Ceux dont l'histoire ne parle plus
Dominique Lormier
Dominique Lormier est l’un des auteurs français les plus prolifiques sur le thème de la Seconde guerre mondiale (30 livres sur 32 ouvrages publiés depuis 1986, une centaine de titres au total). Ses dernières productions depuis trois ou quatre ans étaient assez largement centrées sur le sacrifice « oublié » de soldats français durant ce conflit (Les victoires militaires françaises de la Seconde guerre mondiale, Ed. Souny, 2009), en particulier en mai-juin 1940 (La bataille de france jour après jour, Le Cherche Midi, 2010 ; La bataille de Dunkerque, 26 mai - 4 juin 1940, Tallandier, 2011).
Son nouvel opus s’intéresse non pas aux seules armées françaises ou aux combattants de l’ombre, mais aux troupes régulières de différentes nationalités qui se sont obscurément sacrifiées sut tel ou tel théâtre d'opérations pour obéir aux ordres reçus. Le livre est divisé en quinze chapitres (d’importance très variable, entre 7 pages pour le plus "mince" et plus de 70 pour le plus étoffé) qui abordent chacun une bataille ou une campagne particulière. Certes, toutes ne sont pas oubliées (« Les batailles de Hannut et de Gembloux », « La bataille des Alpes », « La bataille de Bir-Hakeim » (à laquelle l'auteur à lui-même consacré un livre en 2009), mais la plupart, il est vrai, surtout lorsqu'elles concernent des unités étrangères, sont rarement évoquées dans l’historiographie française : « La résistance héroïque des soldats grecs » sur la frontière albanaise à l’hiver 1940-1941 (« Le 25 janvier 1941, la division alpine Julia ne compte plus que 1.500 soldats valides sur les 9.000 du début de la campagne. Le bataillon alpin Cividale est réduit à 72 survivants sur 1.200 ») ; « Les sous-marins italiens de l’Atlantique » qui coulèrent à partir de leur base de Bordeaux plus de 120 navires alliés, et dont les équipages participeront ensuite à la défense des poches de l’Atlantique aux côtés des Allemands ; « L’épopée de l’armée italienne sur le front russe » entre 1941 et 1943, démunie d’équipements suffisants pour les rigueurs de l’hiver et contre laquelle les Russes bénéficie d’une supériorité de dix contre un ; « La brigade belge Piron » engagée sous commandement britannique, d’août 1944 à mai 1945, dans les combats de la libération, de Normandie au territoire allemand. Quelques autres épisodes encore sont abordés, relatifs aux armées française ou italienne essentiellement.
Le texte est rapide, le récit fluide, et l’on a parfois l’impression de « sentir » les événements car l’auteur a vraiment le sens du mot juste et de la reconstitution du contexte. On peut toutefois regretter l’absence de bibliographie et l’extrême concision des références (simple mention « Archives militaires françaises », ou « italiennes », ou « allemandes », ce qui est dommage pour certaines citations que l'on aimerait pouvoir retrouver et compléter). Le lecteur est pris par le récit, mais reste finalement en partie "sur sa faim". Un bon ouvrage de vulgarisation (au sens noble du terme) qui se lit facilement et avec intérêt donc, mais qui en reste au récit des événements militaires. C'est un regret, car la réelle originalité des trois ou quatre chapitres les plus rarement traités en France aurait gagné à être mise en valeur.
Il nous a semblé intéressant de demander à Dominique Lormier les raisons de ses choix rédactionnels.
Question : Sur quelle(s) base(s) avez-vous sélectionné les batailles et campagnes retenues dans votre livre ?
Réponse : J'ai voulu mettre en avant des faits militaires peu connus, méconnus ou oubliés. Notamment avec la volonté de balayer les clichés habituels concernant les soldats français en 1940-1945, les soldats italiens durant la même période ; sans oublier les combats tombés dans l'oubli, je pense notamment à la guerre italo-grecque et à la campagne du Médoc ; ainsi qu'à des unités méritantes, comme notamment la brigade belge Piron et la brigade FFI Carnot. Les actions d'éclat des parachutistes et des commandos allemands en 1940 sont plus connues, mais nettement moins que la percée des Panzerdivisions. En bref, il s'agit de réparer une injustice historique. Il n'y a pas eu que Stalingrad, la Normandie ou Guadalcanal durant la Seconde guerre mondiale. Ces histoires rendent hommage au courage et au sacrifice des combattants, qu'ils aient été du bon ou du mauvais côté.
Question : On constate de très importantes différences entre les chapitres (de 7 à 70 pages). Pourquoi cette différence de traitement ?
Réponse : Certains chapitres reposent sur des faits militaires de courte durée, d'autres relatent des combats ayant duré plusieurs mois. D'autre part, j'ai voulu développer des opérations militaires souvent méconnues du grand public.
Question : Il n'y a pas de bibliographie en fin de chapitre ou en fin de volume, et vos références sont très brièvement notées en bas de page. Pourquoi, et quelles ont été vos sources ?
Réponse : Je ne voulais pas alourdir le texte de références bibliographiques trop longues afin de citer l'essentiel de mes sources en bas de page. C'est un ouvrage grand public, reposant cependant sur des sources sérieuses, à mi-chemin entre le travail universitaire et le livre de vulgarisation. Il faut captiver le lecteur et ne pas trop détourner son attention par une succession de références bibliographiques. J'ai essentiellement travaillé sur les archives militaires, les témoignages recueillis d'anciens combattants et les ouvrages déjà publiés.
Question : L'une de ces batailles vous parait-elle plus particulièrement emblématique et pourquoi ?
Réponse : Je pense que la bataille de Dunkerque souligne un fait militaire très souvent occulté par les historiens étrangers, à savoir la résistance héroïque des troupes françaises ayant couvert le rembarquement des divisions britanniques, sans oublier les pertes en chars des Allemands entre le 10 et le 23 mai 1940. Le général Halder reconnait que durant cette période 50 % des chars allemands ont été mis hors de combat (détruits ou endommagés), principalement par l'armée française. Pour affronter les 60 % de troupes françaises restantes, lors de la seconde phase de la campagne de 1940, Hitler décide de ne pas engager les Panzerdivisions contre la poche de Dunkerque. Or, les historiens étrangers oublient volontairement ces faits pour s'attarder sur des suppositions ubuesques d'une prétendue volonté d'Hitler de ménager l'armée britannique ! Or, le commandement anglais, ainsi que Churchill, ont toujours estimé que la perte du corps expéditionnaire britannique à Dunkerque, représentat l'élite et l'essentiel de l'armée anglaise à ce moment-là en Occident, aurait été une véritable catastrophe : Montgomery et Alexander, de futurs maréchaux, se trouvaient dans la poche de Dunkerque, sans parler de la quasi totalité des soldats professionnels qui formeront ensuite en grande partie les troupes alliées débarquant en Normandie en 1944.
Question : Quels sont désormais vos projets ? De nouveaux travaux sur la Seconde guerre mondiale ?
Réponse : Début mai 2012, j'ai deux livres qui sont publiés, à savoir L'armée française pour les Nuls aux éditions First, ainsi qu'une biographie sur le maréchal Koenig (Koenig, l'homme de Bir Hakeim) aux éditions du Toucan. Début juin 2012, deux autres livres de ma plume sont édités : La libération de la France jour après jours, juin 1944 - mai 1945, éditions Le Cherche Midi ; et 39-45 Les résistants oubliés, ceux dont l'histoire ne parle plus, aux éditions Jourdan. Le premier ouvrage (L'armée française pour les Nuls) est un énorme travail présentant l'armée française des origines à nos jours, avec des faits souvent méconnus du grand public et de certains spécialistes. Le second est une biographie du général Koenig qui présente à la fois le militaire de légende et l'homme privé. Le troisième livre (La libération de la France jour après jour) met en avant l'apport des troupes françaises (armée régulière et Résistance) dans la libération du territoire, sans oublier bien sûr le rôle capital des alliés anglo-américains. Enfin, la dernière parution (39-45, les résistants oubliés) repose sur le même principe queLes soldats oubliés, en mettant en avant des faits méconnus de la Résistance française.
Actuellement, je travaille sur un ouvrage portant sur un sujet particulièrement douloureux : La Gestapo et les Français, histoire d'une tragédie, aux éditions Pygmalion. Pour la rentrée et l'automne 2012, deux autres livres seront publiés : La Résistance, aux éditions Gründ, sous la forme d'un ouvrage grand format richement illustré ; Histoire générale de la Résistance française, aux éditions Souny, gros pavé de plus de 600 pages. Je prépare également une Histoire de la Résistance pour les Nuls (éditions First), parution prévue en 2013.
Merci Dominique Lormier pour toutes ces précisions, et bravo pour cette production qui nous donnera très prochainement sans doute l'occasion de nous retrouver. Bon courage et à bientôt.