La bataille de Stalingrad
Carnets du général Paulus
annotés et commentés par Boris Laurent
Voilà un livre aussi intéressant sur le fond qu'original dans la forme.
Longtemps présentée comme un véritable tournant de la Seconde guerre mondiale (mais ceci est aujourd'hui discuté), la bataille de Stalingrad a fait l'objet, dans toutes les langues, de nombreuses études selon un plan classique. Aujourd'hui, Boris Laurent nous livre un ouvrage qui, non seulement, permet bien sûr de suivre les événements, mais encore les analyse à travers les Carnets du maréchal Paulus, croisés avec de très nombreuses autres sources. Relevons simplement que les conditions de rédaction de ces Carnets (Paulus est alors prisonnier) pourraient avoir influé sur leur contenu.
Après une biographie assez complète du maréchal (40 pages), Boris Laurent divise son livre en six chapitres, suivis d'une conclusion ("Retour en arrière et résumé final") et d'un épilogue ("Paulus était-il l'homme de la situation ?"). Ces chapitres sont ordonnés chronologiquement : "Hitler et l'Angleterre : l'opération Seelöwe", "L'opération Barbarossa : études préparatoires et concentration à l'Est", "Adjoint au chef d'état-major général", "La marche sur Stalingrad", "Labataille d'encerclement - du 19 novembre au 12 décembre 1942. Tentera-t-on la percée ou attendra-t-on d'être dégagés ?", "La bataille d'encerclement - du 12 décembre 1942 au 2 février 1943. Va-t-on tenter la percée ou bien acceptera-t-on de se sacrifier ?". Les deux derniers chapitres, directement relatifs au déroulement de la bataille elle-même, se divisent chacune en une introduction spécifique, une analyse thématique des événements et une série d'annexes constituées par la reproduction d'extraits de documents d'époque. En pratique, l'insertion dans le corps du texte de documents et extraits de documents d'origines diverses (au lieu de reporter les annexes en fin de volume) conduit d'ailleurs parfois le lecteur, au début, à ne plus très bien savoir qui écrit : Boris Laurent, le maréchal Paulus, un témoin ou un acteur quelconque des événements. Il faut une phase d'adaptation qui prendre le rythme, particulier, que l'auteur a voulu donner à son livre.
Au bilan, néanmoins, on apprécie la richesse des informations et le diversité des références et angles d'analyse. Dans le chapitre V, les documents relatifs aux échanges entre Allemands et Roumains sont à cet égard très intéressants ; de même que, dans le chapitre VI, le point de vue "Air", avec les extraits du journal de marche de la 4e Flotte aérienne et du carnet de route de son commandant. Alors ? Paulus, responsable et coupable ? Les derniers mots de Boris Laurent sont plus mesurées : "En fait, Paulus n'aurait jamais dû entrer dans ce piège urbain et la bataille de Stalingrad n'aurait jamais dû avoir lieu".
Nous avons demandé à Boris Laurent de nous préciser sur certains points la synthèse de ses travaux.
Question : Pouvez-vous nous rappeler en quelques phrases l'origine, les dates et les conditions de rédaction de ces Carnets du maréchal Paulus ? Après les avoir étudiés, quelle crédibilité leur accordez-vous ?
Réponse : Les premiers carnets sont écrits en 1945, alors que Paulus est en captivité en URSS, pour répondre à un questionnaire remis par les Soviétiques très intéressés par les opérations allemandes en URSS, mais aussi par les plans d’invasion de l’Angleterre – opération Seelöwe. C’est le fils du maréchal, Ernst Alexander Paulus, qui les recueille entre 1953 et 1957 puis les fait publier pour la première fois au début des années soixante.
Indéniablement, ces carnets sont une source de première main car ils offrent un panorama pertinent, et globalement juste, non seulement des opérations à l’Est de 1941 à 1943, mais aussi de la campagne de France, de l’opération Seelöwe, du travail des états-majors et des relations entre Hitler et ses généraux. C’est avec une rare acuité que Paulus fait le point sur les différents épisodes qui ont marqué le conflit germano-soviétique car lui-même a été un rouage essentiel de la machine de guerre allemande, dans la planification et dans l’exécution des opérations.
Toutefois, le récit est parfois confus et l’analyse manque de recul en raison du peu d’informations dont dispose l’auteur au moment où il rédige ses carnets et du traumatisme de Stalingrad qui brouille encore sa perception de la bataille. Qui plus est, il reste factuel et élude les questions sensibles puisque ces carnets sont écrits au départ pour les Soviétiques puis sous la surveillance étroite de la police politique est-allemande, alors que Paulus vit à Dresde.
Question : Vous évoquez la participation des soldats italiens et roumains. Quelles ont été leurs principales missions, leur rôle dans la bataille et quel bilan peut-on établir de leur participation ?
Réponse : Avec le plan Blau, Hitler se retrouve confronté à un véritable problème opérationnel : les flancs de la progression allemande sont très étirés. Comme il est impossible de toucher aux groupes d’armées Nord et Centre, le Führer doit faire appel à ses alliés pour renforcer le groupe d’armées Sud, en charge des opérations. 600 000 soldats roumains, italiens et hongrois participent ainsi à cette deuxième grande offensive stratégique. Mais ces unités sont peu motivées et mal équipées. Compte tenu de ces facteurs, leur mission est essentiellement défensive. Malgré leur faiblesse, les Allemands décident de leur confier la sécurité du flanc le plus fragile de l’offensive.
À partir de février-mars 1943 et durant l’après-guerre, les Allemands ont fait porter la responsabilité de la défaite de Stalingrad à leurs alliés. Mais au regard des faibles moyens qui leur sont alloués, ces derniers n’ont aucune chance d’encaisser la contre-offensive soviétique (opération Uranus) puis l’assaut russe durant l’opération Saturne (foncer jusqu’à Rostov et isoler le groupe d’armées A toujours dans le Caucase). Les Roumains paniquent et se replient dans le chaos le plus total. Les unités qui tentent de résister sont balayées, écrasées par les tanks russes sans pouvoir riposter. Les Italiens des divisions Ravenna et Cosseria tentent de résister mais ont peu à opposer aux Soviétiques. Des Italiens sont même exécutés par les Allemands qui décampent à leur tour !
Le bilan pour ces pays est sans appel : les Roumains perdent deux armées, les Italiens en perdent une et les Hongrois une également. L’Axe est ébranlé : Budapest, Bucarest et Rome font tout pour se retirer des opérations militaires. Berlin est maintenant seule face à l’ours soviétique.
Question : Comment caractériseriez vous, pour bien les distinguer, les deux "stades" de la bataille d'encerclement (19 novembre-12 décembre 1942 et 12 décembre-2 février 1943) ?
Réponse : Le premier stade est caractérisé par une opération d’encerclement parfaitement maîtrisée par les Soviétiques. Dans sa conception, Uranus est une opération très classique de double enveloppement… à l’allemande ! Son succès repose sur la surprise. C’est la raison pour laquelle les Soviétiques masquent leurs intentions par un art dont ils ont le secret et qu’ils utilisent pour la première fois à grande échelle : la maskirovkaqui regroupe les techniques d’intoxication, de dissimulation et de désinformation. C’est tout à fait remarquable. L’exécution d’Uranus ne l’est pas moins. En quatre jours, la 6e armée est complètement encerclée. In fine, Uranus est la plus belle opération d’encerclement de la Seconde Guerre mondiale, toutes armées confondues.
Le deuxième stade est marqué par la tentative de dégagement lancée par von Manstein – opération Wintergewitter – et son échec. Cet échec est imputable à la capacité des Soviétiques à modifier l’opération Saturne en Petite Saturne – dont l’objectif est l’élimination des forces de Manstein – et à la faiblesse des moyens dont dispose ce dernier. En quelques jours, Manstein est neutralisé par l’arrivée de la superbe 2e armée de la Garde et dès lors commence l’agonie de la 6e armée. L’opération Koltso (Cercle) termine le patient travail de l’état-major soviétique. En un mois, la poche de Stalingrad est réduite et la 6e armée rayée de l’ordre de bataille allemand.
Question : Finalement, quels ont été les principales causes de la défaite allemande ? Les défauts de Paulus, sont style de commandement, y tiennent-ils une place essentielle ?
Réponse : J’en vois trois qui me semblent essentielles. D’abord, la volonté de prendre Stalingrad par une attaque frontale. Or, au moment où la 6e armée s’enfonce dans la ville en septembre 1942, personne ne sait ce que peut réserver une bataille urbaine de cette ampleur : Stalingrad est une situation inédite dans l’art de la guerre. Pour le général Halder, c’est « une impossibilité militaire ». Pénétrer dans la ville n’a aucune valeur stratégique. D’ailleurs, en septembre, la Luftwaffe a la capacité d’y détruire les installations industrielles soviétiques et d’interdire le trafic sur la Volga.
Dans un deuxième temps, les services de renseignement allemands connaissent leur pire échec de la guerre : ils ne veulent ni voir ni croire à l’ampleur des préparatifs soviétiques. Le nombre d’unités ainsi que les intentions de l’ennemi sont mal appréciés. Malgré tous les signaux d’alarme, rien n’est fait pour parer à la contre-offensive russe. Troisièmement, la Luftwaffe s’est épuisée dans une multitude de tâches sur un théâtre d’opérations gigantesque (soutien au groupe A dans le Caucase et au groupe B à Stalingrad). Pour autant, la défaite allemande n’est nullement inévitable. En effet, la 6e armée a plusieurs fois l’opportunité de l’emporter, en juillet et en septembre 1942, mais ces occasions sont gâchées par Hitler : en juillet, la 4e armée Panzer qui aurait pu soutenir Paulus est inutilement déroutée plus au sud ; en septembre, Hitler disperse les unités de réserve, laissant la 6e armée seule pour affronter l’enfer d’une bataille urbaine.
Certes, Paulus est plus un officier d’état-major qu’un homme de terrain. Le Feldmarschall von Bock, chef du groupe d’armées Sud, le décrit d’ailleurs comme une homme ordinaire qui ne sait pas communiquer le feu sacré à ses hommes. Paulus est toujours tiré à quatre épingles et aime fignoler ses ordres, pesant longuement le pour et le contre avant de les transmettre. C’est un intellectuel, de santé fragile, souvent indécis et qui, nerveusement, encaisse mal sa première épreuve du feu à Kharkov en mai 1942 et encore moins la brutalité inouïe de Stalingrad. Mais contrairement aux nombreuses critiques dont il est la cible dès l'après-guerre, Paulus est un officier capable de parfaitement mener sa 6e Armée en juillet et août 1942. Il fait preuve d'une grande détermination dans le feu de l'action, mais aussi de sang-froid. Lucide, il voit le danger que font peser les Soviétiques sur ses flancs trop faibles. Il est clair cependant que sa personnalité cadre mal avec l'enfer de Stalingrad. Mais n'oublions pas qu'au départ, Stalingrad n'est pas un objectif prioritaire du plan Blau. Paulus n'aurait jamais dû entrer dans ce piège et la bataille de Stalingrad n'aurait jamais dû avoir lieu.
Merci Boris pour tous ces détails complémentaires et surtout plein succès dans toutes vos initiatives.