Un été en Kapisa
Julien Panouillé
Caporal parachutiste, tireur d'élite, 23 ans et témoin : Julien Panouillé nous livre ici un témoignage à chaud de son expérience afghane au sein du bataillon Raptor à l'été 2011. Le colonel Sénétaire, son chef de corps, précise dans la préface qu'il "décrypte, traduit, fait vivre les sentiments les plus enfouis au fond de chaque homme confronté à la guerre" et qu'il convient de "remercier Panouillé pour s'être acquitté de cette mission essentielle qui pour beaucoup prendra valeur de catharsis".
Avec des mots simples, des phrases claires, Julien Panuillé raconte, du 1er mai au 13 novembre 2011, sa mission en Afghanistan. Une brève escale à Chypre, un transit par Douchanbe et c'est l'arrivée à Bagram : "C'est immense, c'est réellement une ville". Dernier déplacement le lendemain en Chinook, pour rejoindre Tagab. La première patrouille commence presque aussitôt. C'est ensuite le récit des attentes (et oui, il y en a -beaucoup- à la guerre), toujours sous tension, l'aménagement de la position, la lessive, des missions de deux, trois ou huit jours jours sur les hauteurs, des groupes de rebelles qui apparaissent puis disparaissent à quelques centaines de mètres, les embuscades et les phases d'observation, les progressions discrètes et les accrochages : "A minuit j'ai décelé, avec les jumelles thermiques, deux individus ... Je me suis aperçu qu'ils se déplaçaient en appui mutuel, et en passant devant une maison j'ai remarqué que l'un d'eux avait un RPG dans le dos. J'annonce à la radio, ce qui a fait déclencher des tirs de mortiers éclairants, ainsi, cela nous aurait permis, si nous les avions vus, d'ouvrir le feu avec la pièce d'élite de nuit. Mais les comptes rendus à la radio prennent trop de temps, et ce sont encore deux beaux enfoirés qui nous glissent entre les doigts". Des jours de repos, une sensation de soif "insatiable, dure à combiner avec l'économie de l'eau pour la journée", les insomnies avant chaque "grosse mission". Et toujours les tirs de harcèlement d'insurgés isolés, les camarades tombés : "J'ai appris par des hommes de la 3e compagnie que C.H.**** était mort la veillle. Ca a été un coup de massure, une grosse claque dans la gueule ... On s'était côtoyé pendant deux mois. Je n'arrive pas à y croire, je suis écoeuré, je n'ai plus envie de rien". La mission continue quand les copains sont blessés, même si "le moral n'est pas là" et si "tout le monde se dit que cette fois ce n'est vraiment pas passé loin". Ce sont aussi des sites superbes, des maisons en ruines et de magnifiques nuits étoilées... "Une partie importante de ma vie qui est en train de me construire autant qu'elle me détruit".
Un livre indispensable, qui rappellera à certains des carnets personnels de la Grande Guerre, des lettres de la Seconde guerre mondiale, d'Indochine ou d'Algérie même. Le quotidien d'un jeune homme en guerre, sans fioritures, sans excès non plus. Un témoignage rare sur la guerre d'aujourd'hui d'un jeune soldat de son temps.
Editions Mélibée, Toulouse, 2012, 103 pages + cahier photos. 13,50 euros.
ISBN : 978-2-36252-241-3
Nous avons demandé à Julien de nous livrer ces sentiments sur cette double expérience, d'engagement opérationnel, puis d'écriture.
Question : Qu'est-ce qui pousse un jeune soldat projeté en Afghanistan à mettre par écrit, presque quotidiennement, le récit de ses journées et de ses pensées, rejoignant en cela les "grands anciens" des siècles passés ?
Réponse : Nous savions avant de partir que les conversations téléphoniques seraient limitées et que le courrier était susceptible d'être intercepté, mes parents m'ont donc conseillé de prendre des notes. J'ai commencé en arrivant sur la base américaine, car nous étions dans l'attente. Par la suite, j'ai pris goût à raconter ce que nous faisions. Quand on a commencé à "taper dans le bois dur", ça me faisait du bien et je ne voulais pas que ma famille ai conscience de ce que nous vivions, ils se faisaient tellement de souci. Mais je savais qu'ils voudraient connaître la réalité, à mon retour, de ce que j'avais vécu. Cela m'a permis de ne rien oublier et de garder une trace à jamais de mes sentiments à chaud de cette expérience.
Question : Pourquoi avoir voulu faire publier aussi rapidement ces textes, somme toute très personnels ? Comment cela s'est-il passé et qu'en attendez-vous ?
Réponse : Je me suis rendu compte que les gens, en général, connaissent très mal leur armée, voire s'en désintéressent, mais surtout qu'ils ignorent ce que font les soldats qui se battent en Afghanistan et comment ils vivent la réalité à laquelle ils sont confrontés. Peut-être aussi pour casser l'image du soldat "bête et méchant", qui ne pense pas. Egalement parce que je pense que la réalité est vécue par les hommes au bas de l'échelle et qu'à mon sens c'est à eux de la raconter.
Suite à l'expédition de mon manuscrit à plusieurs maisons d'édition, j'ai rapidement eu plusieurs propositions de contrat et je me suis rendu compte que le sujet intéresse plus que je ne le pensais. Quant à mes attentes, je ne sais pas vraiment. C'est une façon de tourner la page en n'en oubliant rien, une façon de rendre hommage à tous ceux qui ne sont pas revenus et aux blessés. Je souhaite "ouvrir la porte" aux gens qui veulent comprendre.
Question : Quelles ont été, à la lecture de 197 Jours, les réactions de vos camarades, de vos chefs, de votre famille et de vos amis ? Ont-elles été identiques, ou en quoi différaient-elles ?
Réponse : Ma famille et mes amis ont été les premiers à lire le manuscrit. Leur réaction ? Ils sont tombés de haut, ils étaient à mille lieues d'imaginer ce à quoi nous avons pu être confrontés, ou la dureté des choses que nous avons pu vivre. Par la suite, je l'ai fait lire à mes chefs, qui ont trouvé que c'était le ton juste et m'ont félicité. C'est la première fois qu'un militaire du rang publie, et c'est aussi cela qui leur a plu. Mes camarades ont attendu que le livre soit paru pour le lire. Beaucoup d'entre eux l'attendait avec impatience pour le faire lire à leurs proches. Une façon de faire comprendre ce qu'ils ont vécu, car personne n'a vraiment pu raconter...
Question : Y a-t-il une journée qui vous a particulièrement marqué, pour une raison ou pour une autre ?
Réponse : Le 10 juin, un homme s'est involontairement tiré une balle dans la gorge en rentrant au camp. J'ai été un de ceux qui l'ont porté jusqu'aux médecins et infirmiers. Ce jour m'a énormément marqué, parce que son regard, son souffle, parce que la souffrance, la chair, le sang, parce que la violence, le feu, la guerre, parce que la mort .. Je me suis rendu compte que nous ne sommes rien.
Queston : Aujourd'hui, bientôt un an après votre retour, quelques semaines après la sortie de votre livre, quell est la suite du programme, quels sont vos projets ?
Réponse : Vivre !
Merci Julien pour ces réponses d'une rare sincérité, bon courage et bonne chance dans tous vos projets.