Conversations Hitler - Mussolini
1934 - 1944
Pierre Milza
Grand spécialiste de l'histoire italienne de la fin du XIXe s. et du XXe siècle, Pierre Milza aborde dans ce nouvel ouvrage les relations entre les deux principaux partenaires européens de l'Axe sous un angle original : à partir des rencontres offcielles entre le Duce et le Führer et des conversations directes entre les deux dictateurs.
"De juin 1934 à juillet 1944, Hitler et Mussolini se sont rencontrés à dix-sept reprises ... Que se sont-ils dit ? De quoi ont-ils parlé ?". Pour répondre à ces questions, l'auteur nous propose, à partir des sources officielles et privées les plus diverses, de reconstituer ces conversations, d'en retrouver les thèmes, les arguments de l'un et de l'autre, les manoeuvres et les concessions pour préserver l'alliance, les impressions des deux protagonistes, de la première rencontre, en juin 1934 à Venise, à la dernière au quartier général d'Hitler, au lendemain de l'attentat du 20 juillet 1944. Pour chacune de ces conférences au sommet, Pierre Milza revient sur les principaux enjeux ou objectifs de la rencontre, les préparatifs officiels (et parfois officieux) de part et d'autre, et bien sûr leur déroulement, entretien par entretien en fonction des grands thèmes abordés. Si la première rencontre voit Mussolini, presque "arbitre de l'Europe", dominer son hôte de la tête et des épaules, le seconde, à la fin du mois de septembre 1937, se déroule dans un tout autre contexte, marqué par la conquête de l'Ethiopie pour Rome, le remilitarisation de la Rhénanie pour Berlin et le début de la guerre civile espagnole en Europe, mais "l'enjeu principal de l'entrevue qui s'annonce reste le même qu'en 1934, et cet enjeu c'est l'Anschluss". Au terme d'un long déplacement en Allemagne marqué par de nombreuses visites, c'est "l'apothéose berlinoise" voulue par Hitler pour impressionner son invité. Parmi les conséquences de ce voyage, "la plus grotesque et la plus brocardée fut l'adoption dans les défilés militaires du 'pas romain', version mussolinienne du 'pas de l'oie' germanique", et huit mois plus tard, en mai 1938, la rencontre de Rome (par ailleurs paradoxalement peu agréable au plan de l'amour-propre pour Mussolini) finit par sanctionner l'annexion de l'Autriche au Reich. Quatre mois plus tard, les rencontres de Munich voient le Duce jouer le médiateur (malhonnête) à propos de l'affaire des Sudètes, et il sera, comme Chamberlain et Daladier, accueilli par son peuple à son retour aux cris de "Pace ! Pace !". Une "paix" bien éphémère. Avec le début de la Seconde guerre mondiale, les réunions se poursuivent : au Brenner en mars 1940, à Munich en juin, au Brenner à nouveau en octobre et quelques jours plus tard à Florence. Généralement, Mussolini "louvoie", esquive, pérore mais n'a pas les moyens de ses ambitions bien qu'il tente de jouer son propre jeu dans les Balkans comme à l'égard de Franco. Si les entretiens de janvier, juin et août 1941 au Berghof, au Brenner puis au QG d'Hirler se déroulent encore dans une atmosphère de victoire (et de relative euphorie), l'Allemagne est indiscutablement désormais la puissance dominante et Mussolini peine à tirer profit de ces réunions. Les ultimes entretiens, de 1942 à 1944, ne font qu'accélérer le processus, même si l'on observe que le Duce tente de retrouver, la défaite, approchant, une relative indépendance, qu'il n'a plus les moyens d'entretenir. La proclamation de la République sociale italienne, sous quasi-protectorat allemand aggrave cette situation. La dernière entrevue, dans le QG où vient de se dérouler l'attentat contre Hitler présente des aspects hallucinants : Hitler, "pressé d'en finir", "épuisé physiquement et psychologiquement", et Mussolini, dont les membres de la délégation qui l'accompagne "éprouvent une sorte de soulagement. Quand ils sont attaqués par les Allemands, ils peuvent répliquer que la trahison à ses racines parmi les généraux, aussi bien en Allemagne qu'en Italie"... La défaite finale est proche, les dirigeants allemands n'ont plus confiance dans les capacités de l'allié italien. Pierre Milza souligne finalement que "c'est souvent à la suite d'une forte pression exercée par le Führer que Mussolini s'est résigné à obtempérer aux demandes de son homologue, se plaignant d'être considéré comme un domestique que l'on sonne".
Une lecture passionnante, qui à travers le prisme original de ces conversations au sommet nous plonge au coeur des relations entre les deux principales puissances de l'Axe. On apprécie les notes (reportées en fin d'ouvrage), la bibliographie sélective et l'index. Un livre à retenir et à conserver.
Fayard, Paris, 2013, 398 pages, 24 euros.
ISBN : 978-2-213-66893-2.