Entre déclin et renaissance
Olivier Kempf
Animateur du blog Egea, Olivier Kemp nous propose une Géopolitique de la France qui mérite d'être mieux connue, et d'abord (peut-être) parce qu'elle témoigne, nous semble-t-il, d'un réel optimisme (raisonné) en l'avenir. En effet, l'auteur ne se contente pas de survoler les différentes zones crisogènes du monde dans lesquelles la France peut avoir des intérêts (géopolitique étroite limitée aux relations internationales), mais il aborde largement les critères internes et y puise espoirs et arguments.
Conçu de façon très pédagogique, ce livre est divisé en quatre grandes parties ("La construction de la France", "Structures françaises", "La France et les autres" et "La France et l'action extérieure"). Il prend ainsi en compte, ce qui est peu courant, le milieu physique, la population, l'histoire du pays, les équilibres et déséquilibres entre Paris et la province, les villes et les campagnes, la culture, cette "exception française ... donnée au monde", et qui pourrait constituer un formidable bras de levier alors que "l'exception universelle [est] devenue simplement normale". La seconde partie a donc pour objet d'étudier les relations avec le reste du monde, par cercles concentriques. Dans le même esprit, le chapitre 8, qui traite des relations bilatérales avec les principaux voisins et le chapitre 9 qui aborde la question européenne n'oublient pas de plonger leurs raisonnements dans les racines de l'histoire, tandis que le chapitre 10 ("La France et l'héritage colonial") s'intéresse à la France d'outre-mer (DOM-TOM, avec cartes et graphiques), à la Françafrique et à la difficulté de rompre (affirmation pourtant hautement proclamée) avec "un passé qui ne passe pas" : "Sans cacher la réalité des faits ni la vivacité des sentiments, il faut préciser que, derrière les apparences, il y a une sorte de négligence grandissante entre les deux parties". En dépit de réelles potentialités, le bilan est en demi-teinte : "Malgré quelques lignes de force envers notamment les Etats-Unis ou la Méditerranée, on observe les difficultés à maintenir une cohérence régionale avec un politique qui se pique d'être universelle". Les derniers chapitres enfin s'intéressent aux Affaires étrangères et à l'armée, principaux vecteurs de cette ambition internationale. A l'heure des dernières réflexions sur le prochain Livre blanc, il est à souhaiter que certaines lignes aient été lues avec attention.
Ouvrage de vulgarisation au sens premier et noble du terme, utilement complété par de nombreux tableaux, graphiques, cartes, et se terminant par une belle bibliographie de référence, ce livre ne développe pas longuement les problématiques en envisageant sans fin x ou y hypothèses, mais fait un point complet de situation et précise les questions qui restent en suspens. Une étude "positive", "objective" (autant que cela soit possible) que tous les étudiants dans ces filières doivent connaître et qui leur sera de la plus grande utilité.
Editions Technip, Paris, 2013, 309 pages + cartes, 25 euros.
ISBN : 978-2-7108-1000-1.
Olivier Kempf a bien voulu préciser quelques points particuliers :
Question : Pourquoi un livre sur la géopolitique de la France maintenant ?
Réponse : Tout simplement parce qu’il n’existait pas. Or, une nation comme la France, qui a inventé la notion d’Etat-Nation, qui a eu une présence universelle, qui continue à croire au hard power et au soft power, qui a donc pratiqué une géopolitique depuis très longtemps, la France aurait dû être l’objet depuis longtemps d’une telle étude. Je m’en explique d’ailleurs dans un chapitre annexe du livre, où j’examine la question du tabou de cette géopolitique de la France. Il reste que cette intuition fut à l’origine d’un cours dispensé à Sciences Po qui m’a permis de tester un certain nombre d’idées, avant de poursuivre mes travaux pour arriver à cet ouvrage. Il est le résultat de quelques années de travail, même s'il demeure actuel, tout simplement parce qu'il montre les déterminants de long terme.
Est-il opportun ? probablement car on sent une hésitation géopolitique française, et les documents officiels ne définissent pas très bien les véritables orientations, si l'on va au-delà des tartines de vœux pieux. Or, la France a d'une certaine façon achevé son projet géopolitique précédent (fixation ds frontières et recentrage sur un territoire principalement métropolitain). Elle hésite face au tourbillonnement de la planétisation, ce grand rééquilibrage qui rend tout le monde voisin de tout le monde.
Question : Votre ouvrage se distingue par la place qu'il accorde dans une longue première partie aux éléments internes. Pourquoi avez-vous voulu insister sur ces aspects ?
Réponse : Mais tout simplement parce que la géopolitique ne peut s’assimiler, comme on le fait couramment, à une simple vision des relations extérieures d’un pays. La Géopolitique est classiquement définie comme la rivalité de pouvoir sur des territoires. Mais elle est surtout l’expression d’une conception politique, celle de la souveraineté. Or, cette souveraineté revêt une double face : elle est à la fois intérieure (dans l’ordre politique, la souveraineté populaire) et extérieure (dans l’ordre international, la souveraineté nationale à la source du système de l’ONU). Il faut donc examiner les deux faces de cette enveloppe (de cette frontière). On ne peut comprendre la posture extérieure d’un pays sans comprendre ses déterminants intérieurs : géographiques, historiques, politiques, économiques, culturels, etc… Or, cette infrastructure est essentielle pour comprendre l’attitude au monde d’un pays.
Question : Vous êtes globalement peu critique et présentez surtout, semble-t-il, un point de situation. Quels sont selon vous les éléments de faiblesse de la France dans le concert mondial ?
Réponse : Effectivement, je suis peu critique car je me méfie beaucoup des docteurs yakafokon. Je sais que la posture est bien portée et qu’elle donne le beau rôle, mais aussi beaucoup de ridicules quand les événements démentent les affirmations péremptoires. Je crois surtout avoir démontré qu’une des caractéristiques essentielles de la France tient à son obsession du déclin. Sans cesse, nous avons des censeurs qui nous expliquent que nous sommes en train de sombrer et qu’il faut changer. Je constate que leur rôle n’est pas si néfaste puisqu’effectivement, la France a considérablement changé, justement pour se conformer à son aspiration. Là réside au fond la singularité française : vouloir demeurer encore une « puissance », une différence. Le déclinisme est peut-être outré, mis il constitue un aiguillon qui nous fait évoluer, s’appuyant sur notre besoin de demeurer. We will survive, chantaient les champions du monde de foot en 1998 : tout un symbole !!
Je constate ce trait de caractère, profondément ancré, et très distinctif. Et comme toute caractéristique, il a des vertus et des faiblesses. Votre question suggère une vision binaire (bien ou mal) qui ne correspond pas, me semble-t-il, à la réalité complexe du monde en général, et de la France en particulier. En revanche, plutôt que de parler de faiblesse, je constate une certaine hésitation actuelle (toutefois, elle n’est pas propre à la France mais bien à tout ce qu’on désigne habituellement par l’Occident). Ce sentiment du déclin est désormais partagé par tous nos partenaires occidentaux. Et la France n’a pas encore formulé de projet géopolitique qui puisse être la source d’une ligne stratégique intégrale, comme aurait dit Poirier. Et pour livrer le fond de ma pensée, je n’ai pas l’impression qu’on en accouche prochainement. Je conclus le livre en ébauchant les trois lignes possibles : continentale, maritime, méridionale. Ce choix reste à faire.
Question : Et les éléments de "puissance" sur lesquels elle pourrait s'appuyer ?
Réponse : Cela fait quarante ans qu’on nous prédit notre déclassement, et nul ne voit que la France est une des principales puissances européennes. Assurément la première puissance militaire, tenant le coup économiquement (y compris avec l’Allemagne sur le long terme), riche d’une démographie solide, disposant de solides relais de par le monde. Certes, elle doit se battre et innover mais elle a des ressources incroyables. Mais il ne faut pas trop complimenter la France : elle risquerait de s’arrêter de faire des efforts, alors qu’elle démontre une énergie incroyable.
Merci Olivier Kempf pour ces réponses pertinentes et plein succès pour ce nouveau livre.