Képi blanc, casque d'acier et croix gammée
Subversion au coeur de la Légion étrangère
Alexis Neviaski
A partir d’une thèse remarquée, soutenue il y a quelques années, Alexis Neviaski nous propose un récit dense, parfois haletant, toujours parfaitement référencé sur un sujet peu connu, voire occulté : celui des manœuvres subversives diverses entreprises par les gouvernements allemands de l’entre-deux-guerres contre la Légion étrangère, en particulier au Maroc.
L’auteur commence par une description de l’état de la Légion à la fin de la Grande Guerre, et en particulier des besoins en hommes pour servir au Maroc où la situation reste difficile, ce qui explique l’appel à de nombreux volontaires venant initialement de l’ancienne armée impériale allemande. L’étude est ensuite très pédagogiquement organisée en six parties ultérieures qui abordent successivement : « L’intimidation des légionnaires allemands », le « Face-à-face », la « Radicalisation de la stratégie allemande », les « Tentatives subversives à l’intérieur de la Légion », « La Légion étrangère contre-attaque », et enfin « Dans la guerre » qui nous mène au début de la Seconde guerre mondiale.
Au fur et à mesure des pages, les anecdotes, les exemples précis se succèdent, les réflexion plus larges aussi comme celles liées aux commémorations de Camerone en 1931. De même, les familles restées en république de Weimar sont, bon gré mal gré, associées aux pressions exercées par les autorités allemandes sur les légionnaires et à leur retour dans la "mère-patrie" ceux-ci sont soumis à des vexations diverses (« Quel que soit le temps passé à porter le képi blanc, la réadaptation des légionnaires à la vie allemande est difficile »). Leurs épreuves d'ailleurs ne cessent d’augmenter après l’arrivée au pouvoir des Nazis, nécessitant l’organisation de structures et la mise en place de procédures de défense de la part de la Légion. Dans le même esprit, certains pasteurs protestants allemands participent activement à ce mouvement de démoralisation sous couvert de « leur parler du pays ». Il semble enfin qu’à la veille de la Seconde guerre mondiale ces efforts auprès des légionnaires d’origine germanique commencent à porter leurs fruits : « D’autres enfin, le plus grand nombre, ont un réel sentiment d’admiration à l’égard du Führer ».
On apprécie tout particulièrement la rigueur et la précision des références (dix pages denses de sources et bibliographie), un index complet et un solide appareil de notes. Un excellent livre sur un sujet original, qui passionnera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire politique et militaire de l’entre-deux-guerres.
Editions Fayard, Paris, 2012, 394 pages. 22,90 euros.
ISBN : 978-2-213-66217-6
Alexis Neviaski a accepté de nous apporter d'utiles compléments sur sa recherche :
Question : Ces tentatives d'infiltration et/ou de déstabilisation de la Légion étrangère par l'Allemagne sont-elles spécifiques au IIIe Reich ? Que recherchaient les gouvernements allemands en favorisant dans de telles activités ?
Réponse : L'infiltration et la déstabilisation de la Légion étrangère ne sont pas les faits exclusifs du IIIe Reich qui finalement exploite et radicalise des opérations qui ont commencé dès le début des années 1920. Avant l'avènement d'Hitler à la chancellerie, l'Allemagne utilise le bolchévisme pour mener des actions au sein de la Légion. Le pouvoir est moins centralisé, aussi l'action est-elle moins coordonnée et plus empirique. Les motivations du gouvernement allemand évoluent au fil des régimes et de la conjoncture, mais il existe une constante : la volonté de déstabiliser l'empire colonial français et de garder une influence en Afrique du Nord et plus particulièrement au Maroc. Ensuite viennent se greffer des motivations plus ou moins conjoncturelles comme le combat du Traité de Versailles, le refus de voir partir la jeunesse allemande servir les intérêts français, la démoralisation de la Légion étrangère, etc. Le gouvernement allemand envoie des agents ou utilise des associations pour être renseigné sur les individus mais également sur l'organisation d'une troupe redoutée qu'il compte discréditer et neutraliser.
Question : Objectivement, chiffres à l'appui, quelle a été leur importance numérique réelle ? N'y a-t-il pas eu, du côté français, un effet de "psychose" ?
Réponse : L'histoire n'est pas une science dite "dure" car les faits ne sont pas "arithmétiques" et quantifiable avec certitude. En effet, ce qui pour un même individu est vrai à moment ne l'est plus à certains autres. De quelle importance numérique s'agit-il donc ? S'il s'agit de définir le nombre d'Allemands restés attachés à leur pays et à leur culture, fiers de leur gouvernement et qui le font savoir, nous pouvons alors affirmer qu'à un degré ou à un autre, ils le sont tous. Des épisodes comme l'Anschluss sont particulièrement édifiants et troublent le bon ordre quotidien. Faut-il alors donner le chiffre des Allemands engagés entre 1919 et 1939 ? Mais qu'est-ce qu'un Allemand à cette époque ? Faut-il compter les ressortissants des Sudètes, les Hongrois et les Autrichiens ? Les contemporains ne parviennent pas à donner de chiffres car non seulement la gestion est moins analytique que de nos jours mais, en plus, le problème de définition demeure …et aujourd'hui, les archives ne permettent pas plus que les documents administratifs d'hier de donner des chiffres précis. Selon les périodes et les régiments, le commandement estime que les Allemands représentent entre 60 et 15% d'un effectif lui-même fluctuant entre environ 15 000 et 30 000. Bref, vous comprenez bien la difficulté et le manque de pertinence des chiffres.
S'agit-il des agents envoyés par les services secrets ? Si les SR Français avaient su le nombre d'agents "infiltrés", ils auraient été bien aidés ! En réalité, ils ont eu beaucoup de mal à se rendre véritablement compte de la situation et un légionnaire comme Engelmann a été suspecté, interrogé mais jamais démasqué sauf en février 1940 parce qu'il a paniqué et cela, presque cinq ans après le début de ses activités. Le cas d'Engelmann est intéressant. Il montre la difficulté à répondre correctement à cette question. Engagé pour fuir son pays, il n'a pas été envoyé en mission mais, ayant suivi le cours des agents spéciaux, il est repéré puis identifié, et enfin récupéré. En matière de subversion, il suffit de peu d'agents pour déployer un réseau et une organisation qui fonctionne et gagne finalement insidieusement le groupe. Les cellules se multiplient et sur le terrain, les chefs qui prennent des risques sont rarement les "cerveaux" qui conduisent l'action. Gunther par exemple n'est pas un nazi envoyé en mission par le Reich mais il est le chef d'une cellule du 2e bataillon du 2e Etranger. De même, Finkler, l'un de ses camarades également chef de cellule, n'est pas Allemand mais, né de parents allemands, il est de nationalité brésilienne ! Enfin, le nombre d'Allemands réclamés par l'Allemagne après l'armistice ne veut pas dire grand-chose. Certains agents sont déjà rentrés et les autorités allemandes réclament également des opposants. Quant à la psychose, je n'y crois absolument pas, bien au contraire. Les Français ont mis beaucoup de temps à réaliser le danger et à prendre des mesures pour retourner la situation. Et puis s'il y avait eu "psychose", nous n'aurions pas mis plus de soixante dix ans pour prendre connaissance de cet épisode resté au fond des archives.
Question : Vous décrivez longuement la "misérable vie des anciens légionnaires" de retour en Allemagne. Une législation spécifique leur est-elle appliquée ?
Réponse : L'Allemagne, à la différence de la Suisse, n'a pas pu légiférer rapidement car sa situation internationale ne lui permet pas de le faire. Sous la République de Weimar, la stratégie n'est pas claire et varie selon les Etats fédérés, même si progressivement les vues, les pratiques et les lois de la Prusse s'imposent à tous les autres. Dès 1933, la Gestapo propose de légiférer sur la Légion et les mouvements les plus hostiles profitent du changement de régime pour tenter d'imposer des lois. Mais l'Allemagne n'est pas prête. Elle se trouve prise dans un dilemme. Ne rien faire lui paraît inacceptable mais légiférer condamne les ressortissants déjà engagés à rester à la Légion. Ces exilés ne reviendraient jamais et il n'est pas certain que le flux soit définitivement endigué. Le gouvernement décide donc de ne pas légiférer immédiatement mais, à terme, de mettre en œuvre les préconisations de la Gestapo … et de le faire savoir. Les lois sur rétablissement du service militaire puis l'obligation de déclaration de résidence, sans être orientées spécifiquement contre les légionnaires compliquent néanmoins leur existence. Ce n'est qu'en février 1939 qu'une loi "dénationalise" les légionnaires allemands qui en s'engageant ou rengageant perdent leur nationalité.
Question : Vos différentes recherches vous permettent-elles d'évaluer si ces manipulations ont eu un impact concret sur les légionnaires d'origine allemande à partir de septembre 1939 ?
Réponse : La déclaration de guerre s'est passée sans heurts car chacun a mesuré la gravité de la situation. Toutefois, la Drôle de guerre n'a pas été complètement calme. Il y a eu des actes de séditions ou au moins des tentatives comme par exemple au poste de Bou Malne où des légionnaires allemands projettent de faire exploser les dépôts de munitions et d'essence. Ils sont démasqués durant les préparatifs et peu de temps avant de passer à l'acte. Par ailleurs, l'entrée en guerre change la physionomie du contingent allemand. Après bien des tergiversations, il est finalement décidé de pouvoir les engager mais souvent, se sont des anciens ou des jeunes gens résidants en France depuis plusieurs années et qui veulent éviter les désagréments de leur situation. La plupart rejoignent l'Afrique du Nord tandis que ce territoire se vide progressivement des légionnaires des autres nationalités. Des solutions pragmatiques sont prises – comme l'envoi de mille d'entre eux au Tonkin - pour éviter une sur-re-présentation de ce contingent qui reste néanmoins prépondérant et très surveillé, car le SR Légion est parvenue à se réformer à temps et à être très efficace.
Question : Ce livre renouvelle t-il la connaissance que nous pouvons avoir de la Légion étrangère ? Qu'apporte t-il de neuf ?
Réponse : Ce livre est une étude d'un cas concret de l'action subversive appliquée à la Légion étrangère durant le contexte particulier de l'Entre-deux-guerres, mais d'une certaine façon, il la dépasse et les mécanismes décrits pourraient être d'une étonnante actualité. Concernant la Légion, l'originalité de cette recherche, c'est de trouver sa source dans des archives qui n'avaient jamais été exploitées auparavant. Il est donc normal que soit abordé avec un œil "neuf", et donc différent, une histoire qui semble bien connue, même si la Légion en "temps de paix" a finalement été très peu étudiée et jamais sous cet angle. Au-delà de la lutte avec l'Allemagne qui retient surtout l'attention, cet épisode montre la spécificité de la Légion, qui est due à son recrutement d'étrangers. Il démontre - si besoin était - que les traditions et l'esprit de corps sont une absolue nécessité. La musique militaire, le chant, le respect de la tenue, la propreté du casernement, les prises d'armes, les fêtes régimentaires, les codes et devises, les publications internes, les salles d'honneur, le souvenir et les musées ne sont ni folkloriques ni superflus mais ils participent directement à la capacité opérationnelle des forces. De même, ces pages prouvent qu'il ne suffit pas de bien traiter le soldat en activité mais qu'il convient aussi de secourir l'ancien légionnaire rendu à la vie civile et que les œuvres "sociales" ou de "solidarité" sont donc d'une extrême importance. Assurément, être légionnaire n'est pas uniquement un "statut", mais c'est avant tout, un "état".
Merci Alexis pour toutes ces précisions et à très bientôt.