Notre tour de France des "petites" maison d'édition nous ramène sur Paris, avec une création récente qui mérite toute notre attention d'amoureux des livres.
Pierre de Taillac
(Paris)
Question : Votre maison d'édition est très récente. Pouvez-vous décrire votre parcours et nous expliquer pourquoi vous vous êtes lancé dans cette aventure alors que le secteur de l'édition fait généralement grise mine ? Par ailleurs, vous annoncez faire le choix d'une politique éditoriale prenant largement en compte l'histoire militaire, ce qui n'est pas le plus court chemin pour connaître les tirages d'un Prix Goncourt ?
Réponse : Après avoir étudié à la Sorbonne et à Sciences-Po, je me suis spécialisé en histoire militaire en suivant un master de « WarStudies » au King’sCollege de Londres. Puis j’ai commencé à travailler dans le monde de l’édition, notamment aux Éditions François Bourin. Après cette expérience, j’ai pris la décision de créer une maison d’édition spécialisée en histoire militaire. J’avais, et j’ai encore plus aujourd’hui, le sentiment qu’il y a de nombreux livres passionnants à faire dans ce domaine. J’ai parfois l’impression que la guerre et l’histoire militaire sont des sujets méprisés par bon nombre d’acteurs du monde de la culture. Et ceux qui s’y intéressent sont trop souvent traités avec dédain et regardés de haut… Ce comportement est très regrettable car je crois que si l’on s’intéresse à la culture, aux sciences sociales et aux sciences humaines, la guerre est au contraire une porte d’entrée passionnante. En plongeant les hommes et les sociétés dans des circonstances extraordinaires, elles agissent comme un puissant révélateur. Et je suis convaincu qu’il est essentiel que les citoyens aient une bonne culture en matière militaire.
Je garde toujours à l’esprit cette maxime d’Erasme : "La guerre est douce à ceux qui n'en ont pas l'expérience". Si vous connaissez bien l’histoire militaire, je suis persuadé que vous serez plus conscient que la guerre est un « outil »dangereux. C’est un outil au service du pouvoir politique (et non du commandement militaire) pour reprendre l’idée maîtresse de Clausewitz – toujours mal comprise – mais c’est un outil dont il faut absolument se méfier (même s’il est malheureusement parfois utile) : cet outil génère nécessairement son lot de souffrance, pour les militaires et pour les civils, et il est très difficile à contrôler. Combien de conflits, qui devaient se solder par une victoire rapide, se sont en fait prolongés pendant des années, prenant des proportions inimaginables pour ceux qui les avaient déclenchés, et devenant de véritables suicides pour les pays belligérants ? Autant dire qu’il est indispensable pour les citoyens d’une démocratie d’être bien informés, d’avoir une bonne culture en matière militaire. D’où l’intérêt d’essayer de publier de bons livres sur ces questions. C’est ce que j’essaie de faire.
Question : Comment avez-vous déterminé vos collections et combien de titres envisagez-vous d'éditer à courte ou moyenne échéance?
Réponse : Les collections sont très différentes les unes des autres car chacune est consacrée à une forme de livre que j’apprécie. Les livres de photo avec la collection « Images de guerre ». Les anthologies avec la collection « Aux armes ! », consacrée aux plus grands discours de guerre, que nous avons lancée avec les proclamations de Napoléon. Et les témoignages de soldat avec « Les voix oubliées ». Dans cette collection, on vient de publier Un Marsouin au Congo, le récit inédit et étonnant d’un officier sorti du rang envoyé au Congo en 1902 administrer l’équivalent de deux ou trois de nos départements.
Mon objectif est de publier 8 à 10 titres par an. Cela peut sembler relativement modeste mais réussir à faire une dizaine de bons livres chaque année, c’est en fait assez ambitieux et c’est un travail de Romain qui mobilise de nombreuses personnes : auteur, éditeur, correcteur, graphiste, imprimeur, attaché de presse…
Question : Vous êtes un "jeune chef d'entreprise" : quelle place pensez-vous pouvoir donner dans vos publications aux jeunes chercheurs et historiens ? Comment sélectionnez-vous vos sujets et vos titres ?
Réponse : L’âge d’un auteur – jeune ou moins jeune – m’importe peu. Ce qui m’importe avant tout, c’est la qualité du texte et l’originalité du sujet. Expérimentés ou pas, tous les auteurs qui trouvent des angles nouveaux pour écrire l’histoire des guerres m’intéressent. Mon objectif est vraiment de faire de l’histoire militaire autrement. Je ne tiens pas à publier un énième album général sur 14-18 à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre. Ce que je recherche, c’est le manuscrit à l’angle original qui fera découvrir cette guerre sous un jour nouveau. C’est certainement parce que c’est ce que j’aime lire en tant que lecteur.
Question : Vous publiez coup sur coup Clemenceau avec une préface de Jean-Jacques Becker et une "Histoire vraie de la Grosse Bertha" : est-ce le fait du hasard ou doit-on y voir une future orientation forte ?
Réponse : Non, il ne faut pas y voir de signe particulier. L’enchaînement s’est fait assez naturellement pour ces deux livres, mais il faut noter que depuis 2011, nous avons également publié Opération Barbarossa, Pearl Harbor, et En Campagne avec l’Armée rouge qui portent tous trois sur la Seconde Guerre mondiale. Tous les conflits nous intéressent et j’aimerais que notre catalogue, à terme, ne laisse aucune époque de côté. Par exemple, nous travaillons actuellement à un livre sur les grandes batailles du Moyen Âge et à un autre sur les relations entre guerre et argent depuis l’Antiquité.
Question : Etant en pleine phase de développement, vous avez sans doute de nombreux projets en instance. Quelles surprises nous réservez-vous ?
Réponse : De nombreux projets, c’est même peu dire ! Pour la rentrée, nous travaillons actuellement à l’élaboration de deux « Beaux livres », l’un sur les grandes bataille du Moyen Âge, comme je l’ai indiqué, et le second sur l’invention du camouflage pendant la Grande Guerre. Batailles du Moyen Âge sera l’occasion pour le lecteur de découvrir des cartes étonnantes détaillant les plus célèbres affrontements médiévaux. Tromper l’ennemi. L’invention du camouflage moderne pendant la Grande Guerre sera quant à lui le premier beau livre français sur le camouflage, riche d’une abondante iconographie. Il est écrit par Cécile Coutin, conservatrice en chef à la Bibliothèque nationale de France et spécialiste de cette question, et elle y révèle le rôle méconnu et pourtant essentiel des artistes et des décorateurs de théâtre (rompus aux effets de trompe-l’œil) dans l’évolution des techniques de camouflage.
Merci très vivement pour ces réponses spontanées, précises et argumentées. Bon courage et plein succès dans vos projets.
Retrouvez les éditions Pierre de Taillac sur
http://www.editionspierredetaillac.com
ou sur http://fr-fr.facebook.com/pages/%C3%89ditions-Pierre-de-Taillac/228239233864505