en première ligne, empêchant les officiers supérieurs de mener la bataille comme ils le veulent. Il cite une douzaine de cas de soldats tirant par erreur sur des alliés ou des civils, et analyse les exactions allemandes en Belgique et dans le Nord de la France comme une conséquence de ce désordre (la troupe, exténuée et paniquée, étant encline à sur-réagir à la moindre rumeur) plutôt que comme une politique délibérée du commandement allemand. Pour ce faire, Herwig s'appuie sur nombre de témoignages d'époque, généraux et aristocrates comme simple soldats étant abondamment cités. L'auteur combine ces descriptions de première main avec un style presque narratif, par moments assez proche de celui du romancier. Ceci rend le livre plaisant à lire malgré l'exhaustivité des détails, des numéros de divisions et de régiments qui s'enchaînent, mais semble parfois trop empathique et peu approprié pour un historien (par exemple, quand l'auteur dépeint longuement et avec force empathie, probablement en forçant quelque peu le trait, un millier de soldats français chargeant en terrain découvert, au son du clairon et derrière le drapeau tricolore, baïonnette au canon et sans tirer un coup de feu, au cri de « Vive l'Alsace française ! »).
Une synthèse de qualité.
Verlag Ferdinand Schöningh GmbH, 2016, 349 pages, 39,- euros.
ISBN : 978-3506781956.