L'offensive blindée alliée d'Abbeville
27 mai - 4 juin 1940
Henri de Wailly
La campagne de France continue à alimenter une production régulière de livres d'histoire. L'étrange défaite et Le mythe de la guerre éclair font toujours débat, de même que perdure la volonté de "réhabiliter l'honneur bafoué" des (simples) soldats qui, dans la catastrophe, se comportèrent souvent courageusement. Il faut également souligner ici que cette étude est préfacée par Benoist Bihan, c'est-à-dire, phénomène rare, qu'un auteur déjà âgé fait appel à l'un de ses cadets, et parmi les plus jeunes, pour présenter son ouvrage. Saluons l'audace.
Dans son sixième livre consacré aux combats de 1940, Henri de Wailly s'intéresse tout particulièrement aux opérations qui se succèdent sans grande coordination ni planification dans la région d'Abbeville entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin. Différentes études ont été consacrées aux unes et aux autres de façon distincte, mais l'auteur privilégie une cohérence spatiale et temporelle, à notre sens plus riche. Les Allemands, qui ont atteint la mer du Nord, y ont établi une (encore) fragile tête de pont. Pour le contexte général, la disparition du Groupe d'armées n° 1, replié de Belgique entre Lille et Dunkerque, est inscrite sur le terrain depuis que la double contre-offensive voulue par Weygand, rappelé dans l'urgence au poste de commandant en chef, n'a pas été très rapidement lancée. Lorsque commence le récit, les Britanniques commencent à douter des capacités de résistance de l'armée française et le premier objectif est de reconstituer, d'organiser et de tenir une ligne de front cohérente sur la Somme, afin de bloquer la progression allemande vers le sud et de permettre la réorganisation des unités (très affaiblies) avant de nouveaux engagements : "Il est, plus que jamais, indispensable de supprimer les têtes de pont. Abbeville surtout".
Le récit détaillé des événements laisse parfois rêveur, ou sceptique. L'échec de l'attaque anglaise le 27 mai ("Le débouché a été courageux, mais on a vu brûler les chars les uns après les autres. On a eu l'impression immédiate d'un carnage"), celui des Français le 29 au soir, après quelques succès initiaux depuis la veille, qui inquiètent pourtant le commandement allemand (contre-offensive marquée par de très mauvaises liaisons entre les unités : "Les biffins ? Rien en vue ! Qu'est-ce qu'ils foutent ? Dans cette juxtaposition d'unités, nul ne sait ce que font les autres"), celui de l'opération franco-britannique du 4 jun finalement, difficilement préparée avec des unités affaiblies ("Le scénario me parait mal monté", "Au total, impression décevante, incompréhension mutuelle, conférence inutile") et mal engagée jusqu'aux petits échelons ("Où est la position de départ ? ... C'est la première fois que je me mets les pieds dans ce bled, en pleine nuit. Et nous n'avons pas fait de reconnaissance !"). Au fil des pages, on croise de Gaulle bien sûr, mais aussi Altmayer, Frère, Delestraint, Perré, sur lesquels, tout à tour, l'auteur porte des jugements parfois très critiques. Il observe également l'excellent emploi par les généraux allemands de leurs capacités anti-chars et de leurs artilleries divisionnaires, même (et surtout) lorsque le soldat Feldgrau commence à paniquer.
C'est donc davantage à une critique des hauts états-majors qu'il se livre en conclusion, "erreur de conception, erreur dans l'utilisation" : "Si, au lieu de dépenser les deux divisions cuirassées l'une après l'autre à plusieurs jours d'intervalle et sous un commandement différent on les avait employées simultanément les 29 et 30 mai, la poche d'Abbeville aurait été réduite avec un minimum de frais". On peut ne pas être toujours d'accord avec l'auteur et discuter certaines opinions : quelle est, par exemple, la part relative de responsabilité entre le GQG de Weygand, le QG de Georges et ceux du Groupe d'armées (Besson) et de l'armée (Almayer) ? Il y aurait là, à notre sens, une analyse fine à réaliser car ils avaient normalement chacun un rôle précis à jouer, en tenant compte de la réalité des délais de transmission et des missions clairement définies à chaque niveau... Tout ne remonterait sans doute pas au GQG et les échelons intermédiaires auraient à prendre toute leur part de ces échecs.
Par sa précision et par la diversité des sources utilisées (précisées en fin de volume) sur le fond, par le style alerte et plaisant d'Henri de Wailly et la lisibilité des quelques cartes (en perspective aérienne du terrain) présentées sur la forme, ce livre intéressera sans aucun doute tous les amateurs. Il doit dès à présent figurer dans toute bonne bibliographie.
Collection 'Campagnes et stratégies', Economica, Paris, 2012, 146 pages, 26 euros.
ISBN : 978-2-7178-6477-9