Salan
Pierre Pellissier
Voilà une biographie attendue depuis longtemps ! Contraint à l'oubli par sa participation à la tentative de putsch en Algérie puis à l'OAS, le général Salan, sans méconnaître les évènements du début des années 1960, méritait d'être tiré de l'ombre au regard de sa carrière exceptionnelle.
Le livre nous propose donc de suivre l'officier de la Première Guerre mondiale et de Saint-Cyr à la fin de sa vie. Nombreux seront sans aucun doute ceux qui apprendront le détail de son séjour au Levant à partir de 1920, qui lui vaut d'être fait chevalier de la Légion d'honneur comme lieutenant à l'âge de 21 ans. En 1924, c'est la découverte de l'Indochine. Affecté au 3e régiment de tirailleurs tonkinois, il rejoint le poste de Nguyen Binh, en train depuis Lang Son, puis par la RC4, "autant de lieux qui marqueront plus tard sa carrière". Outre ses responsabilités proprement militaires, il devient responsable de l'exploitation de mines d'étain. Il apprend la langue vernaculaire, vit au milieu de ses tirailleurs, fils spirituel de Gallieni : "d'abord soldat, il doit poser les armes dès la paix obtenue pour devenir administrateur. Il n'oubliera jamais cette définition ; elle restera valable quelques décennies encore, partout où l'armée française va tenter de contenir les guérillas". Capitaine en 1930, il rédige l'année suivante un manuel bilingue pour l'enseignement des langues locales, qui lui vaut les palmes académiques. Rentré en métropole en 1937, il devient l'adjoint du chef du bureau Renseignement du ministère des colonies, plus particulièrement en charge de l'Extrême-Orient. Il y est promu chef de bataillon en 1938, et peut suivre la montée des menaces tant en Asie qu'en Europe. En 1939, il entre en Ethiopie via le Soudan anglo-égyptien avec un faux passeport et une fausse carte de presse pour apporter armes et argent aux résistants éthiopiens et au printemps 1940 prend le commandement d'un bataillon de tirailleurs sénégalais en cours de formation, par la suite intégré au 44e régiment mixte d'infanterie coloniale. Engagé sur la Somme en juin, puis est dirigé par le "réduit breton" avant de se replier vers les Charentes. Pour ces quelques semaines, il est cité trois fois. Lorsqu'il arrive à Montauban en juillet, le régiment ne compte plus que 20 officiers sur 80 et 600 hommes sur 3.000. Dans le cadre de l'armée d'armistice, il reprend ses fonctions au service de renseignement du ministère des Colonies. Il n'oublie pas l'Indochine, mais ne peut pas faire grand chose : "Suite tragique de notre défaite, l'Indochine va vers son destin, nous l'abandonnons aux Japonais". Il rejoint alors l'organisation secrète du colonel Groussard. Au titre de ses activités au ministère il reçoit la Francisque, tout en multipliant les contact avec les Nord-Américains et Londres, ce qui lui vaut d'être muté "disciplinaire" à Dakar en février 1942. Il y retrouve d'ailleurs Lacheroy, assiste de loin au débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord et à l'occupation de la zone "libre" et au début de l'année 1943 rejoint Alger. Désormais colonel, il est bientôt affecté à la 9e DIC, au commandement du 6e régiment de tirailleurs sénégalais. La Corse, l'île d'Elbe, la Provence et la remontée vers l'Alsace. Général à la fin de la campagne, il est appelé par Leclerc en Indochine. Il retrouve donc l'Extrême-Orient, qu'il ne quittera presque pas pendant plusieurs années avec le rôle que l'on sait (l'auteur consacre près de 150 pages à cette période) : "Perdre un empire, c'est se perdre soi-même, c'est enlever tout un sens à une vie d'homme, à une vie de bâtisseur". Les derniers chapitres sont bien sûr consacrés à l'Algérie, où Salan arrive en 1955, période à laquelle Pierre Pellissier consacre plus de 200 pages, jusqu'à "la plongée dans la clandestinité" la retraite venue. C'est désormais le récit du putsch et de l'engagement dans l'OAS, en particulier dans le domaine politique bien développé, et la clandestinité jusqu'à son arrestation en avril 1962. Immédiatement jugé, il refuse de répondre et se contente d'une déclaration liminaire : "Je ne suis pas u chef de bande, mais un général français, représentant l'armée victorieuse et non l'armée vaincue. A la différence de celui qui vous demande licence de me tuer, j'ai servi le plus souvent hors de métropole. J'ai voulu être officier colonial, je le suis devenu. Je me suis battu pour garder à la patrie l'empire de Gallieni et du père de Foucauld. Mon corps a conservé les traces profondes de ce combat. J'ai fait rayonner la France aux antipodes. J'ai commandé. J'ai secouru. J'ai servi et, par dessus tout, j'ai aimé. Amour de cette France souveraine et douce, forte et généreuse, qui portait au loin la protection de ses soldats et le message de ses missionnaires ... Quand on a connu la France du courage, on n'accepte jamais la France de l'abandon". Il va rejoindre la prison de Tulle (dont le régime est décrit) où, alors que les libération commencent dès 1966 pour ses codétenus, il reste jusqu'en juin 1968 et consacre ensuite son temps à la rédaction de ses mémoires.
Une biographie qui nous entraîne donc bien au-delà de la seule période de la guerre d'Indochine, au long d'un parcours de vie et d'engagement qui, par respect de la parole donnée et sens du sacrifice, explique les choix des dernières années. Indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'armée française au XXe siècle.
'Tempus', Perrin, Paris, 2020, 716 pages, 12,- euros.
ISBN : 978-2-262-08656-5.
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