Edouard Brémond
L'anti-Lawrence d'Arabie
Merci au professeur Cochet pour sa belle présentation de la biographie du général Brémond en tribune lors du salon du livre d'histoire de Verdun ce week-end :
"On ne présente plus Rémy Porte, qui fut officier référent "histoire" pour l'armée de terre, docteur en histoire et habilité à diriger les recherches. Cet auteur est très prolixe, notamment sur la Grande Guerre, et j'ai eu la chance de travailler plusieurs fois avec lui. La jeune maison d'édition fort dynamique Lemme Edit nous présente ici un personnage méconnu du grand public mais qui a joué un rôle important dans la politique française au Levant et particulièrement au Hedjaz durant la Grande Guerre et dans les années 1920. Edouard Brémond (1868-1948) fait l'objet de nouveaux regards aujourd'hui et Rémy Porte a été l'un des pionniers de sa redécouverte.
Issu de Saint-Cyr et de l'Ecole supérieure de Guerre, Edouard Brémond présente un profil classique d'officier brillant promis à une très belle carrière. Même s'il est engagé sur le front occidental d'août 1914 à août 1916, sa carrière se déroule majoritairement en Afrique du Nord, mais aussi à Madagascar, au Hedjaz et en Cilicie. Arabisant, il acquiert une connaissance intime du monde musulman et de la guerre irrégulière d'autre part, souvent nommé alors "petite guerre" par les tacticiens. Dans le cadre d'une forte opposition franco-anglaise à propos de l'avenir du Levant, Edouard Brémond est envoyé soutenir la révolte arabe au Hedjaz contre les Ottomans en 1916. Il y rencontre un Anglais fantasque et affabulateur, mais aussi formidablement entreprenant, Thomas Edward Lawrence. Malheureusement, Edouard Brémond n'a pas la chance d'être mis en avant, bien après les faits, par un metteur en scène comme David Lean qui transforme l'histoire en légende dorée pour les Britanniques avec son film Lawrence d'Arabie, sorti en 1952? qui cumule 7 oscars et 5 millions de spectateurs rien qu'en France.
Edouard Brémond participe pourtant à la conquête de Madagascar, puis à la pacification du Maroc, sous les ordres de Lyautey et de Mangin, passe brillamment le brevet de langue arabe en 1903.
Mais c'est surtout au Hedjaz que Brémond s'illustre. Les alliés franco-britanniques, au vrai si peu alliés dans les questions proche-orientales, soutiennent tous deux la révolte arabe du Chérif Hussein et de ses quatre fils, en espérant l'un et l'autre les instrumentaliser à leur profit. Brémond, sous couvert des services de renseignement, est chargé d'être un agent d'influence auprès de Hussein. Mais les moyens militaires et financiers mis à disposition de Lawrence par les Anglais sont sans commune mesure avec ceux dont dispose Brémond, comme si une fois de plus la France avait la prétention d'avoir une politique proche-orientale sans s'en donner les moyens. Les contacts entre Lawrence et Brémond sont pour le moins "rugueux" et l'historien Pierre Fournié les résume d'une manière assez ironique : "Imaginez les entrevues entre ce jeune et fluet blondinet, en costume arabe, et ce vaillant lieutenant-colonel de la prestigieuse armée d'Afrique, à la corpulence épaisse, à la barbe de sapeur et au très franc parler". Par les accords Sikes-Picot de 1916, l'Arabie est reconnue comme zone sous influence anglaise, mais Brémond tente cependant de faire contre-poids aux Anglais en maniant l'arme culturelle et religieuse et en organisant des pèlerinages à La Mecque, et se voit également chargé d'instruire les troupes de Hussein. Il suggère aussi des opérations militaires contre les Ottomans, notamment contre Akaba, idée que Lawrence reprend à son compte. Mais le pire est que souvent Brémond est laissé sans ordre de la part de Paris, qui peine vraiment à définir une politique proche-orientale.
Nommé ensuite en Cilicie, Brémond s'oppose au général Gouraud, haut-commissaire au Levant et commandant en chef. Gouraud le sanctionne sévèrement et assez injustement. Une commission d'enquête de 1923 le lave des accusations de malversations et il finit modestement général de brigade, alors qu'il aurait pu parvenir aux plus hautes fonctions de l'armée française.
Avec cette belle biographie professionnelle d'un général connu seulement des initiés, Rémy Porte nous présente tout à la fois un personnage, le fonctionnement de rouages au sein de l'armée et des instances politiques.
C'est incontestablement un ouvrage à avoir dans sa bibliothèque."