Jouer la guerre
Histoire du wargame
Antoine Bourguilleau
Depuis au moins une vingtaine d'années, les "jeux de guerre" bénéficient d'une popularité croissante dans le grand public, succès notamment confirmé grâce au développement des moyens informatiques individuels. Mais il s'agit pourtant initialement d'une activité proprement militaire de formation et non d'un "simple" loisir. Ce livre se propose de nous le démontrer, de nous l'expliquer et de nous en faire comprendre les ressorts.
Au-delà de la formation individuelle et collective du soldat, l'auteur précise la problématique dès son introduction : "Comment entraîner des généraux ... à manoeuvrer des troupes à grande échelle, sur un territoire ? A saisir quelles sont les routes à éviter, les points névralgiques de l'ennemi ? A mesurer leurs lignes de communication tout en menaçant celle de l'adversaire ?". La disponibilité d'une excellente cartographie est bien sûr essentielle, et Antoine Bourguilleau cite plusieurs définitions dont celle-ci : "Un wargame est une tentative de se projeter dans le futur par le biais d'une meilleure compréhension du passé. Le wargame est une combinaison de jeu, d'histoire et de science". Il précise également qu'il ne prend pas en compte dans son étude les jeux vidéos et les études tactiques sur le terrain (staff ride). Tout en reconnaissant que le sujet pourrait permettre de remonter à l'Antiquité, il organise son ouvrage en trois grandes parties. La première, "Le Kriegsspiel (1600-1900)", évoque la naissance du jeu de guerre moderne sous forme de jeux d'échecs, de carte ou "de l'oie" modifiés, la constitution de la collection des plans-reliefs, l'évolution majeure initiée par Johann Christian Hellwig en 1780 et ses adaptations successives avec notamment les Reisswitz père et fils et la prise en compte de l'imprévu, caractéristique des opérations militaires. A partir des années 1820 le Kriegsspiel est progressivement adopté par l'armée prussienne. Jusqu'à la fin du siècle, la France reste en retard : "Certains voient le Kriegsspiel d'un mauvais oeil, comme un invention allemande de peu d'intérêt". La deuxième partie, "Le Wargame (1900-1950)", montre bien le développement mondial des jeux de guerre, en particulier la guerre navale, notamment aux Etats-Unis, mais en souligne aussi les limites comme dans le cas du Japon en 1940/1941 : "Le wargame n'a de pertinence qu'utilisé dans de bonnes conditions, qu'il est cependant difficile de réunir : données fiables, comportements logique pour chaque camp, capacité d'abstraction, honnêteté à défaut d'objectivité. Sans cela, la boussole du wargame, qui n'indique jamais tout à fait le nord, se dérègle". Constatons qu'à nouveau la France ne fait pas partie des "bons élèves". La troisième partie enfin, "La simulation militaire au tournant du XXIe siècle", s'intéresse aux évolutions récentes depuis la fin des années 1970 avec le rôle de Guy Debord mais aussi l'intervention de la Rand Corporation, avec cette réserve : "Un ordinateur aurait probablement conseillé aux Britanniques de faire la paix avec Hitler en 1940"... Comment représenter la volonté et la détermination de Churchill dans le jeu ? Rendant un hommage mérité de promoteur en France à Laurent Henninger, l'auteur constate néanmoins que c'est bien dans le monde anglo-saxon (département des War Studies du King's College de Londres) que les jeux de guerre s'épanouissent aujourd'hui encore. Avec ce bilan : "Au cours de notre étude, nous avons été frappé de constater que le jeu de guerre, en France, et sa pratique au sein de l'armée et de la marine, sont largement passés sous le radar de l'étude historique". Des armées françaises qui seraient "dans un trou noir".
Un livre qui devrait passionner non seulement tous les historiens des questions militaires, mais aussi (surtout ?) les militaires eux-mêmes, car il ouvre des pistes de réflexion multiples sur la formation du commandement de demain et le développement de capacités d'initiative. Une excellente publication.
Passés/Composés, Paris, 2020, 265 pages, 21,- euros.
ISBN : 978-2-3793-3090-2.