Frédéric Guillaume de Vaudoncourt
présentés et annotés par Laurent Nagy
Cette remarquable édition est présentée sous un boîtier cartonné de deux volumes, ce qui donne à l'ensemble l'aspect des prestigieuses collections classiques de référence..
Parus en 1835 sous le titre Quinze années d’un proscrit, ces souvenirs du général Frédéric Guillaume de Vaudoncourt n’avaient jamais été réédités alors qu’ils constituent, comme le souligne avec beaucoup de pertinence Laurent Nagy dans son introduction générale, un témoignage de première main sur une période souvent mal comprise. Ajoutons que l’habitude de traiter les périodes historiques comme un tout, en négligeant les transitions et les tuilages, conduit souvent à négliger des facteurs importants de continuité, d’évolution ou de rupture qui trouvent leurs racines quelques dizaines d’années avant le début (ou la fin) de l’une ou de l’autre. Merci aux éditions La Louve de nous aider à combler ce déficit pour le début du XIXe siècle avec la très belle édition en deux tomes de ces Mémoires d’un proscrit.
Dans le volume 1 (consacré aux années 1812-1815), le général Frédéric Guillaume (devenu de Vaudoncourt sans être pour autant anobli, pour se distinguer d’un parfait homonyme dans l’armée impériale) commence par raconter le début de son exil, en Belgique, puis en Angleterre, au lendemain de la seconde Restauration. Pour subvenir à ses besoins, il se lance dans l’écriture, publie un premier ouvrage sur les Îles Ioniennes puis raconte ses campagnes de l’épopée impériale. Arrivé en Italie avec les armées de la Révolution, il reste dans la péninsule et sert le prince Eugène dès la création du vice-royaume d'Italie. Il reste donc à l'écart des prestigieuses campagnes contre l'Autriche et la Prusse jusqu'à ce que Napoléon Ier regroupe les unités de la Grande Armée en Allemagne et Pologne. Il quitte alors le nord de l'Italie au commandement de la 2e brigade de la 15e division du 4e corps d’armée. Dès le franchissement de la frontière russe, il note : « Le désordre et un commencement d’insubordination régnaient déjà dans notre armée », puis il évoque par exemple une épidémie de dysenterie, dont les conséquences militaires sont importantes puisqu’il n’y avait « à la bataille de Borodino, dans chaque corps, que la moitié des hommes qui avaient passé le Niémen ». Mais la plupart de ces hommes ne meurent pas, ils sont simplement laissés en arrière et cherchent ensuite à rejoindre la France ou l’Italie : « En 1813, ils grossirent les rangs de la nouvelle armée formée en Allemagne. Il faut donc diminuer d’au moins cent mille hommes les pertes réelles de la campagne de 1812 ». Une anecdote, à l’occasion d’une rencontre avec l’empereur à l’avant-garde de l’armée, est tout aussi significative de ce récit très personnel et montre selon lui que « Napoléon n’était pas, comme certaines gens l’ont prétendu, un ogre toujours prêt à dévorer ceux qui osaient ne pas être de son avis. Dans deux occasions de ma vie je n’ai pas craint de lui signaler les injustices commises envers les troupes qui m’étaient confiées. Quoiqu’il les eût d’abord sanctionnées, il n’a pas balancé à les réparer et m’a témoigné sa satisfaction de l’avoir éclairé. Ceux qui se sont si bassement aplatis devant lui l’ont fait bien gratuitement ». Ce chapitre 2 donne le ton de l’ensemble du texte : non seulement Frédéric Guillaume de Vaudoncourt rend compte de tous les faits, mais il sait les replacer dans le contexte particulier du moment, les relativiser, décrire les ambiances et les atmosphères, envisager leurs conséquences et percer la personnalité des principaux acteurs. Malade du typhus, il est fait prisonnier par les Russes pendant la retraite de Russie et ne retrouve la France qu’à partir de l’été 1814, ce qui donne de longues pages sur les évolutions et les oppositions internes dans l'empire des tsars. L’heure est à la Restauration des Bourbons, auxquels se rallient la plupart des dignitaires de l’empire, mais le « vol de l’Aigle », de l’île d’Elbe à Paris par les Alpes, réveille les anciens sentiments de fidélité : de Vaudoncourt se présente parmi les premiers aux Tuileries pour offrir ses services et demande à commander une troupe de Volontaires confédérés de Moselle. Il va tenir Metz contre les Coalisés et n’accepter le retour de Louis XVIII qu’au tout dernier moment, ce qui lui vaut d’être condamné et proscrit au début de la Terreur blanche. Il est toutefois dès cette époque en relations étroites avec des francs-maçons, des républicains, des bonapartistes qui échafaudent les premiers complots. Parmi ces élites éclairées qui « retrouvent », après une « éclipse » d’une quinzaine d’années, leurs idéaux révolutionnaires de liberté des peuples, le général Frédéric Guillaume de Vaudoncourt va occuper une place tout à fait particulière.
Le tome 2 s’ouvre sur le récit de son existence d’écrivain politique et militaire à Munich, où il bénéficie de la protection de son ancien souverain, le prince Eugène, et du gouvernement royal de Bavière, et s’étend sur les années 1816 à 1834. Se déplaçant souvent à travers l’Europe, il est au Piémont, à Gênes, puis en Espagne pour soutenir les mouvements hostiles aux monarchies réactionnaires : « La réaction des despotes de la Sainte-Alliance, de même que la ligue des esprits infernaux, n’a donc su que faire du mal » ; « Le résultat de la catastrophe de 1815 avait été l’institution de la Sainte-Alliance, qui n’est autre chose qu’une Inquisition sanguinaire dont l’objet avoué est de détruire, en même temps que les institutions libérales, tout esprit de liberté ». Ses expériences se soldent par des échecs : « organisées » de bric et de broc par des individus certes idéalistes mais pour la plupart incapables d’exercer un commandement, voire de prendre une décision, elles sont rapidement réprimées. La personnalité du général domine ces événements : « Je me crus engagé d’honneur à faire ce que je pourrais pour sauver de braves militaires que j’avais commandés. Au milieu de la frayeur qui avait gagné tout le monde, j’étais à peu près le seul qui eût conservé la tête froide ». Dans ses fuites successives, il bénéficie de la solidarité invisible qui lie à travers l'Europe les anciens soldats de l’empereur pour échapper à la prison et au renvoi vers la France, mais aussi des politiques libéraux. De Vaudoncourt séjourne longuement en Espagne et consacre plusieurs chapitres à décrire les complexes rapports politiques qui s’opposent dans la péninsule, avant la guerre civile et l’intervention française. En septembre 1823, il est de retour en Angleterre et reprend sa vie d’écrivain militaire exilé. Il y apprend quelques mois plus tard la mort du prince Eugène : « Il a bien mérité la devise, qu’il n’a pas prise, mais qu’on lui a décernée : Honneur et Fidélité … J’ai été le premier à répandre sur son tombeau les fleurs de l’amitié la plus sincère, et à appeler sur sa carrière le jugement impartial et équitable de la postérité ». Victime à Londres d’une arnaque industrielle dans laquelle il perd ses derniers biens, il rejoint Bruxelles, où il fonde leJournal des Sciences Militaires et où il apprend le 31 mai 1825 qu’il est enfin autorisé à rentrer en France. Il retrouve alors difficilement les moyens de vivre décemment, connaît des problèmes de santé, poursuit la publication de nouveaux ouvrages, tente de faire reconnaître sa situation par le Conseil d’Etat, etc. Les révolutions se poursuivent : les journées de 1830 entraînent la disparition de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, quelques mois plus tard la Belgique à son tour se soulève, puis la Pologne. L’Italie, l’Autriche et la Suisse sont traversées par de profonds mouvements idéologiques. Les dernières lignes du livre sont à l’image de l’ensemble de l’œuvre : « Je suis encore un des soldats de cette Armée d’Italie qui, à l’annonce de l’ennemi, ne demandait pas : combien sont-ils ?, mais : où sont-ils ? … Je suis persuadé que le système qui tend à perdre la France court lui-même de plus grands dangers que nous ».
Par la véritable reconstitution d'une époque dans son ensemble, à l'échelle du continent, qu'elle permet, cette réédition doit impérativement figurer dans toute bibliothèque bien tenue. Un coffret indispensable.