Une halte à Paris dans notre tour de France des maisons d'édition, avec la présentation d'une petite société spécialisée en particulier sur les témoignages relatifs aux conflits les plus récents, chose toujours rare et apprécié par les historiens.
François de Saint-Exupéry
Question : Pouvez-vous nous présenter l'origine de votre
maison d'édition et ses principaux axes éditoriaux ?
Réponse : À l’origine ? La crise de la quarantaine et l’envie de faire quelque chose qui m’intéressait plus que mon activité précédente… Mais sans doute aussi un environnement familial avec un grand-père colonel ayant effectué la campagne de Tunisie dans les Chasseurs d’Afrique avant de débarquer en Provence et de poursuivre sur l’Allemagne. Ou un oncle dans les Troupes de Marine, fait prisonnier en tant que jeune lieutenant à Cao-Bang avant d’être libéré 4 ans plus tard pour finir Chef de corps du 1erRPIMa. Sans oublier un autre oncle, pilote de chasse sur Jaguar, etc. A chaque fois, de très fortes personnalités, mais une frustration immense de ne pas arriver à savoir véritablement ce qu’ils avaient vécu. Nimrod est donc né de la volonté de s’intéresser à ces anonymes qui ont des parcours souvent exceptionnels et au travers desquels il est possible d’appréhender l’Histoire par le prisme humain. Le titre du livre de Pierre Darcourt que nous avons publié, « L’honneur et le sang », prix Erwan Bergot de l’armée de terre en 2012, résume parfaitement ce que nous souhaitons éditer.
Question : Votre catalogue compte de nombreux ouvrages traduits de l'anglais : comment sélectionnez-vous vos manuscrits ? Accordez-vous une place particulière aux jeunes auteurs ?
Réponse : Nous avons initié notre catalogue avec des traductions de récits autobiographiques anglais ou américains, car les anglo-saxons témoignent beaucoup plus facilement d’expériences vécues contemporaines. Parallèlement à ces traductions, nous nous sommes mis en quête de récits français. Il nous a fallu attendre plus de 3 ans pour publier un premier témoignage français, celui du colonel Jean Sassi (Opérations spéciales, 20 ans de guerres secrètes) qui a mené une vie extraordinaire, et encore 3 ans de plus pour publier un récit français sur des événements plus récents, celui du sergent Yohann Douady (D’une guerre à l’autre). Le colonel Sassi était-il un jeune auteur ? Il avait 91 ans lorsque nous avons mis son livre en chantier, mais il n’en était pas moins un jeune auteur puisqu’il s’agissait de son premier livre. À l’inverse, le sergent Yohann Douady n’a que 31 ans aujourd’hui. L’âge importe peu. C’est l’histoire vécue qui nous intéresse, plus que l’âge de l’auteur ou sa bibliographie. Il ne faut pas nécessairement que celui-ci sache très bien écrire puisqu’il y a parfois un travail d’accompagnement. Il faut surtout qu’il sache raconter et qu’il ait une bonne mémoire.
Quant aux auteurs, certains entrent en contact avec nous par un simple mail. Il y en a d’autres que nous identifions car nous savons qu’ils ont vécu une expérience intéressante et nous cherchons à les convaincre de l’écrire ou de la raconter, comme cela s’est produit avec l’adjudant-chef Saulnier qui a passé 34 ans à la Légion étrangère, depuis Kolwezi jusqu’à l’Afghanistan (Une vie de légionnaire). Cela peut prendre deux ou trois ans avant que le projet n’aboutisse et il faut savoir être patient. Mais quel plaisir d’avoir apporté un nouvel éclairage sur le coup de force japonais en Indochine avec Pierre Darcourt, d’avoir fait découvrir les Jedburghs, la Force 136 et les maquis du GCMA avec les témoignages du colonel Jean Sassi et du Prince Michel de Bourbon-Parme, ou encore les conflits en Côte d’Ivoire et en Afghanistan avec le sergent Douady. Ce sont à chaque fois des rencontres exceptionnelles, mais aussi la possibilité de témoigner des sacrifices et du courage des anonymes héroïques que sont les militaires.
(à paraître)
Question : Dans le contexte globalement morose de l'édition aujourd'hui, comment envisagez-vous l'avenir à court et moyen termes ? Quels sont vos principaux projets de développement ?
Réponse : Très honnêtement, nous ne savons jamais vraiment de quoi sera faite l’année à venir. Nous lisons plus d’une centaine de livres anglo-saxons chaque année pour en retenir deux ou trois et nous travaillons parallèlement sur des projets de récits autobiographiques français qui peuvent déboucher à échéance d’un an ou deux, ou jamais... Mais il y toujours la possibilité d’un mail ou d’une rencontre pouvant amener un projet concret qui viendrait s’intercaler dans notre planning. D’une manière générale, notre horizon de travail est plutôt de 9 mois.
À court terme, nous publierons un beau livre photos et textes comme cela nous arrive de temps à autre. Il s’agit en l’occurrence d’un ouvrage de 3 kg consacré à des portraits de légionnaires. Le photographe, Jean-Baptiste Degez, avait entamé son travail il y a 5 ans déjà ! Et en juin prochain, nous publierons ce que nous considérons comme le premier vrai témoignage d’un pilote de chasse français depuis le récit de Pierre Clostermann qui était paru en 1948 ! Nous aurons également quelques belles surprises à l’automne, dont un récit français et des témoignages anglo-saxons.
Question : Le récent salon du livre de la Porte de Versailles accordait une place importante à l'édition électronique et aux e-books, or il semble que ceux-ci ne connaissent qu'une croissance relativement marginale en France par rapport aux pays anglo-saxons. Quelle est votre politique en la matière ?
Réponse : Nous nous y intéressons, mais d’un œil distant. Un livre est peut-être lourd et parfois volumineux, mais il ne tombe jamais en panne et ne nécessite aucune mise à jour. Et quel plaisir que d’avoir une belle bibliothèque chez soi !
(à paraître)
Question : Pensez-vous que la source de témoignages français puisse éventuellement se tarir ?
Réponse : 99,9% des écrits militaires français (j’exagère sans doute) sont des livres d’histoire, des livres doctrinaires sur la tactique, la stratégie ou des livres dédiés aux histoires des régiments, des uniformes... En France, les vrais témoignages militaires rédigés à la première personne sont encore rares bien que notre histoire soit très riche en expériences vécues. Que ce soit sur l’Indochine ou l’Algérie, je suis persuadé - en tout cas, j’espère ! - que l’on peut encore trouver des témoins de ces conflits qui accepteraient de partager leur vécu. Un de nos grands regrets reste de n’avoir pas réussi à convaincre le commandant Roger Faulques de partager ses souvenirs. Une page d’histoire s’est éteinte avec lui... Quant aux conflits plus contemporains, il y a quantité de sujets à aborder. Il manque toujours le récit des opérations du 11e Choc en Algérie, ou celui de la prise d’otage de Loyada en 1976. Que sait-on des combats français à Mogadiscio en 1993 ? Quelles ont été les histoires des soldats français déployés au Liban ? En ex-Yougoslavie ? En Côte d’Ivoire ? Au Rwanda ? En Libye ? Les trois ou quatre récits biographiques parus sur l’Afghanistan suffisent-ils réellement à rendre hommage aux actions des Français menées dans ce pays ? Qui étaient et que sont devenus les hommes d’Uzbeen ? Les accrochages très sérieux qui se produisent actuellement au Mali donneront-ils lieu plus tard à des témoignages ? Et demain, en Centrafique ?
Ecrire un témoignage n’est pas se vanter ou se mettre en avant, mais simplement chercher à faire comprendre ce que peut être la réalité du terrain sur un plan humain et opérationnel - souvent à des années lumière des clichés ou de ce que peut imaginer le citoyen. Le devoir de réserve est important, mais à l’heure d’Internet et de la fulgurance de l’information, le devoir de mémoire l’est parfois encore plus et il ne peut exister que sous la forme d’un livre. Ces témoignages qui reflètent la réalité du terrain sont d’autant plus importants que l’avenir de l’armée peut paraître bien sombre au regard des informations circulant sur le prochain livre blanc.
Merci beaucoup pour cette quasi-profession de foi d’éditeur, bon courage et plein sucès dans vos entreprises !