Joseph Bonaparte
Thierry Lentz
Avec toute la compétence que donne une longue fréquentation du personnage et le brio qu'on lui connaît dans ses nombreux ouvrages précédents sur la période impériale, Thierry Lentz nous offre ici une biographie magistrale.
En une cinquantaine de chapitres assez brefs, au style précis et vigoureux, il nous entraine tout au long de la vie et de la carrière du frère ainé, du "meilleur ami" et sans doute du plus fidèle sous bien des aspects du futur empereur. Il nous en rappelle d'ailleurs dès l'introduction en quelques lignes l'ensemble des fonctions successivement occupées et constate que Joseph, dans un premier temps, occupe déjà de vraies responsabilités bien avant que l'impécunieux général Buonaparte n'accède à la célébrité. L'ouvrage est divisé en quatre parties principales. La première nous présente Joseph comme authentique "Chef de clan", jusqu'à ce que les événements de Vendémiaire an IV donnent à Napoléon une notoriété inattendue. La seconde nous montre Joseph en fidèle soutien de son frère, de la campagne d'Italie au Consulat et à l'empire, son rôle lors du coup d'Etat de brumaire jusqu'à la conquête du royaume de Naples. La troisième, "Deux fois roi", s'intéresse à cette période durant laquelle Napoléon Ier redessine l'Europe et dote sa famille, du royaume de Naples où son action même de courte durée est finalement plutôt positive, à l'Espagne où il ne peut régner effectivement, n'étant que "l'autre moi-même" de son auguste frère et dépendant de son armée, au point qu'il en viendra à légiférer contre les décision de l'empereur et lui présentera même sa démission ! C'est blessé et amer qu'il retrouve la France ("L'essai de deux royaumes suffit, et je ne veux pas d'un troisième, car je veux vivre tranquille, acquérir une terre en France, loin de Paris"). Cette détérioration des relations entre les deux hommes n'empêche pas Napoléon de lui confier les fonctions de lieutenant-général de l'empire en 1814 jusqu'à la prise de Paris par les Coalisés. La quatrième enfin s'attache à Joseph pendant la première restauration, les Cent-Jours durant lesquels il est président du Conseil des ministres, et surtout la partie de sa vie durant laquelle il séjourne aux Etats-Unis entre 1815 et 1832, une période de bonheur pour lui mais aussi de réalisation professionnelle et financière : parfaitement intégré à la haute société américaine, avant de quitter le sol des Etats-Unis en juillet 1832, "Joseph fut reçu à la Maison-Blanche pour une audience d'adieu par le président Andrew Jackson ... avec la plus entière courtoisie, ... non pas en personnage politique mais comme un gentleman aux idées élevées et à la plus parfaite correction". Il rêve alors d'assurer le retour sur le trône de Napoléon II, l'Aiglon, mais ce dernier va mourir à Vienne pendant qu'il est en mer. Désormais, Joseph devient le prétendant à la succession de Napoléon Ier. Ne pouvant circuler librement en Europe et encore moins rentrer en France, il séjourne longuement en Angleterre où il reçoit les membres de sa famille et les fidèles du bonapartisme. Déçu, il rentre aux Etats-Unis en 1835, mais l'âge avance et il connaît une succession de deuils dans la famille et de déceptions personnelles. Le prétendant ne prétend plus. Il veut pourtant rentrer en Europe pour revoir les siens et retrouve Londres en 1839. Il connait encore de nombreux déboires, financiers, familiaux, de reconnaissance publique et ne peut que suivre "par presse interposée et depuis une maison louée à la campagne, près de Rugby, la grandiose cérémonie du retour des Cendres à Paris, le 15 décembre 1840". Malade, affaibli, il est peu à peu autorisé à voyager, le Wurtemberg d'abord, le Piémont-Sardaigne et la Toscane ensuite et les observateurs soulignent "la triste vie que mena alors cet homme qui, après de nouvelles attaques, perdit par étapes presque toutes ses facultés". Il y décède à la fin du mois de juillet 1844, à l'âge respectable pour l'époque de 77 ans. Dernière étape du chemin de croix, les héritiers se disputèrent l'important héritage. L'empire rétablit pas son fils fait revenir sa dépouille mortelle à Paris, pour être inhumée aux Invalides, mais Napoléon III n'y assista pas.
Une biographie raisonnée, argumentée, référencée (plus de 160 pages de notes, références, bibliographie et index), qui donne à Joseph, ni dilettante, ni incapable, une "épaisseur" et une "densité" que la mémoire collective lui a rarement accordées.
Perrin, Paris, 2016, 717 pages, 27,- euros.
ISBN : 978-2-04873-0.