Boué de Lapeyrère
1852-1924
L'amiralissime gascon
Jean-Philippe Zanco
Remarqué et apprécié lors de la parution en 2012 de l'excellent Dictionnaire des ministres de la Marine dont il avait assuré la direction (ici), Jean-Philippe Zanco nous propose aujourd'hui une excellent biographie de l'un des grands amiraux de la IIIe République, aujourd'hui bien oublié de la plupart, Boué de Lapeyrère.
Le premier mérite du livre est de revenir longuement, ainsi qu'il convient à une bonne biographie, sur les (longues) années qui précèdent les quelques périodes durant lesquelles de Lapeyrère accède à une certaine notoriété, à partir de son arrivée au ministère de la Marine en 1909. Sorti dernier de sa promotion de l'école navale après être entré dans la Marine presque sans l'avoir souhaité, ce qui ne semble pas le prédisposer à une telle carrière, il rejoint bientôt l'extrême-Orient et suit de son navire les premiers temps de la conquête de l'Annam et du Tonkin, enchaîne les voyages et les formations, puis rejoint la division navale des mers de Chine mais "n'est que le spectateur lointain des événements de 1883" jusqu'à sa participation en première ligne à l'attaque contre Fou-Tchéou, sous les ordres de l'amiral Courbet. Il se distingue à nouveau quelques temps plus tard, à Formose, en mars 1885, où il croise en particulier le jeune Joffre, avec lequel il restera ami. La progression de sa carrière est alors assez rapide et il alterne les postes de responsabilité, d'état-major et de commandement (il a par exemple comme aide de camp à Rochefort un certain Julien Viaud, dit Pierre Loti). Son peu de goût pour les tâches administratives est bien connu ("L'amiral de Lapeyrère n'a pas ouvert un bulletin officiel depuis qu'il est à Brest, ni, à plus forte raison, avant. Visiblement, il n'est heureux que sur l'eau"), mais tous lui reconnaissent d'éminentes qualités "d'homme de guerre". Cela ne l'empêche pas, en juillet 1909, de devenir ministre de la Marine (l'auteur souligne qu'il est originaire du Sud-ouest comme nombre de grands dirigeants radicaux). Son temps à la tête du ministère est marqué par l'impulsion d'un grand programme de rénovation de la marine de guerre, mais aussi par le scandale de "l'affaire des poudres" (poudre B, instable). L'amiral fait preuve d'une grande énergie et multiplie les initiatives tout en renforçant ses relations avec les milieux politiques. En 1911, il retrouve un commandement à la mer à la tête de la 1ère escadre de ligne puis de l'armée navale : "L'amiral de Lapeyrère remplit effectivement les fonctions d'amiralissime sans en avoir le titre". Il commande en chef en Méditerranée lorsque la Grande Guerre éclate et commence alors une période très difficile. Echec dans la tentative d'interception des croiseurs allemands Goeben et Breslau, difficultés à s'imposer comme commandant des forces navales alliées face aux Britanniques puis aux Italiens, manque de moyens, de personnel et frictions récurrentes avec le ministère, sans oublier la lassitude des subordonnés et le caractère peu visible de ses missions. Les difficultés récurrentes avec les Britanniques et le manque de succès dans les opérations se conjuguent avec les problèmes parisiens : le 15 octobre 1915, il quitte son navire-amiral, relevé de son commandement à sa demande. Les polémiques et les insatisfactions (échec aux élections sénatoriales) vont se succèder après la guerre jusqu'à son décès en 1924 et Jean-Philippe Zanco dresse honnêtement le bilan de sa carrière dans les derniers paragraphes, avec ses fautes et ses erreurs (en terme de doctrine navale en particulier) mais aussi ses qualités de chef. Lorsqu'il quitte son commandement en 1915, "l'Armée navale était prête pour un combat qui n'arriva jamais".
Une très intéressante biographie, avec ses aspects militaires, politiques et techniques (évolutions de la marine durant cette période), qui se lit avec plaisir.
Editions Gascogne, Orthez, 2016, 175 pages, 15,- euros.
ISBN : 978-2-36666-086-9.
Vidéo de présentation du livre par son auteur : ici.