Philippe Valode
Le titre même du livre annonce un sujet passionnant, car il y a encore beaucoup à faire pour dénouer avec finesse les réseaux qui gravitaient autour de Vichy et du chef de l'Etat français. Par ailleurs, l'ampleur du chantier constitue en elle-même un beau challenge. Mais la bibliographie antérieure de l'auteur nous a intrigué et a suscité une réticence initiale : outre un curieux Hitler et les sociétés secrètes, il a tout-à-tour traité des Grands traitres de l'histoire, des Grands empoisonnements de l'histoire, etc., et ses publications couvrent sans hésitation toutes les périodes, des Pharaons de l'Egypte ancienne aux présidents des républiques américaine ou française. Difficile d'être crédible quand on prétend à "l'universalité" de la connaissance historique.
Et pourtant, l'ouvrage est à bien des égards intéressant. Après s'être attaché dans les chapitres 1 et 2 à décrire les conditions de demande et de signature de l'armistice de juin 1940 puis l'évolution du régime entre juillet 1940 et avril 1942, il dresse un "Portrait de Philippe Pétain" (chap. 3, pp. 121-130) relativement réducteur, puis entre dans le vif du sujet. C'est ici que le livre trouve son intérêt, car Philippe Valode décrit effectivement, en plusieurs tableaux, l'environnement humain du maréchal : "Deux hommes clés, François Darlan et Maxime Weygand" (chap. 4, pp. 131-142), "Les amis de Pétain" (chap. 5, pp. 143-178), "Les théoriciens de la Révolution nationale" (chap. 6, pp. 179-192), "Les militaires, ou la protection rapprochée du maréchal Pétain" (chap. 7, pp. 193-218), "Quelques individualités brillantes au service du maréchal" (chap. 7, pp. 219-228), "Les hommes de la Révolution nationale" (long chapitre 9, pp. 229-376, qui apporte par grands domaines d'activités tous les secteurs : agriculture, enseignement, travail ouvrier, politique familiale et de santé, jeunesse, technocratie, prisonniers de guerre, justice, mouvements populaires), "Les relais du pouvoir" (chap. 10, pp. 377-410), où l'on retrouve les hommes d'Eglise, les intellectuels, artistes et journalistes, etc. Les derniers chapitres (11 à 13) s'intéressent à la période avril 1942 - juin 1944, marquée par le personnalité de Laval, l'intervention croissante des partis collaborationnistes parisiens et l'incapacité (ou l'absence de volonté ?) de plus en plus réelle dans laquelle se trouve Pétain d'avoir une action effective sur les événements. La conclusion ("Epilogue lugubre", pp. 485-495) est centrée sur les épurations (sauvage, légale, spécifiques) qui accompagnent la Libération. On le voit, le projet est ambitieux et, au fil de son récit, très généralement centré sur les personnes comme le titre l'indique, nous allons bien au-delà des "classiques" Darlan ou Déat. Certains sont plus ou moins connus : le docteur Ménétrel, le général Laure, l'amiral Auphan, l'historien Carcopino, le tennisman Jean Borotra ou Gaston Bergery. D'autres le sont beaucoup moins : Louis Salleron, "théoricien du corporatisme agricole" ; Pierre Caziot, ministre du ravitaillement et de l'Agriculture ; le professeur Jacques Chevalier, successivement en charge des questions d'enseignement puis de la famille et qui reste "très favorable au maintien de relations étroites avec les Alliés" ; le docteur Grasset, proche de Laval ; l'ingénieur Lamirand, secrétaire général à la Jeunesse, à la fois fidèle de Pétain jusqu'au bout mais tout aussi hostile aux Allemands ; etc. On relève, lorsqu'on l'on connait déjà bien certains des personnages traités, des manques ou des silences, on est parfois à la limite de l'idée reçue et l'on peut, certes, ne pas être d'accord avec telle ou telle présentation, tel ou tel qualificatif. D'ailleurs l'auteur tombe parfois lui-même sur ce point dans l'excès avec des formules "toutes faites", fort peu "historiennes".
Au bilan pourtant, le livre est, globalement, une bonne surprise. De très nombreuses informations ponctuelles sont offertes au lecteur, qui trouve très rarement en un seul volume la présentation d'un tel panel de personnalités aux origines et aux parcours les plus divers, finalement réunies par le fait qu'elles servirent (plus ou moins longuement) l'Etat français et le maréchal Pétain. Un livre qui mérite d'être lu et connu, à utiliser comme première base d'approche et à compléter par des études plus fouillées, plus précises et référencées lorsque l'on veut aller plus loin.
Nouveau Monde poche, Paris, 2013, 541 pages. 11,50 euros.
ISBN : 978-2-36583-367-7.