Reprenons notre rubrique "Présentation d'un éditeur", afin d'aider à mieux faire connaître une jeune maison, créée en 2011, dont les animateurs ne manquent ni de projets, ni d'ambition. On appréciera en particulier leurs choix d'auteurs (cf. deuxième question) et leur politique éditoriale (voir par exemple nos dernières recensions, Julian Corbett le 15 mars -ici-, ou Bréviaire stratégique le 7 mars -ici-).
Olivier Zajec
Editions Argos
Question : Argos est une maison jeune dans le paysage éditorial. Pouvez-vous nous en décrire l'origine et les grands axes que vous vous êtes fixés en termes de développement ? Etes-vous adossés à un groupe plus important ?
Réponse : Merci tout d’abord de votre proposition d’interview dans le cadre de ce blog. L’idée de lancer Argos est née de la rencontre en 2011 entre trois passionnés de géopolitique, de stratégie, de défense et de relations internationales. Nous avons tous les trois à peu près le même âge, 35 ans, mais nos horizons de départ sont différents. L’un a créé depuis quelques années un groupe de presse spécialisé dans les relations internationales et la défense (Areion), l’autre une maison d’édition axée sur la culture et la spiritualité (Artège). Et je travaille pour ma part depuis dix ans dans le domaine des études stratégiques, à CEIS et à l’ISC (Institut de Stratégie et des Conflits). En fondant Argos en tant que maison d’édition indépendante, l’idée était de jouer la complémentarité entre nos parcours, notre expérience et nos visions, en faisant entendre une nouvelle voix dans un paysage certes bien « occupé »... mais où il nous semble qu’il reste de la place pour un projet innovant.
Question : Comment sélectionnez-vous vos manuscrits et pensez-vous pouvoir développer une politique active en faveur de l'édition de jeunes et talentueux auteurs qui éprouvent parfois des difficultés à se faire connaître en dépit de la qualité de leurs travaux ?
Réponse : L’objectif, au travers de nos différentes collections, est de traiter quatre univers parallèles d’une manière connectée (géopolitique, stratégie, défense et relations internationales), en donnant bien entendu la parole à des spécialistes reconnus de ces questions…mais aussi et surtout à de jeunes chercheurs. En raison de l’âge des fondateurs d’Argos, je dirais avec un peu de malice que nous avons un certain biais « générationnel »… Le but est aussi d’attirer des « plumes » civiles et militaires à parité, détail auquel nous tenons particulièrement. Les spécialistes premiers et non substituables de la dialectique stratégique, en tant que conciliation des fins politiques et des moyens militaires, ce sont bien… les militaires, une évidence parfois oubliée. Et chez ces militaires, ce sont les jeunes générations qui « encaissent » directement les ruptures de la mondialisation et des nouvelles formes de conflits. Il ne serait pas illogique de les voir disputer aux stratégistes civils, très actifs, une part du discours sur une matière qu’ils connaissent et pratiquent « directement »…Concernant les titres : pour ce qui est des spécialistes reconnus, nous passons commande d’un sujet, à notre initiative. Pour les jeunes auteurs, nous privilégions pour le moment l’examen et l’acceptation éventuelle des manuscrits finalisés qui nous sont envoyés. Nous mettons à la disposition de tous ces auteurs, militaires comme civils, un riche fonds cartographique. Et nous avons fait le choix de confier notre diffusion commerciale aux Presses Universitaires de France, un gage de qualité. Notre site, quant à lui, sera bientôt pleinement opérationnel. Argos est bien référencé à la Fnac, sur Amazon et dans de nombreuses librairies.
Question : Vous commencez à développer plusieurs collections ayant une forte tonalité d'histoire militaire. Envisagez-vous d'ouvrir prochainement de nouvelles collections sur des thématiques liées aux grandes batailles, campagnes et opérations ? Et envisagez-vous de privilégier une période chronologique plus ou moins récente ou souhaitez-vous aborder très largement tous les sujets ?
Réponse : Je vais répondre un peu longuement à votre question. Actuellement, quatre collections existent chez Argos : « HistoireS », effectivement, mais aussi« GéopolitiqueS », « StratégieS », et « Maîtres de la stratégie ». GéopolitiqueS traite l’essentiel des informations utiles sur les entités « territorialisées », pour conserver à la dénomination «géopolitique » son sens et sa cohérence, parfois galvaudés. Il s’agit bien de décrypter des « enjeux de pouvoir sur des territoires », pour reprendre la définition limpide d’Yves Lacoste. A contrario, on ne trouvera pas dans cette collection un ouvrage sur la contre-insurrection, la défense antimissiles ou les budgets de défense, ces sujets pouvant être accueillis dans la collection StratégieS, qui rassemble les thématiques transverses de défense, de politique et de sécurité. Maîtres de la Stratégie est quant à elle une véritable nouveauté dans le paysage des études stratégiques. Robert Lee, Mao Zedong, Carl von Clausewitz, Ferdinand Foch, Henri de Jomini, Turenne, Trotski, Giap, Joukov, Julian Corbett, Helmuth von Moltke… Pour la première fois, la formation, le parcours, les œuvres doctrinales et théoriques, les actions guerrières et enfin la postérité théorique et intellectuelle de ceux qui ont pensé et vécu la Guerre en tant que « fait social total » seront présentés sous une forme synthétique et accessible, formant une introduction et parfois un complément à certains travaux encyclopédiques déjà existants. Nous venons de publier un premier ouvrage de Joseph Henrotin (Julian Corbett, renouveler la stratégie maritime). Les ouvrages dont les sorties ponctueront 2013 et 2014 ont été confiés à des auteurs reconnus, comme Gérard Chaliand (Mao Zedong, stratège et chef de guerre), Jean-Jacques Langendorf (Helmuthvon Moltke, l’art prussien de la guerre), Benoît Chomel de Jarnieu (l’amiral Daveluy), et à de jeunes chercheurs, comme Christophe Béchet (Schlieffen, le stratège du point d’impact)... L’histoire militaire, quant à elle, a logiquement vocation à peupler le catalogue de la collection HistoireS. Pour le moment, les titres de cette dernière ont une forte tonalité « capacitaire » (Histoire des blindés français de Stéphane Ferrard ; Histoire de la Dissuasion nucléaire d’André Dumoulin), en raison de la disponibilité de ces textes via notre partenariat naturel avec Areion. Mais nous élargirons sans doute cette perspective à partir de 2014, en direction, effectivement, des campagnes et des opérations contemporaines. Pour le moment, il ne vous aura pas échappé que l’édition est un domaine économiquement difficile, réservé aux idéalistes…ou aux gens bien organisés. Nous avançons donc prudemment ! Et nous ferons un premier bilan dans un an.
Question : Parmi vos premiers ouvrages, on compte plusieurs petits volumes, type "manuels" ou "synthèses générales". Est-ce un choix économique (coût unitaire du livre par exemple), ou plus "politique" (fournir des outils de référence aisément consultables) ?
Réponse : Que ce soit pour des manuels, des atlas (comme l’Atlas géopolitique mondial 2013 de 270 cartes que nous venons de publier) ou pour les ouvrages plus spécialisés, nous aimerions rester dans une fourchette de prix allant de 10 à 20 euros. Nous pensons que nous pouvons concilier un traitement approfondi, des auteurs aux cultures complémentaires, une maquette attrayante, une diffusion professionnelle et un prix compétitif. Economie des forces, concentration des efforts, liberté d’action : les principes de Foch appliqués à l’entreprise d’édition, si vous voulez…
Question : Pourquoi le choix de ces thématiques face aux difficultés du marché d'aujourd'hui ?
Réponse : Parce que la Défense est le domaine « de la vie et de la mort » des Etats, comme le rappelait Sun Zu. Et qu’en ces temps de rupture et de coupes budgétaires hâtives, il n’a jamais été aussi urgent de comprendre les enjeux et les risques que nos sociétés affrontent. En retournant aux classiques, comme le recommandait Hervé Coutau-Bégarie, et en évitant de se contenter de recopier des listes de menaces sur les powerpoints du Pentagone. Il faut que la France et l’Europe pensent par elles-mêmes. Ce sont les idées qui créent le marché, pas le contraire. C’est ce qui fonde notre pari !
Bravo pour votre enthousiasme, bon courage et plein succès pour vos projets.