De Strasbourg à Dachau
Souvenirs 1939-1945
Francis Rohmer
Les passionnants souvenirs d'un étudiant en médecine puis jeune médecin engagé dans la Résistance dès 1941.
Tome 1 : 1939-1944
Dans ce premier volume, après un rapide avant-propos, nous suivons Francis Rohmer d'abord pendant la drôle de guerre et la campagne de France puis, après une brève période comme prisonnier de guerre, dans le Massif central où l'université de Strasbourg s'est repliée. D'abord affecté à la 7e section d'infirmiers militaires à Dôle, il effectue son stage d'EOR (piètre image des sous-officiers) près de Bordeaux. La vie des aspirants médecins n'est ni pénible, ni difficile. L'examen une curieuse formalité et le voici affecté comme médecin auxiliaire à Rethel : "Ma principale occupation est de m'occuper de la popote fréquentée par des médecins et des officiers d'état-major". Il demande à être affecté dans un régiment d'active, le 15/2, ce qui lui est refusé et il rejoint finalement la 260e compagnie du Train (10e CA) : "J'organise rapidement mon service médical avec une petite ambulance dans laquelle je fais mes consultations complétant mes visites journalières des hommes ... Tout ceci ne me prend guère de temps, et je peux me distraire". La drôle du guerre porte bien son nom. A partir du 10 mai 1940, il monte en Belgique, puis revient rapidement vers la France. Il assiste en particulier à l'échec dans son secteur du plan français ("Je n'y comprends rien, je suis effaré par cette pagaille qui révèle l'absence de défense organisée"), soigne des blessés civils, mais doit se replier et assiste à l'exode ("Toutes les routes, mêmes les plus petites, sont encombrées par des civils et des militaires : il y a des artilleurs sans canons mais avec leurs attelages, des fantassins avec sous sans fusils, des cavaliers qui bousculent les charriots civils tirés ou poussés par des paysannes portant des hardes"). Son unité est basculée à l'ouest du front, effectue un déplacement de Gisors à la région d'Amiens, mais doit à nouveau se replier rapidement. Il livre un témoignage intéressant à la fois sur ses hommes, ceux de son unité d'appartenance et sur les officiers d'état-major qu'il croise et fréquente. Il passe la Seine, puis la Loire ("Le spectacle est effrayant. C'est maintenant la débâcle dans toute son horreur, encore plus triste que celle des Ardennes") et apprend l'armistice dans le Poitou. Brièvement fait prisonnier, il parvient à se glisser dans une colonne d'hommes libérés. Démobilisé le 22 août, il rejoint difficilement Vichy, via Limoges.
La deuxième partie du livre couvre près de quatre années (jusqu'en mars 1944), dans la région de Clermont-Ferrand et à Marseille notamment. Moins détaillée, elle procède par synthèses successives, tout en donnant ponctuellement tel ou tel coup de projecteur sur une situation particulière (un déjeuner chez le cuisinier personnel du maréchal Pétain par exemple, portaits du docteur Ménétrel ou du général Gouraud, les distractions en zone libre, les rafles, etc.). Il se spécialise en neurologie mais surtout est de plus en plus actif dans la résistance à l'occupant : "La réalité est [bien plus] complexe, avec toutes sortes de formes de résistance, variant selon les circonstances, les individus, les périodes et bien d'autres facteurs". Toujours modeste, il précise : "Ma résistance a été le résultat d'un long cheminement personnel, mais aussi de circonstances, parfois fortuites, parfois recherchées". Entré dans le mouvement Franc-Tireur, proche de la Brigade Alsace-Lorraine, il opère et soigne en particulier les résistants et maquisards blessés.
Tome 2 : 1944-1945
Nous suivons ici Francis Rohmer de son arrestation par la Gestapo à sa libération de camp de concentration et à son retour parmi les siens à Colmar. Près de 350 pages sont consacrées au treize mois de sa déportation en Allemagne, ce qui donne une idée du niveau de détail du témoignage.
Arrêté sur dénonciation du directeur de l'Hôtel-Dieu pour "gaullisme" le 8 mars 1944, incarcéré à la prison du 92e de Clermont-Ferrand, où il reprend discrètement son activité médicale au bénéfice des prisonniers. Son récit des conditions de détention, des interrogatoires, des intervenants allemands et français, est particulièrement intéressant. Il y apprend le débarquement du 6 juin et le 15 est transféré avec tout un convoi de prisonniers vers le camp de Royallieu (Compiègne) et décrit "les débuts d'un avilissement dont les SS sont passés maîtres". Il y croise notamment monseigneur Théas, évêque de Montauban, et Albert Sarraut, homme politique majeur de la IIIe République. Le 2 juillet, c'est le convoi pour Dachau à l'effroyable mortalité : "A Sarrebourg, les cheminots furent horrifiés par l'odeur insupportable émanant des wagons ... De la chaux a été répandue dans une puanteur pestilentielle". Du camp de Dachau où il reste quelques semaines et dont il décrit le fonctionnement quotidien, il est transféré dans un camp de travail de la vallée du Neckar, dont il présente l'organisation et les activités (en particulier dans les mines et les usines d'armement souterraines). Les précisions concernant le rôle des "kapos" (détenus travaillant pour les Allemands), les violences, sont parfois glaçantes. Il est finalement désigné comme médecin au titre de ses compétences, ce qui lui vaut un changement complet de statut et nous permet de disposer d'un autre angle d'approche du fonctionnement de ces camps et de leur encadrement allemand. Transféré en février 1945 dans un camp plus dur pour "sabotage", il retrouve le service médical : il a alors 30 ans. A partir du mois de mars, les perspectives d'une libération prochaine se précisent mais les camps sont évacués à pied le 25 mars ("l'exode effroyable"). Fin mars - début avril, la situation devient de plus en plus critique ("Le manque d'eau et de nourriture aggrave l'état de tous"), et il est finalement libéré par les Américains le 4 avril.
L'ensemble des deux volumes constitue un témoignage à hauteur d'homme absolument majeur sur ces années 1939-1945 et doit impérativement être connu de tous ceux qui s'intéressent à la France dans la Seconde guerre mondiale.
Editions Lamarque, 2022.
Vol. 1 : 269 pages. ISBN : 978-2-490643-64-6. 22,- euros.
Vol 2 : 379 pages. ISBN : 978-2-490643-65-3. 26,- euros.
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